Philippe Valenti n'a que 45 ans, mais déjà des états de service de vieux baroudeur de l'humanitaire. Dès 1988, tout juste thésé, cet ancien chef de clinique de l'hôpital Trousseau mettait le cap sur le Vietnam. Deux ans plus tôt, les images des boat-people dérivant en mer de Chine l'avaient décidé.
Sous la bannière de Médecins du Monde, il opère d'abord à Hô Chi Minh-Ville et à Hanoi. « Dans la vallée du Mékong, se souvient-il, sur des consultations de 100 enfants par jour, nous en comptions autant qui présentaient des malformations des membres supérieurs, sans doute à la suite de l'emploi par les Américains de l'agent orange pendant la guerre. »
1988, c'est l'année où le Pr Alain Deloche fonde La Chaîne de l'espoir. « En phase » avec sa charte, nouvelle pour une ONG, qui veut faire rimer humanitaire et techniques médicales de pointe, Philippe Valenti en est. Et il multiplie les missions en Asie du Sud-Est, passant du Vietnam, où le régime lui impose ses contraintes, au Cambodge, où il monte le service de chirurgie orthopédique de l'hôpital Calmette de Phnom Penh, puis à la Birmanie.
Bagarres à la machette
C'est en 1992 qu'il débarque en Amérique latine. « J'étais lié de longue date, raconte-t-il, avec un camarade de faculté colombien, Raime Restropo, qui s'était installé, après ses études à Paris, à Medellin, comme chirurgien de la main. C'est lui qui m'a alerté avec une publication sur les 250 réimplantations de main qu'il avait réalisées. 250 ! Ce fut pour moi comme un coup de tonnerre dans un ciel serein. Raime m'a expliqué que, dans son pays, les bagarres à la machette, les soirs de paie, à la sortie des bars, étaient monnaie courante, avec leur cortège d'amputations nettes des doigts ou des mains. »
A ces réparations, s'ajoutent celles de malformations congénitales. Un fléau propre à la Colombie : leur taux atteint 1,74 %, alors que dans un pays comme la France, il affleure les 0,1 %. Sur 730 000 naissances annuelles, cela représente 13 000 nouveaux cas, dont 2 500 pour les malformations faciales et 2 200 pour les membres supérieurs. La Chaîne estime qu'au moins 50 000 petits Colombiens restent actuellement dans l'attente d'une intervention chirurgicale.
Depuis dix ans maintenant, Philippe Valenti enchaîne les missions sur place, à raison de trois voyages chaque année, en étroite collaboration avec les spécialistes locaux formés à Paris.
Mais l'utilisation d'une plate-forme de soins dans un hôpital public, à la longue, montre ses limites, tant en termes de soins que pour assurer la formation des personnels médicaux et soignants. Les responsables de La Chaîne en arrivent, courant 2002, à la conclusion que seule la mise en place d'une structure exclusivement consacrée à la chirurgie réparatrice, dotée des moyens appropriés et des professionnels compétents, pourra réellement apporter une aide durable à la Colombie.
Pérenniser l'opération
Trois facteurs militent pour la création de l'ICRI, explique Philippe Valenti : « Le très grand nombre des patients à traiter, le fait que la chirurgie de la main, à la différence de la chirurgie du cur, ne nécessite pas le recours à des technologies de pointe très budgétivores (on trouve des kits jetables de chirurgie vendus vingt dollars) ; enfin, nous avons affaire à un pays de 40 millions d'habitants dont le revenu moyen par tête, à 6 000 dollars, le quart du revenu français, est suffisant pour assurer la pérennisation de l'opération. »
Car, à défaut d'un minimum de ressources, il ne faut pas rêver, impossible d'atteindre l'équilibre financier, seule garantie pour durer. Des investissements lourds, du coup, ont été réduits à néant du jour au lendemain, notamment en Afrique lorsque s'est tari le flux des dons.
De ce point de vue, le futur ICRI devrait en quatre ou cinq ans être à même d'assurer son autofinancement. Sans attenter pour cela à la charte qui régit la Chaîne : 80 % des patients seront des « payeurs » et ainsi 20 % des enfants pourront, grâce à eux, être opérés gratuitement. Sur une prévision annuelle de 3 500 interventions, ce sont donc 500 réparations qui seront réalisées sur des personnes dépourvues de ressources et de couverture sociale.
Dans ce pays ravagé par d'énormes inégalités et dont le système de santé est jugé catastrophique, la contribution de La Chaîne de l'espoir est d'autant plus attendue qu'en plus de l'établissement de soins, avec ses 20 lits (10 en hospitalisation et 10 en ambulatoire) et ses quatre plateaux techniques (dont un bloc d'urgence), un établissement de formation et de recherche devrait aussi ouvrir ses portes, en collaboration avec l'université de Bogota, pour préparer à un DU. L'ICRI sera même un must technologique : en liaison avec un laboratoire du CNRS basé à Clermont-Ferrand, il bénéficiera d'un système high tech de téléconférence. « La télémédecine appliquée à la main trouve des applications remarquables, assure Philippe Valenti. Depuis Paris, je peux faire bouger une main là-bas et poser une indication sûre. Je peux même dessiner un schéma d'incision précis. »
Pratiquement, pour échapper aux risques de dérive dans un pays où les phénomènes mafieux sont endémiques, c'est donc le choix d'une structure relativement modeste qui a été retenu. Le budget d'investissement se monte à 4 millions d'euros. Quinze pour cent sont apportés par La Chaîne. Le reste est collecté auprès de bailleurs privés grâce à une équipe de bénévoles mêlant énarques et polytechniciens (dont l'ancien P-DG d'une grande banque publique). Une fondation de droit bolivien est en cours de montage, pour diriger la manuvre, dont la présidence est assurée par le Colombien Ramon de la Tore, un ancien industriel très influent aujourd'hui à la tête de la Fondation cardiologique de Bogota. Le maire et le gouverneur de la région ont fourni leur aval et des partenaires comme l'association américaine Healing the Children, qui a déjà effectué des missions sur place, ont promis leur appui technique pour le traitement des malformations faciales.
Quant aux pouvoirs publics français, obnubilés qu'ils sont par l'insécurité qui mine le pays (plus de 3 000 personnes sont actuellement retenues en otages par différents groupes dans tout le pays), ils ne semblent pas disposés à apporter leur obole.
D'où la nécessité de battre le rappel des donateurs privés. Des manifestations culturelles sont programmées à cette fin, comme un concert, le mois prochain, à Paris (voir encadré). A La Chaîne de l'espoir, susciter les ardeurs des foules et moissonner leurs soutiens, c'est comme une seconde nature.
Concert de l'espoir le 28 avril
Pour recueillir les fonds indispensables à la réalisation de l'ICRI, La Chaîne de l'espoir organise un concert le lundi 28 avril en l'église Saint-Roch, avec la violoniste Clara Bonaldi, lauréate de plusieurs concours internationaux, et Françoise Lechevin, titulaire des orgues de Saint-Roch et professeur au Conservatoire de Paris. Au programme, des oeuvres d'Albinoni, Haendel, Bach et Grigny.
Réservations à la CDE, 96, rue Didot, 75014 Paris, 01.44.12.66.66, www.chaine-espoir.asso.fr.
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