IL EXISTE un profond malentendu entre Américains et non-Américains sur le sens de cette élection présidentielle, assurément décisive et historique : les seconds pensent que la candidature de M. Obama et son succès, qu'ils souhaitent avec ferveur, accorderont à l'Amérique la rédemption dont elle a besoin et rangeront cette grande démocratie dans le camp des pauvres, des minorités et de tous ceux qui souffrent dans le monde. L'électorat des États-Unis comprend que le candidat noir est capable d'apporter un tel changement. Mais ses motivations ne sont pas fondées sur le destin de l'Amérique. Il hésite plutôt à propos des capacités de chacun des deux candidats à absorber la crise économique, à limiter les interventions du pays à l'étranger, à lui rendre une vie plus paisible après huit années de chocs et de contre-chocs.
Barack Obama l'a effectivement emporté sur Hillary Clinton parce qu'il incarne un changement plus profond que celui qu'elle aurait apporté et une mystique que, peut-être, elle n'a pas. Cependant, dans les deux mois qui viennent, sa vision va se heurter à un homme, M. McCain, qui, à tort ou à raison, pourrait paraître plus rassurant.
Progression ralentie.
Car les jeux ne sont pas faits. Pour au moins deux raisons : la première est que la fulgurante progression de M. Obama (il n'est sénateur que depuis 2004) a été ralentie par la vigueur de sa concurrente démocrate ; il reste de leur joute, qui a été souvent grinçante et amère, des séquelles assez sérieuses. Il suffit de constater que, en dépit de l'appel à l'unité de Mme Clinton, des démocrates clintoniens, dans une proportion qui n'a pas encore diminué, envisagent de voter pour M. McCain.
La seconde est que, occupé à l'emporter sur la sénatrice de New York, M. Obama, dont la rhétorique est redoutable, a plus parlé de ce qui le différenciait d'elle qu'il n'a révélé la substance de son programme, lequel, pour autant qu'on le connaisse, n'est pas particulièrement révolutionnaire. Beaucoup d'électeurs démocrates ou indépendants ne sont pas encore convaincus que le sénateur de l'Illinois lancera ces réformes auxquelles M. McCain ne peut même pas songer.
Depuis le 28 août, la question ne porte donc plus sur le mérite de l'Amérique de se donner un Noir pour candidat. Elle porte sur le contrat qu'il veut passer avec le peuple américain au sujet de ce qu'il fera. Il a certes tout le loisir, maintenant qu'il est investi par son parti, de s'expliquer sur quelques points fondamentaux : la dette américaine, la crise économique, la régulation des flux financiers, la redistribution des ressources fiscales, la fin du conflit irakien, la politique afghane, et – surtout – pakistanaise, la nouvelle menace russe. Il n'empêche que M. Obama qui, en définitive, a su abattre les obstacles sur la première partie de son chemin vers la présidence, risque, au nom du dogme selon lequel un candidat ne peut gagner qu'au centre, de n'être pas plus explicite sur son action une fois qu'il sera à la Maison-Blanche.
Là où les non-Américains ont raison, c'est qu'il ne fait aucun doute, quels que soient les mensonges ou hypocrisies liées à toute élection, que M. Obama engagera une politique diamétralement opposée à celle de George W. Bush. Il n'est pas impossible que John McCain rompe, lui aussi, avec le passé. Mais au fil de la campagne, il n'a cessé de satisfaire, l'une après l'autre, les tendances conservatrices nécessaires à sa victoire. Or l'Amérique doit s'engager elle aussi dans une politique de rupture ; si les Américains veulent que ça change pour le mieux, ils ne sauraient élire un homme, M. McCain, qui n'a pas su se débarrasser du conservatisme.
LE CHOIX EST ENTRE LA CONTINUITE ET, COMME EN FRANCE, LA RUPTURE
Prendre des risques.
En 2000, Al Gore a perdu parce qu'il n'a pas créé l'enthousiasme autour de son nom ; les démocrates les plus convaincus disaient alors : qui a vraiment envie de voter pour Gore ? Même si les qualités d'un leader sont indispensables, même si le candidat doit être clair sur ses intentions et dans son discours, même s'il doit imposer son autorité (ce que M. Obama a fort bien fait), même s'il est impossible de ne pas douter de ses capacités, l'électeur doit toujours prendre un risque par rapport à ses propres idées, car il n'est pas possible, dans une vaste démocratie, d'avoir le candidat idéal, celui qui correspond à un seul électeur.
Je reviens d'un assez long séjour aux États-Unis et j'y ai rencontré des démocrates qui doutaient du bien-fondé de certaines idées de M. Obama, par exemple, la taxation accrue des entreprises au moment où les États-Unis entrent, semble-t-il, en récession. Ils avaient raison. Mais, de même que parce que M. Gore n'était pas drôle, l'Amérique a eu droit à huit années d'une gestion catastrophique, le choix de M. McCain par défaut risque de priver les Américains du regain historique qu'il leur faut.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature