Par le Pr Céleste Lebbé*
LE MÉLANOME est probablement le plus bel exemple d'immunomodulation en cancérologie. Si les approches de vaccinations ont été jusqu'à présent décevantes, on en espérait au moins une certaine innocuité. La présentation à l'ASCO 2008, par A. Eggermont, de l'essai adjuvant conduit par l'EORTC nous incite pourtant à la prudence. Cet essai, comparant une vaccination par ganglioside à l'abstention, pour des patients souffrant de mélanome primitif de stade II, a dû être interrompu devant un taux de survie significativement plus faible dans le groupe traité ! Notons un précédent avec le vaccin cellulaire allogénique (Canvaxin) (Morton, ASCO 2006). À l'avenir, il sera probablement important, de ne pas seulement chercher à activer les réponses antitumorales des lymphocytes, mais de tenir compte du microenvironnement qui peut induire une réponse tolérogène : environnement cytokinique, présence de cellules T régulatrices… C'est dans ce contexte que s'inscrit le développement de l'Ontak (DAB/IL2), molécule de fusion combinant la toxine diphtérique et l'IL2, et ciblant avant tout des cellules exprimant le récepteur de haute affinité à l'IL2 comme les cellules T régulatrices. Cette approche, bien qu'évaluée jusqu'à présent dans le cadre d'essais de phase II non contrôlés ayant donné lieu à des résultats un peu contradictoires, semble prometteuse, avec, pour une récente série (Rasku 2008), 40 % de contrôles (réponses et stabilisations prolongées) de la maladie au stade IV.
Une autre stratégie consiste à cibler des molécules inhibant les processus de rétrocontrôles physiologiques. C'est le cas d'anticorps monoclonaux anti-CTLA4. CTLA4 est exprimé à la surface des lymphocytes T activés et interagit avec les molécules B7, à la surface des cellules dendritiques, pour transduire un signal négatif (sorte de frein naturel) aux lymphocytes. Deux anticorps antagonistes anti-CTLA4 sont en cours de développement. L'ipilimumab, à la dose de 10 mg/kg, a permis d'obtenir, dans un essai de phase II présenté à l'ASCO 2008, une survie à 1 an de 53 % et une médiane de survie attendue de 14,6 mois chez ces patients lourdement prétraités en première ou deuxième ligne après échec des chimiothérapies standards. Ces résultats sont extrêmement prometteurs, avec un doublement des taux de survie par rapport à un groupe historique, et nous attendons avec impatience les résultats de l'essai de phase III avec cette molécule. Les effets secondaires sont fréquents, de type réactions auto-immunes parfois sévères (25 % de grade III ou IV), mais gérables à l'aide d'algorithmes décisionnels bien établis. Ces effets secondaires dose-dépendants, associés à la réponse, s'expliquent très logiquement par le mécanisme d'action et sont vraisemblablement le prix à payer pour être efficace. Cela peut être rapproché des données obtenues avec l'interféron adjuvant (Gogas, 2006 #16, ASCO 2008). En contrepartie, après des résultats prometteurs en phase II, le trémélimumab, autre anticorps monoclonal anti-CTLA4 en cours de développement, n'a pas montré de supériorité en termes de survie globale par rapport à une chimiothérapie classique. Il est possible que le schéma d'administration (15 mg/kg tous les trois mois) de cette deuxième molécule ne soit pas optimal ou que le switch de certains patients du groupe chimiothérapie dans des essais thérapeutiques, avec notamment l'ipilimumab, ait induit un biais pour l'interprétation des données de survie.
D'autres approches d'immunothérapie sont en cours : anticorps antagonistes anti-PD1, anticorps agonistes CD137, CD134…
Thérapies ciblées.
De nombreuses mutations somatiques ont été identifiées au sein des lésions tumorales de mélanome. Outre l'activation extrêmement fréquente de la voie des MAPK kinases, d'autres voies de signalisation sont activées : voie de la PI3 kinase par mutation ou inactivation de PTEN, Wnt-bêta caténine et de l'AMPc. Le mélanome a développé de nombreux mécanismes de résistance à l'apoptose – voie intrinsèque (surexpression de bcl 2, Mcl1, inactivation épigénétique de Apaf1) ou extrinsèque. Citons enfin le rôle de différents acteurs de l'angiogenèse ou de la progression tumorale, facteurs de croissance (VEGFA, VEGFC, HGF, PDGF…), intégrines (avb3), métalloprotéases. Beaucoup de thérapies ciblées sont actuellement à l'essai.
L'antisens anti-bcl2 (oblimersen) est la molécule la plus avancée dans son développement. Associée au Déticène, cette molécule a montré dans une étude de phase III, au cours du mélanome métastatique, un bénéfice en survie sans progression, et même un bénéfice en survie globale chez des patients avec LDH normale (étude de confirmation en cours)(Bedikian, 2006 #17). Un essai international de phase III de confirmation ciblant la population de mélanome métastatique avec LDH normales est en cours.
Les agents pro-oxydants, avec pour chef de file l'elesclomol, reposent sur une stratégie originale, exploitant la grande sensibilité des cellules tumorales, et notamment de mélanome, aux dérivés réactifs de l'oxygène (ROS). Ces cellules fonctionnent en « surrégime » avec une production de base élevée de ROS. Augmenter cette production induit la mort par apoptose, avec une relative sélectivité par rapport aux cellules normales. L'elesclomol, en association avec le taxol, a donné des résultats prometteurs en phase II contrôlée (contre taxol seul), et un essai de phase III est en cours.
Utilisés seuls, les inhibiteurs de BRAF sont décevants. En association à une chimiothérapie, le sorafénib, inhibiteur de BRAF, mais également puissant antiangiogénique, n'apporte pas de bénéfice en termes de survie sans progression chez des patients prétraités (ASCO 2007). Des études chez des patients naïfs sont en cours, de même que des essais avec d'autres inhibiteurs de BRAF ou de MEK. Dummer et coll. (ASCO 2008) ont montré quelques réponses chez des malades souffrant de mélanome métastatique avec un inhibiteur de MEK. Même si le taux n'est pas significativement différent de celui obtenu avec la chimiothérapie donnée au groupe contrôle, ces résultats plaident pour une poursuite du développement de cette molécule (études d'association).
Si les différents antiangiogéniques utilisés seuls se sont révélés globalement décevants dans le traitement du mélanome de stade V (bévacizumab, sorafénib, anti-avb3, inhibiteur de mTOR, inhibiteur de métalloprotéase), des combinaisons (avec des chimiothérapies ou des thérapies ciblées) sont en cours d'évaluation. Par ailleurs, on peut se réjouir des résultats très encourageants, bien qu'extrêmement préliminaires, d'une phase II précoce ciblée (ASCO 2008) où l'axitinib, inhibant l'activation de VEGFR1, 2 et 3, ainsi que de PDGFFR, permet un contrôle de la maladie chez 47 % des patients.
D'autres cibles sont prometteuses dans le cadre d'études précliniques, par exemple la voie Wnt/bêta caténine, la voie Notch…
En conclusion, si les dermatologues-oncologues restent encore très démunis face au mélanome métastatique inopérable, un grand espoir est suscité par les thérapies ciblées et de nouvelles stratégies d'immunothérapie évaluées dans le cadre d'une recherche clinique très active.
* Centre des cancers cutanés, hôpital Saint-Louis, Paris.
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