Du Brésil, le cinéma ne nous montre souvent que la violence. Walter Salles et Daniela Thomas, douze ans après « Terre lointaine », ont voulu, avec «Linhea de passe» (la passe, au football), aller plus loin et «faire un film âpre, mais où les gens pourraient, pour une fois, ne pas être jugés d'avance». Pour cela, s'inspirant de quatre histoires puisées dans la réalité brésilienne, ils nous entraînent à Saô Paulo, 20 millions d'habitants, à la suite des quatre fils de Cleusa, femme de ménage qui les a eus de pères différents et est à nouveau enceinte. Chacun représente un problème et une façon, bonne ou mauvaise, de tenter de s'en sortir, à l'image d'un pays «en état d'urgence et en crise identitaire», selon le diagnostic des deux cinéastes.
Reginaldo, le plus jeune et le plus noir de peau, qui subit les insultes racistes de moins foncés que lui, recherche obstinément son père. Dario rêve d'une carrière de footballeur, comme beaucoup de jeunes Brésiliens - chaque année, 2 millions de garçons de 15-17 ans essaient d'entrer dans les clubs de 2e ou 3e division, moins de mille y parviennent –, mais il va avoir 18 ans, l'âge couperet. Dinho, lui, cherche refuge auprès de Jésus, dans une église évangéliste. Tandis que l'aîné, Dênis, déjà père, gagne difficilement sa vie comme coursier et est tenté par la délinquance.
Loin de toute théorie, les deux réalisateurs parviennent à faire partager les angoisses et les espoirs des quatre garçons et de leur mère. Pas de démonstration, de dialogues explicatifs, juste des moments marquants, ceux de choix qui peuvent justement les faire basculer, ou non, du côté de la violence. On y croit grâce à la mise en scène vive et précise, aux acteurs, des débutants, à l'exception de Vinicius de Oliveira, le gamin de « Central Do Brésil », tourné par Salles en 1997, et au tournage au milieu d'authentiques habitants de la ville, voisins, footballeurs, coursiers…
Pendant ce temps, aux Philippines, une famille survit difficilement en exploitant un cinéma porno dans lequel des jeunes gens, principalement des mineurs, viennent proposer des services ( «Serbis», d'où le titre) sexuels. Brillante Ma. Mendoza suit mère, fille, petit-fils, cousin, dans les dédales du vieux bâtiment nommé « Family ».
Le petit garçon fait du vélo au milieu des prostitués. Et pour que l'on comprenne bien, quelques gros plans de fellation et autres scènes explicites ponctuent le film, qui montre une famille «qui se désagrège, reflétant une société en perpétuelle décadence». C'est pénible, sordide par moments, mais sûrement juste. Et la question posée par le cinéaste, « Qu'est-ce que la moralité, ou la légalité, dans une société qui s'appauvrit et où la survie est un combat quotidien ? », mérite sûrement d'être posée.
«Gomorra», de Matteo Garrone, 40 ans, nous ramène en Europe, au sud de l'Italie. Gomorra comme Gomorrhe, la cité du péché dans la Bible, mais aussi comme Camorra, le système mafieux qui règne sur Naples et la Campanie et, en trente ans, a tué 4 000 personnes. Le réalisateur s'est inspiré du livre du même titre de Roberto Saviano (Gallimard), jeune historien et journaliste si bien informé qu'il doit vivre sous protection policière.
Avec ses nombreux personnages (cinq histoires croisées) et son montage serré, le film rend compte de quelques-unes des principales activités de la Camorra : la drogue, bien sûr (dans le quartier de Scampia, dans la banlieue de Naples, un seul clan fait un bénéfice de 500 000 euros par jour), mais aussi le trafic de déchets toxiques, avec des conséquences désastreuses pour la santé des habitants des environs, ou la mode et la contrefaçon, sans oublier naturellement l'extorsion de fonds et le crime pur et simple. Ces multiples secteurs expliquent que des milliers d'hommes et de femmes, de jeunes surtout, soient dépendants de ce pouvoir criminel.
« Gomorra » montre bien cet embrigadement auquel il est difficile d'échapper. Les jeunes ne connaissent que la violence pour devenir quelqu'un et se faire respecter. Ils ont vu aussi, comme tout le monde, les films hollywoodiens sur la mafia et rêvent de jouer les Scarface (d'où un savoureux duo tragi-comique).
L'intelligence de Garrone est de mêler réalisme et suspense, sans négliger la psychologie et sans complaisance dans les scènes sanglantes. Tous les personnages principaux sont intéressants, tous ont leur humanité. Et si le constat – l'impuissance à lutter contre un système aussi organisé –, est plutôt désespérant, le film est passionnant.
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