LES PROGRES DANS LA connaissance des maladies mentales ne sont pas spectaculaires mais ils sont continus et, en vingt ans, une meilleure connaissance de la neurobiologie des maladies permet une meilleure utilisation des médicaments et des associations de médicaments, en particulier dans le domaine de la dépression.
Les nouveaux médicaments ainsi que ceux en cours de développement pour le traitement de la dépression sont de types très différents ; il s'agit :
- des inhibiteurs du recaptage de la sérotonine et de la noradrénaline. La venlafaxine (Effexor) et le milnacipran (Ixel) sont déjà disponibles, la doluxétine est en cours de développement, en phase III et devrait être approuvée assez rapidement, en tout cas aux Etats-Unis ;
- l'association, notamment dans la bipolarité, de l'olanzapine (Zyprexa) et de la fluoxétine (Prozac) ;
- de la gépirone qui est un agoniste 5HTA1. A la fin des années 1980 et au début des années 1990, les agonistes 5HTA1 avaient fait l'objet d'études mais leur développement aussi bien dans la dépression que dans l'anxiété avait été abandonné. Or la gépirone serait sur le point d'obtenir l'autorisation de la FDA aux Etats-Unis ;
- des antagonistes des récepteurs des glucocorticoïdes, autrement dit de la mifépristone ou RU 486. Les études dans le traitement de la dépression psychotique (dépression majeure avec délire), ne font que commencer ;
- également des antagonistes du CRF dont les études ne sont qu'au stade préclinique. Des travaux ont été menés chez l'animal, mais très peu d'études chez l'homme et aucune étude de phase II n'a été publiée ; des antagonistes des récepteurs de la substance P...
Les bipolaires : de 7 à 8 % de la population générale.
Les progrès dans la dépression ne viennent pas tant des médicaments (la clomipramine existait déjà il y a trente ans) que de la prise de conscience que le plus important n'est pas de traiter, mais d'empêcher que le malade ne rechute. Un patient qui présente un premier épisode dépressif est traité pendant six mois ; à la première rechute, il est traité pendant un an ; a partir de la deuxième rechute, il est traité pendant dix-huit mois ; troisième rechute, il est considéré presque à coup sûr comme un bipolaire et le plus important, dans l'évolution récente des idées et des recherches actuelles, c'est le traitement de la bipolarité.
Grâce à l'épidémiologie, on sait que 1 % de la population générale est bipolaire de type 1 avec alternance d'épisodes dépressifs et d'épisodes maniaques, que de 7 à 8 % de la population sont bipolaires de type 2 avec alternance d'épisodes dépressifs et d'épisodes hypomaniaques. La bipolarité, dans ce cas, est plus difficile à mettre en évidence car les patients viennent consulter quand ils sont déprimés, mais pas quand ils sont en phase hypomaniaque. Dans le système de santé actuel, il faut environ dix ans pour qu'un bipolaire de type 2 soit repéré comme tel ; alcoolisme, tabagisme, prise de drogue sont le premier autotraitement des bipolaires (plus de 50 % d'entre eux) et pendant dix ans ils mènent en général une vie chaotique qui peut même les conduire en prison.
Des problèmes diagnostiques.
L'un des grands problèmes de la psychiatrie actuelle est celui du diagnostic et du traitement précoces des malades.
Lorsqu'un malade déprimé est vu par un médecin, on peut penser que l'épisode dépressif a commencé deux mois avant ; lorsque une bipolarité est repérée par un praticien, on peut estimer que le malade est bipolaire depuis une dizaine d'années.
De plus, aux deux âges extrêmes de la vie, le diagnostic de dépression est difficile. Parmi les enfants qui présentent une hyperkinésie avec déficit de l'attention, probablement huit sur dix deviendront des bipolaires. Le traitement de ces enfants par la ritaline et maintenant la ritaline retard ou le Concerta LP leur permet de suivre leur scolarité, mais n'a pas d'action sur l'évolution vers la bipolarité dont il est rare de pouvoir faire le diagnostic avant l'âge de 13-14 ans.
Chez le sujet âgé de plus de 70 ans, la survenue d'un épisode dépressif traduit neuf fois sur dix le début d'une maladie d'Alzheimer. C'est pourquoi le manque de preuves d'efficacité des antidépresseurs chez le sujet âgé est peut être lié au fait que la majorité des sujets âgés qui présentent un épisode dépressif sont en fait des déments.
Des associations pour traiter la bipolarité.
Un déprimé qui est bipolaire doit être traité et il faut lui prescrire, en phase dépressive, un antidépresseur, mais l'antidépresseur majore le risque de passage en phase maniaque ou hypomaniaque ; on sait maintenant qu'il faut l'associer à un normothymique, il s'agit d'un progrès considérable. De fait, ce qui va vraiment changer dans les prochaines années, c'est le diagnostic de bipolarité : les médecins soigneront de moins en moins d'unipolaires et de plus en plus de bipolaires. Quatre vingts pour cent des déprimés unipolaires deviennent des bipolaires et il va falloir de plus en plus envisager un traitement adapté à la bipolarité avec un médicament qui stabilise, le normothymique, et un médicament antidépresseur.
L'idéal bien sûr serait de disposer d'une molécule qui permette de ne pas être déprimé et de ne pas être hypomane, mais un tel médicament n'existe pas pour l'instant. L'orientation se fait donc vers des associations.
Et pour les patients dont on sait qu'ils sont déprimés et qu'ils vont être difficiles à traiter par un antidépresseur sans présenter très rapidement un épisode maniaque ou hypomaniaque, les Américains utilisent maintenant la lamotrigine (Lamictal).
La manie aiguë.
Le traitement de l'épisode maniaque aigu repose sur le lithium ou un neuroleptique. En Europe, les médecins utilisent encore beaucoup l'halopéridol alors que dans les pays anglo-saxons, notamment aux Etats-Unis, ils utilisent de plus en plus la risperidone (Risperdal) ou l'olanzapine (Zyprexa).
Récemment il a été montré que le lithium qui, par définition, n'est pas un neuroleptique, agit dans la manie aiguë sur les aspects psychotiques de la maladie aussi bien que les neuroleptiques.
Il faut aussi souligner que l'aspect psychotique de la manie aiguë peut parfois ressembler, notamment chez le sujet jeune, à une schizophrénie ; si celui-ci est relativement accessible au lithium, la schizophrénie, elle, ne l'est pas. lorsqu'un sujet âgé de 22-23 ans présente un épisode psychotique, il faut donc rester très circonspect avant de lui attribuer l'étiquette de schizophrène.
Des antipsychotiques à spectre plus large.
Dans le domaine des antipsychotiques, les progrès ont été marqués par une évolution des neuroleptiques atypiques (halopéridol) qui bloquent les récepteurs dopaminergiques D2 vers des substances qui ont un spectre plus large, notamment sur le système sérotoninergique, au niveau des récepteurs 5HT2, voire des récepteurs 5HT1. De nouvelles substances sont déjà commercialisées aux Etats-Unis et vont l'être en France comme l'aripiprazole qui est un agoniste partiel de récepteurs D2. Un autre agoniste partiel des récepteurs D2 est également en développement : le biféprunox. Ces médicaments dont le mécanisme d'action est différent de celui des antipsychotiques classiques entraînent moins d'effets secondaires extrapyramidaux, moins d'akinésie et on pense que ce sont de meilleurs régulateurs. Chez un malade en période de symptômes productifs, en période de délire, d'hallucinations, il existe, en effet, une hyperproduction de dopamine : les agonistes partiels vont limiter la production de dopamine sans bloquer les récepteurs. A l'inverse, en période de symptômes négatifs quand le malade est hébéphrène, présente un retrait, ces molécules vont favoriser la libération de dopamine. Ce mécanisme d'action incite à penser que, à terme, ces nouveaux antipsychotiques pourraient mieux réguler et mieux normaliser les épisodes productifs ou au contraire négatifs du schizophrène.
D'après un entretien avec le Pr Michel Bourin, EA 3256 neurobiologie de l'anxiété et de la dépression, faculté de médecine de Nantes.
Beaucoup de questions encore sans réponse dans le traitement de la dépression
Le traitement de la dépression pose encore beaucoup de problèmes au clinicien comme au pharmacologue, tels que :
- la réponse aux antidépresseurs : pour la plupart des antidépresseurs sur le marché, elle est actuellement de l'ordre de 70 %, autrement dit 30 % des patients sont des non-répondeurs ;
- le délai de réponse aux antidépresseurs : il est de 3 à 5 semaines et aucun médicament pour l'instant ne permet d'obtenir une réponse rapide ;
- l'âge des patients : les sujets jeunes âgés de moins de 18 ans répondent très mal aux antidépresseurs. Quant aux malades âgés, peu de données existent sur leur réponse au traitement antidépresseur ;
- la tolérance au traitement : prises de poids, interactions médicamenteuses, altérations ou non de la fonction sexuelle après traitement sont autant de questions encore non résolues ;
- le diagnostic de bipolarité : quand un psychiatre voit pour la première fois un sujet déprimé, il ne sait pas si ce déprimé est un unipolaire ou potentiellement un bipolaire. La distinction est pourtant importante car on s'est aperçu que les antidépresseurs aggravent souvent les malades bipolaires.
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