Décision Santé. Lors de la conférence sur le déficit qui s’est tenue le 28 janvier dernier, il a été annoncé une réforme du comité d’alerte. Pensez-vous que ce comité ait failli ?
Fréderic Van Roekeghem. Ce n’est pas exactement d’une réforme dont il s’agit, mais d’une optimisation. Installé en 2004, le comité d’alerte a permis d’encadrer l’évolution de l’Ondam et d’obtenir un meilleur respect du vote du parlement. Il y a eu, certes, des dérives les années antérieures : nous avons parfois dépassé les objectifs de l’Ondam de plus de trois milliards d’euros. Cette situation n’était plus tolérable. Actuellement, le mécanisme du comité d’alerte peut être qualifié de souple. Il se déclenche lorsque l’écart observé dépasse 0,75 % du montant du budget voté par le parlement. Faudra-t-il le faire évoluer ? C’est l’enjeu de la mission confiée à Raoul Briet.
D. S. Éric Woerth a évoqué, pour 2010, un Ondam à 2 %. Qu’en pensez-vous ?
F. V.-R. Des réflexions ont été menées sur le sujet. Mais je retiens que le Premier ministre s’est prononcé en faveur d’un Ondam sous la barre 3 %. Ce qui ne veut pas dire que l’Ondam sera fixé à 2 %… Pour que l’Ondam soit respecté, il doit être fixé de façon réaliste et tenir compte de l’évolution naturelle des dépenses de santé.
D. S. Au vu des déficits de cette année et de l’an dernier, l’assurance maladie envisage-t-elle une réforme structurelle des dépenses et recettes ?
F. V.-R. Nous travaillons, d’un point de vue structurel, sur les réformes qui tendent à optimiser les dépenses de santé, à mieux maîtriser leurs coûts. Cela nous paraît être la première des priorités. La question de la répartition entre les régimes obligatoire, complémentaire et les ménages est une question seconde. Ce qui ne veut pas dire qu’elle est secondaire.
Quant au financement, nous devons nous poser la question suivante : quel est le moteur de la croissance des dépenses de santé ? L’une des principales causes de l’augmentation des dépenses est la croissance du nombre et du coût des traitements des patients porteurs de pathologies chroniques, principalement le cancer, les maladies cardio-vasculaires, le diabète, les pathologies psychiatriques… La diffusion des techniques participe également à l’envol de dépenses. Par exemple, l’augmentation du nombre d’interventions pour la cataracte et les prothèses de hanche ont augmenté entre 40 et 60 % au cours des dix dernières années, alors que la population âgée n’a pas augmenté dans des proportions comparables. À l’avenir, l’un des enjeux sera de mieux maîtriser les conséquences de ces évolutions. Trois grandes priorités devront toutefois être respectées. La première repose sur une meilleure prévention de ces pathologies. Seconde volet : l’amélioration des conditions de recours au système de soin. Enfin, dans le domaine du médicament, les prescriptions ne sont pas assez hiérarchisées, si bien que les volumes de vente restent élevés.
D. S. Cela signifie-t-il que nous hospitalisons trop en France ?
F. V.-R. Historiquement, nous n’avons pas veillé à développer, comme dans le nord de l’Europe, une médecine de ville mieux organisée, apte à accueillir en aval ou en amont de l’hospitalisation davantage de patients, bénéficiant d’une sécurité de soins maximale.
D. S. L’assurance maladie devait lancer un chantier de « traçabilité » des prescriptions à l’hôpital. Où en êtes-vous ?
F. V.-R. En effet, on ne peut pas demander au prescripteur hospitalier de s’interroger sur ses prescriptions, si l’on n’est pas capable de lui fournir ses données. Où en sommes-nous ? Nous sommes en train de peupler le référentiel commun de l’ensemble des prescripteurs. Une fois qu’il sera réalisé, nous déploierons les logiciels au sein des officines de ville. Cela est programmé dans la version 1 -40 de Sesam-Vitale qui sera disponible au cours de l’année.
D. S. Êtes-vous partisan de la convergence tarifaire public-privé ?
F. V.-R. Tout le monde doit faire un effort pour améliorer son efficience. Aucun offreur de soins ne peut en être exonéré. Néanmoins, l’hôpital public doit respecter ses missions de service public. Il reçoit la plus grande part des soins non programmés, suite à une urgence. Les statuts des personnels lui offrent certes des garanties mais aussi des contraintes comme dans le cas des récupérations. Les systèmes ne sont pas comparables. Il est donc difficile de les comparer. Néanmoins, du point de vue de l’assureur, nous souhaitons que nos assurés soient soignés au meilleur prix à qualité donnée…
D. S. C’est-à-dire ?
F. V.-R. En d’autres termes, nous sommes favorables, comme nous l’avons d’ailleurs dit en juillet dernier, à un rapprochement progressif des échelles tarifaires, sachant que cela présuppose de valoriser à leur juste prix les contraintes de service public.
D. S. Faut-il attendre 2018 ?
F. V.-R. Je n’ai pas à me prononcer sur une mesure votée par le parlement. À titre personnel, j’aurais souhaité que cela aille un peu plus vite.
D. S. Pensez-vous que les mutuelles peuvent prendre en charge, en partie, les ALD ?
F. V.-R. Toutes les expérimentations sont intéressantes. C’est avec beaucoup d’intérêt que nous allons considérer les propositions de la Mutualité française. Néanmoins, la dépense de santé représente 200 milliards d’euros, c’est-à-dire 11 % du PIB en France. Et cette dépense évolue plus vite que la richesse nationale. Je ne pense pas que les assureurs privés puissent avoir les fonds propres suffisants pour faire face à une telle évolution. L’enjeu pour nous, prioritairement, reste la maîtrise des dépenses de santé. Et faire en sorte que la croissance économique de la France aille de pair avec une amélioration de la santé de nos concitoyens.
D. S. La maîtrise des dépenses est un fait. Mais l’on peut également, pour parvenir à l’équilibre, augmenter les prélèvements. Qu’en pensez-vous ?
F. V.-R. Dès lors que tous les efforts auront été faits pour maîtriser les dépenses de soins, que la couverture du régime obligatoire aura été maîtrisée, il faudra alors envisager de créer des financements complémentaires.
D. S. Faudra-t-il augmenter la CSG ?
F. V.-R. C’est une des possibilités qui s’offrent à nous, mais il appartient au parlement de décider du moment et des moyens à engager.
D. S. Selon vous, quand cela devrait-il se produire ?
F. V.-R. Sur les recettes, l’assurance maladie n’a pas en charge de lever l’impôt. C’est le parlement qui en décidera. Je crois que la priorité en matière de recettes ira très certainement à la branche retraite, qui va faire l’objet d’une réforme en 2010. Il apparaît improbable que l’on puisse faire tous les efforts en même temps, à la fois la réforme des retraites et celle du financement des dépenses de santé.
D. S. Pouvez-vous, malgré tout, ébaucher un calendrier ?
F. V.-R. Le président de la République devrait tenir une seconde conférence sur le déficit en avril. Il est fort probable qu’une partie des réponses à vos questions seront vraisemblablement formulées à ce moment-là.
D. S. Faut-il accorder une place plus importante aux assurances privées ?
F. V.-R. De fait, depuis le début des années quatre-vingt-dix, les complémentaires prennent une place de plus en plus importante dans le remboursement des soins courants, et nous sommes, l’assurance maladie, beaucoup plus présents sur les soins lourds, puisque nous couvrons l’hôpital à 95 %, et les ALD à 95 %.
D. S. Didier Tabuteau a affirmé dernièrement que les remboursements courants, hors soins aigus et maladies chroniques, étaient passés à 55 %. Qu’en pensez-vous ?
F. V.-R. Nous sommes en train de faire un certain nombre de calculs pour vérifier ces assertions. Mais M. Tabuteau a mis le doigt sur une situation qui est réelle. Aujourd’hui, dès lors que nos remboursements se concentrent de plus en plus sur les pathologies lourdes, que le taux de prise en charge moyen est stable, les régimes complémentaires ou les ménages peuvent prendre une part plus importante dans le financement des dépenses de soins courants. Mais la question de fond est la suivante : le régime d’assurance maladie deviendra-t-il un régime qui réassurera principalement le risque lourd, ou conserverons-nous un système de Sécurité sociale à la française, qui couvre l’ensemble des assurés et de leurs soins, y compris les soins les plus courants ? C’est un choix politique majeur.
D. S. De quel avenir êtes-vous partisan pour l’assurance maladie ?
F. V.-R. Je suis plutôt partisan d’une assurance maladie solidaire qui couvre l’ensemble de ses assurés. Mais ce n’est pas à moi d’en décider.
D. S. Le Capi* a été un succès. Pourrait-on imaginer une variante à l’hôpital ?
F. V.-R. Oui, bien sûr. Elle existe déjà dans d’autres pays, grâce à un paiement à la performance. Par exemple, certains pays ont souhaité apporter des rémunérations complémentaires aux services de cardiologie qui prennent en charge les patients selon les référentiels médicaux, et veillent à la prescription de sortie, notamment à la prise en charge médicamenteuse.
D. S. Pensez-vous que les professionnels de santé tout comme les assurés ont pris conscience de l’ampleur des déficits ?
F. V.-R. La prise de conscience est faite, mais il n’y a pas eu de transfert de responsabilités. Les déficits restent un chiffre abstrait pour la majorité des gens, vraisemblablement lourd, mais le transfert de responsabilité ne s’est pas encore opéré. C’est plus vécu comme une contrainte que comme un enjeu majeur. Le jour où le transfert de responsabilités sera partiellement engagé, où les citoyens auront le sentiment qu’ils doivent engager eux-mêmes des actions, on pourra progresser. Les marges de manœuvre seront plus importantes en termes de recettes tout comme en termes de dépenses.
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