Décision Santé. Le privé doit-il copier le public ?
Jean-Loup Durousset. Je suis tenté de vous répondre non. En revanche, nous devons écouter ce que le public pense de nous. Cette écoute peut modifier notre comportement. Le secteur public a, à nos yeux, des défauts importants. Mais leur opinion sur l’hospitalisation privée peut nous amener à nous corriger.
D. S. Quels sont ces défauts dont vous parlez ?
J.-L. D. Je suis assez sensible aux critiques qui visent la sélection de patients que pratiquerait l’hospitalisation privée. Mais ces critiques nous permettent de nous remettre en cause. Il n’y a pas de fumée sans feu. Ainsi il est possible que les médecins, qui sont en contact avec les patients, ont une tout autre appréhension de l’accueil des patients que les responsables d’établissements privés. C’est possible. Ils peuvent en effet avoir une posture plus ou moins accueillante vis-à-vis des patients, au regard de leur tarification.
D. S. Mais aurez-vous suffisamment de praticiens hospitaliers pour encadrer vos internes ?
J.-L. D. Nous n’avons pas pour objectif de faire de l’enseignement théorique, mais seulement de la pratique. La plupart des praticiens qui exercent chez nous sont d’anciens chefs de clinique. Nous allons opérer une première sélection d’équipes motivées. Il faut bien sûr faire un peu de recherche sur sa spécialité, publier ses travaux… On a souhaité monter des premières équipes motivées par la recherche, la publication, la transmission de savoirs, etc.
D. S. Pouvez-vous nous citer des exemples ?
J.-L. D. Nous avons 400 équipes intéressées par l’accueil des internes. J’ai en tête l’exemple des anesthésistes de la clinique du Tonkin du groupe Capio. Cela fait plusieurs années qu’ils accueillent des internes. Plus récemment, je peux vous citer également un exemple que je connais bien, celui du centre hospitalier privé de la Loire, qui accueille des internes depuis trois ans, et a mis en place avec une équipe d’anesthésistes réanimateurs des stages à l’intention des médecins généralistes.
D. S. En matière de recherche, le privé peut-il égaler le public ?
J.-L. D. Si l’on se lance dans une activité, ce n’est pas pour faire pareil, c’est pour faire mieux. C’est notre nature d’être ambitieux. Nous voulons faire mieux que le public, y compris dans l’accueil des plus démunis, ou dans les services d’urgence. Il en est de même pour la recherche. Même si, dans un premier temps, nous avouons ne pas être à même de faire de la recherche fondamentale. En revanche, nous nous faisons fort de faire de la recherche clinique. Quand on fait 50 à 60% de la cancérologie en France, et que l’on recherche des cohortes pour mener certaines expérimentations, l’on se doit d’y participer. Qui plus est, la recherche clinique pourrait être un élément clé de cohésion de nos équipes médicales. Elle est un élément fédérateur.
D. S. Quelles sont vos ambitions concernant l’accueil de la précarité et les urgences ?
J.-L. D. Les urgences et l’accueil de la précarité ne sont pas affaire de statut, mais de localisation et de bonne volonté. On peut imaginer que ces questions sont plus prégnantes à Sarcelles qu’à Neuilly-sut-Seine. Et il y a des établissements privés à Sarcelles. Nous sommes sensibles à cette question. Pour autant la réponse que nous apportons à la prise en charge de la précarité n’est pas nécessairement identique à celle du public (exergue). Nous appliquons le principe de modulation : selon les revenus, les médecins modèrent le prix de la consultation. Notre problème, c’est que nous n’avons jamais pu mesurer cette bonne volonté médicale. Nous sommes incapables de mesurer le pourcentage de patients en CMU ou en AME accueillis en cliniques. Cela devrait être transparent.
D. S. Malgré tout, cela va-t-il dans le sens du mieux ?
J.-L. D. Oui et surtout depuis le vote de la loi HPST. Mais on sent qu’il y a encore des réticences. Ce que j’ai dit sur l’absence de communication autour des urgences vaut aussi bien pour les maternités, la chirurgie, etc. Nous regrettons également que les ARS aient la responsabilité de la nomination des directeurs d’établissement public. Cela entraine des risques de favoritisme.
D. S. Le salariat, n’est-ce pas aussi une manière de résoudre les dépassements d’honoraire ?
J.-L. D. C’est une autre question. Nous avons toujours recommandé d’appliquer la règle « tact et mesure ». Nous voulions trouver un accord : c’est pour cela que nous n’étions pas défavorables à la médecine en secteur optionnel.
D. S. Parlons des groupements de coopération sanitaire. Voit-on apparaître, de plus en plus, des regroupements public-privé ?
J.-L. D. Lorsqu’il y a une coopération entre le public et le privé, dans 90% des cas le GCS va devenir public. On ne peut pas admettre que notre patrimonialité soit rayée d’un trait de plume, que notre mode de fonctionnement s’aligne sur le public.
D. S. Y a-t-il actuellement des exemples de GCS public-privé selon les statuts imposés par la loi HPST ?
J.-L. D. Non pas encore, mais les ARS traitent des dossiers en cours. Dans les grandes villes, nous ne sommes pas favorables à ce que les cliniques rentrent dans les CHT. En revanche on peut très bien imaginer de travailler de concert sur une population. Je l’ai moi-même proposé aux HCL en proposant de travailler sur la qualité des soins dispensés aux patients du bassin est de Lyon. Je ne suis pas sûr que le public soit intéressé par ce genre de coopération, car il n’y a pas de facteurs incitatifs. Par ailleurs, il est un peu tôt pour parler de GCS public-privé. Le public doit déjà dans un premier temps fédérer ses secteurs que sont le médico-social, le sanitaire, la médecine de ville, etc. Qui plus est, il faut élaborer des schémas régionaux, de nouvelles autorisations pour les soins de suite, etc.
J.-L. D. Les cliniques emploient de plus en plus l’appellation « hôpital ». Pourquoi ?
J.-L. D. Je vous rappelle qu’à l’origine les hôpitaux étaient privés. C’est quasiment naturellement que nous en revenions aux origines. Le terme de « clinique » désigne un établissement de petite taille, souvent spécialisé. Aujourd’hui, le système a évolué. Pour nous, derrière le mot « hôpital », il y a le mot « mission », qu’il n’y a pas derrière le mot « clinique », lequel désigne plutôt une association de professionnels. Cette mission, c’est l’accueil de tout un chacun, c’est la recherche, la prévention, de l’éducation. Nous sommes passés du simple statut d’association de médecins qui se regroupent pour mutualiser des moyens à celui de pourvoyeur de missions de service public. Nous conservons aussi le terme « privé » pour différencier nos méthodes de celles du public. Mais notre objectif, public et privé, reste le même.
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