Réforme du médicament, création des Agences régionales de santé, révision des lois bioéthiques, plan Alzheimer, nouvelle convention médicale… À votre avis, lequel de ces chantiers, engagés sous votre présidence, marquera le plus le monde de la santé ?
Votre question témoigne de l’ampleur des changements que nous avons engagés. Je me suis impliqué personnellement sur les questions de santé dès mon élection. Mon premier déplacement en tant que Président de la République s’est fait au CH de Dunkerque. Choisir une réforme plutôt qu’une autre est toujours difficile, d’autant que nous avons depuis 2007 fait bouger la totalité du système de santé : la gouvernance hospitalière comme l’organisation de médecine de ville, le système de sécurité sanitaire du médicament comme la rémunération des médecins libéraux. Je crois néanmoins que je retiendrais avant tout la dynamique de changement impulsée avec les médecins libéraux et les professionnels paramédicaux. La nouvelle convention médicale engage une révolution dans la rémunération des médecins libéraux. En parallèle le déploiement massif des maisons et pôles de santé pluridisciplinaires va transformer en profondeur l’organisation des soins. Par ailleurs, l’assurance-maladie a noué des accords ambitieux avec les infirmières libérales et les masseurs kinésithérapeutes qui vont permettre de rééquilibrer la répartition de ces professionnels sur le territoire. Nous construisons l’avenir et personne ne reviendra en arrière.
Pendant votre quinquennat, vous avez dû faire face à l’affaire Mediator. Les autorités de santé sont maintenant confrontées au scandale des prothèses PIP. Les agences sanitaires sont fortement chahutées ces derniers temps... Les réformes qui ont été impulsées suffiront-elles ?
Permettez-moi de souligner la réactivité et l’efficacité du Ministre en charge de ces dossiers, Xavier Bertrand, qui a su prendre les bonnes décisions sur le dossier du Médiator en engageant une réforme en profondeur de notre politique de sécurité sanitaire des produits de santé après une concertation aussi exemplaire qu’approfondie. Nous avons aujourd’hui un système d’expertise et de contrôle plus transparent et plus efficace. Il était impératif de garantir à nos concitoyens une confiance totale vis-à-vis de la chaîne du médicament.
S’agissant du dossier PIP, nous sommes également totalement déterminés à ce que toutes les responsabilités soient identifiées. C’est le sens des enquêtes qu’a demandé Xavier Bertrand et sur lesquelles nous ferons la transparence la plus totale. Il semble à ce stade que nous sommes en face d’une tromperie manifeste qui dépasse les frontières de notre pays. La justice est saisie.
Concernant les problèmes d’accès aux soins (financiers ou géographiques), les solutions conventionnelles ou législatives récemment adoptées sont-elles les bonnes ? Faut-il envisager des mesures plus contraignantes pour combattre désertification médicale et dépassements excessifs ? Doit-on multiplier le nombre de maisons de santé pluridisciplinaires sur le territoire, jusqu’à atteindre le millier en 2017, comme le suggère l’UMP ?
J’ai choisi sur ces sujets un principe et une méthode. Le principe, c’est celui de la confiance. La méthode, celle du dialogue et du partenariat avec les professionnels de santé. Parce que je ne crois pas à la coercition. Parce que je ne veux pas que nos concitoyens viennent consulter des médecins généralistes qui se seront installés « de force », par la contrainte. Ce n’est pas ce que veulent les Français. Pour autant, je ne néglige pas l’inquiétude de beaucoup d’élus locaux, qui se font eux-mêmes les porte-parole des craintes de leurs administrés. C’est la raison pour laquelle nous avons, avec les médecins libéraux et les autres professionnels, une obligation de résultats.
Et lorsque je vois les résultats que nous obtenons s’agissant des maisons de santé pluridisciplinaires, je me dis que nous avons fait les bons choix. En 2007, les maisons de santé pluridisciplinaires étaient portées par une poignée de « militants ». Faire aboutir leur projet tenait du parcours du combattant. Aujourd’hui, nous avons 250 maisons de santé opérationnelles et plus de 500 projets solides qui vont aboutir dans les prochains mois. Nous sommes donc largement en avance sur notre feuille de route. Pour une raison simple : parce que nous avons mis élaboré et déployé des outils juridiques, des financements, et des appuis opérationnels pour véritablement accompagner les projets des professionnels libéraux. Nous avons travaillé en lien avec les élus locaux. Nous pouvons maintenant capitaliser sur ces efforts, la montée en charge va se poursuivre fortement dans les prochaines années.
S’agissant des dépassements d’honoraires, le Parlement a défini les paramètres d’une première étape pour le secteur optionnel. Celle-ci doit se mettre en place rapidement. Je reste convaincu qu’une régulation commune entre l’assurance-maladie et les organismes complémentaires et partagé avec les médecins libéraux est la bonne solution.
Un nouveau dispositif de paiement à la performance se met en place, en 2012, pour les généralistes. Cela correspond-il à votre souhait de diversification de la rémunération des médecins généralistes ? Faut-il aller plus loin dans cette dynamique, quitte à réduire encore la place du paiement à l’acte ?
En décembre 2010, lors de mon déplacement à Orbec, dans le Calvados, j’avais fixé le cap de la diversification de la rémunération des médecins libéraux. Il ne s’agit pas de remplacer le paiement à l’acte, mais de construire sur la base du paiement à l’acte des formes complémentaires de rémunérations. Pour reconnaître les nouvelles missions des médecins libéraux. Pour mieux orienter vers les bonnes pratiques. Les syndicats médicaux et l’Assurance Maladie ont abouti ensemble au dispositif du paiement à la performance. Je relève que cette nouvelle convention médicale a été signée par une très large majorité de syndicats médicaux, ce qui est inédit et prouve de la solidité de cet engagement. Le défi est maintenant de le faire vivre sur le terrain mais je me félicite que cette convention puisse se déployer sur la base d’un quasi-consensus du corps médical. Qui aurait pu dire, il y a seulement cinq ans, que nous aurions ce consensus autour d’une évolution si ambitieuse de la rémunération des médecins libéraux, après tant d’affrontements stériles ? Il faut aller au-delà, notamment en matière d’allégement de la paperasserie et des procédures qui occupent beaucoup trop de temps des professionnels de santé. Nous devons également continuer à progresser dans la voie de l’informatisation des cabinets.
Les places respectives de l’hôpital et de la médecine de ville dans le système de soins français sont-elles selon vous à redéfinir ? Et quel rôle doit avoir à vos yeux la médecine générale dans notre système de soins ?
Avec la loi sur l’hôpital voté en 2009, nous avons engagé une réforme de la gouvernance de l’hôpital et de sa place dans le système de soins. Il faut le recentrer sur ses missions prioritaires : la prise en charge des pathologies aiguës. Il faut lui permettre de mieux coopérer sur son territoire, avec la médecine libérale comme avec les autres établissements de santé, publics comme privés. Ces évolutions sont maintenant pleinement engagées, mais tout cela demande du temps.
S’agissant de la médecine générale, sa place est absolument centrale. Il faut continuer à consolider, en cohérence avec ce que nous avons fait depuis 2007 : la pleine reconnaissance de la médecine générale comme une spécialité à part entière, la structuration d’une filière d’enseignement dédiée et sur le terrain, la structuration d’une médecine de proximité dont le médecin généraliste est le pivot. Regardons la situation chez nos voisins européens et mesurons la chance que nous avons de pouvoir justement nous appuyer sur des médecins généralistes nombreux, bien formés, facilement accessibles pour la population.
Les médecins ressentent un sentiment d’insécurité grandissant, certains ont même été agressés au sein de leur propre cabinet. Quelles mesures envisagez-vous pour faire face à cette situation décourageante pour les nouvelles installations ?
Claude Guéant et Xavier Bertrand ont d’ores et déjà engagé un plan d’action pour renforcer la sécurité des cabinets libéraux avec notamment le développement de caméras de surveillance aux abords des cabinets, et la facilitation du dépôt de plainte pour les médecins libéraux. L’agression d’un médecin libéral dans un quartier difficile est d’autant plus inacceptable qu’il rend un service dont bénéficie toute la population. Voir un médecin dévisser sa plaque pour cette raison est un gâchis insupportable.
Par ailleurs, n’oubliez pas que les différentes aides à l’installation concernent tout aussi bien les territoires ruraux que les zones urbaines sensibles. Il faut créer un ensemble de conditions favorables pour maintenir les cabinets dans ces zones, voire attirer de nouveaux médecins.
Le Haut conseil du financement de la protection sociale doit se mettre bientôt au travail. Qu’attendez-vous de ses réflexions, alors même que le gouvernement semble s’orienter vers une mise en place rapide de la TVA sociale ?
J’ai en effet annoncé dans mes vœux pour 2012 ma détermination à agir rapidement pour diminuer le coût du travail dans notre pays. C’est essentiel à la compétitivité de nos entreprises, à la croissance et à l’emploi. Cela passe par une réforme du financement de la protection sociale. Nous en débattrons avec les partenaires sociaux lors du sommet social du 18 janvier. Pour autant, il s’agira d’une première étape, et le Haut conseil du financement de la protection sociale devra notamment permettre par ses travaux d’évaluer sa mise en œuvre et mener les travaux d’analyse complémentaires.
Lors de votre déplacement à Bordeaux, vous aviez déclaré la guerre à la fraude sociale. Ce sujet sera-t-il pour vous au cœur des débats de la prochaine campagne présidentielle ?
Il est surtout au cœur de notre action, aujourd’hui. En croisant les fichiers des différentes administrations, en augmentant et en ciblant mieux les contrôles. En systématisant les sanctions. Face à la fraude sociale, comme face à la fraude fiscale, nous devons avoir comme principe la tolérance zéro. Dans une période où l’on demande des efforts à tous les Français, rien n’est plus insupportable pour nos concitoyens que de voir des profiteurs jouer de la générosité du système. C’est donc une priorité aujourd’hui et cela le restera. D’ores et déjà nous avons obtenu des résultats. En 2010, 3,4 Mds d’euros ont été détectés au titre des fraudes sociales, fiscales et douanières, soit 20 % de plus qu’en 2009. Cela montre l’efficacité de la répression de ce phénomène inacceptable.
Qu’il s’agisse de l’accès à la procréation médicalement assistée, de la recherche sur les cellules embryonnaires ou de la revendication d’une assistance médicale pour mourir, la France campe dans une position plus restrictive que ses voisins. A gauche, comme à droite, certains prônent une attitude plus libérale sur ces questions. Et vous ?
Sur des sujets qui touchent au cœur de la condition humaine, il faut avant tout préserver les valeurs qui fondent notre société et notre conception de la personne humaine. Tout ce qui est techniquement possible est-il humainement souhaitable ? Évidemment non. C’est le débat que nous avons eu lors de la révision des lois de bioéthique, débat qui a montré l'adhésion des Français aux principes qui fondent ces lois : le respect de la dignité humaine, le refus de toute forme de marchandisation et d'exploitation du corps humain.
Certains nous disent que nos voisins vont plus loin que nous sur tel ou tel sujet. Je ne me résous pas à l’idée que nos règles éthiques devraient être copiées sur celles existant à l’étranger. Restons fidèles à nos valeurs !
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