Courrier des lecteurs

On nourrit les vautours

Publié le 21/09/2018

Cette vieille dame, la médecine générale française est moribonde. Le seul remède qu’on lui administre est de jeter ses restes – sans attendre qu’elle ait rendu son âme à son Dieu - aux vautours, ce qui est en train de se faire sous nos yeux, en lui promettant, disons, ce que les médecins ont toujours dit aux mourants quand ils ne veulent pas mourir ; alors, les médecins ne sont pas dupes. Et puis, comment (et pourquoi) sauver une vieille dame en coma dépassé ? Après avoir été détruite progressivement à coups de réformes thérapeutiques inappropriées, comment refuser de voir et d’accepter cette évolution fatale, mais il est vrai, on ose accuser les médecins de faire la même chose avec leurs patients. Cette vieille dame fait semblant de s’accrocher à la vie, comme nos patients l’ont fait à leur heure.

La médecine générale en bonne santé, c’était quoi ?

- La médecine de premier recours ; actuellement, même dans les grandes villes qui ne sont pas des déserts, impossible de prendre un rendez-vous par téléphone, il faut prendre rendez-vous par une plateforme, le premier rendez-vous est à 10 jours ; effet pervers de ces plateformes. Adieu rhume, grippe, panaris, entorse, appendicite, infarctus, AVC, mort subite. Tout cela va être confié à des CPTS et les médecins d’un tel groupement ne feront de la vraie médecine que le temps d’une garde ; ou confié à médecine-pizza, comme on dit dans les grandes villes, de quoi améliorer le menu de la future médecine à la française ! Je me souviens, jeune interne d’un hôpital périphérique, comme on disait autrefois, avoir reçu aux urgences une jeune fille dont le médecin ne savait plus quoi lui proposer. Elle avait une grosse rhinopharyngite très fébrile, elle a reçu de l’amoxicilline, et le lendemain, elle faisait du muguet. Changement d’antibiotique, elle fait une énorme allergie cutanée, d’où hospitalisation, ne sachant plus quoi donner. Elle avait seulement une rougeole, époque où le vaccin n’existait pas encore, mais le médecin avait été incapable d’en faire le diagnostic ! Alors effectivement, quand on ne verra plus du tout de malades « à l’ancienne », ces derniers auront beaucoup de soucis à se faire, mais rassurons-nous c’est déjà le cas. C’est pourquoi les politiques ont pensé à recourir aux vieilles divinités, relookées pour notre anthropocène, (les vieilles et mêmes recettes sont toujours acceptées par le peuple) ici Esculape devenu un dieu de l’informatique pour faire diagnostics et proposer traitements, et dont la parole sera dévoilée dans ces nouveaux temples que seront les maisons médicales, par interrogation des nouvelles pythies qui sont Télémédecine, Chatbot et autres non encore imaginés.

- La médecine d’urgence ; Comment en (re)faire quand quitter son cabinet est un crime de lèse SS ! Déjà qu’en en voyant naguère régulièrement on serrait les fesses, alors je ne vous dis pas, maintenant que les gardes ont disparu depuis belle lurette… Je comprends l’angoisse décuplée des jeunes médecins aux mains volontairement éduquées nues, pour qu’ils ne soient pas dangereux.

- La médecine préventive ; vaccins aux pharmaciens (ces derniers se déchargeront progressivement de leur job sur les pro-pharmaciens) ; dépistages confiés aux assistants ; y compris la prise de tension, cet acte rituel, devenu un des symboles de la médecine générale ; peut-être le dernier ; tuer ses symboles, c’est tuer son maître. Je pourrais vous en raconter des vertes et des pas mûres, pour démontrer que ce n’est pas si facile, il n’y a que les politiques pour le croire ! Combien de gens sont traités à tort ! Mais bof… C’est bon pour la croissance.

- La médecine psychologique envers tous les névropathes (dans un sens non péjoratif pour eux). Mais comment trouver encore le temps avec ces myriades de gens qui consultent tous les 4 matins, qui ont les plus gros dossiers, et chez qui on ne trouve rien, faute de temps ! Alors, ils seront orientés dans les CPTS (pire, chez les pata-pseudo-médecins), ils verront un médecin différent à chaque fois, qui lira sur le DMP les commentaires les plus désobligeants à leur encontre, et qui rajouteront le leur… Je me souviens d’une patiente qu’une tireuse de cartes m’avait adressée, car le psychiatre qui lui donnait deux neuroleptiques, deux anti-dépresseurs, deux tranquillisants et deux somnifères ne savait plus quoi faire d’elle sauf l’hospitaliser. Elle avait une névrose obsessionnelle, elle a exigé que je la soigne, c’est ainsi que j’ai appris, seul avec le livre de Wolpe, la thérapie comportementale, technique inconnue en France à l’époque. Au bout d’un an, elle ne prenait plus un seul médicament (une mauvaise langue psychiatrique m’a dit qu’elle ne devait pas être très malade ; merci pour son confrère ci-dessus cité, à la plume légère sur ordonnance et modèle recommandé officiellement pour la médecine générale). J’avoue ne pas avoir été payé très cher pour le temps passé avec elle, par la SS. Je puis vous dire aussi que la tireuse de cartes m’a spontanément avoué qu’elle ne croyait pas à ce qu’elle faisait, mais puisque les politiques et autres loustics qui passaient dans le coin venaient à chaque passage la revoir, c’est qu’eux y croyaient ! Que du bon sens chez cette dame que l’on ne retrouve pas chez les décideurs qui savent.

Alors, que reste-t-il encore à cette vieille dame ? Il y a deux sortes de maladies ; les anciennes, que l’on ne voit plus que dans les bouquins, celles que l’hygiène a fait disparaître, et celles que l’on ne voit chacune, au maximum une fois dans sa vie, et dont les politiques se foutent complètement, car n’entrant pas dans le cadre de la santé publique (terme subliminalement parlant voulant dire coûteux financièrement par pathologie) ; et les modernes, celles qui sont la conséquence de notre choix imposé de société : malbouffe, pesticides ou autres toxiques, stress professionnel, réchauffement de la planète, et qui sont justement celles qui intéressent la déesse santé publique. Ce sont celles-là qui sont proposées au savoir du médecin traitant moderne. Comme alibi, on avance le vieillissement, mais sans malbouffe et consorts, on aurait « vieillesse heureuse, croissance creuse ». Enfin, « proposées aux médecins » est un bien grand mot ; car à quoi doivent servir les IPA ?

Alors, l’heure est au dégraissage total du mammouth, jusque dans ses moindres replis, afin qu’il puisse dégager le temps optimal à sa fonction intellectuelle. Il faut donc aussi une (un) assistante pour déshabiller le patient (sans doute bientôt aussi pour dire bonjour et au revoir) ! La jeune fille va être contente (le médecin aussi) ; mais que va faire le médecin pendant ce temps s’il n’a pas deux salles d’examen, pour respecter une certaine confidentialité ? Ah si ! C’est subliminalement marqué ; il est dit que l’assistant va surveiller si le DMP est bien rempli ; le médecin sera donc le nez dedans en permanence, et sous surveillance rapprochée, pour le corriger, l’enrichir et remplir des papiers, nourriture hypercalorique habituelle de l’administration ; 10 minutes chrono ! Les calculs des ordinateurs du ministère de la Santé ont été formels : passer de 20 à 10 minutes, c’est comme si on doublait le nombre de médecins ! GRANDE VICTOIRE ! Les déserts médicaux sont balayés d’un revers de main.

Lot de consolation ; le concours de 6e année sera supprimé, il sera remplacé par un examen de 5e année, avec moyenne obligatoire (on croit rêver) ; celle-là, il fallait la trouver pour grignoter un peu plus !

La vieille dame, éprise de liberté et d’adelphité se meurt, madame est morte ; vive le médecin nouveau, épris de protocoles et d’empathie professionnalisée orientée Dame SS ; qu’on appellera bientôt « Monsieur 10 minutes ».

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Dr Yves Adenis-Lamarre, Angoulême (Charente)

Source : Le Généraliste: 2844