LA CHAIRE santé de Sciences-Po, créée il y a trois ans et qui propose un cycle annuel de conférences, a mis en place l'an dernier l'Office de prospective en santé (OPS). Coordonné par la chaire, il vise à «favoriser la réflexion sur le devenir de notre système de santé». Experts de tout bord, scientifiques, démographes, épidémiologistes, économistes de la santé, juristes, sociologues, géographes, historiens, spécialistes des sciences politiques… sont conviés à «se livrer à des exercices d'analyse prospective, afin de produire, chaque année, une projection de ce que pourraient être les principaux enjeux de la santé à l'horizon 2020».
C'est Didier Tabuteau, qui occupe déjà un siège au Conseil d'État et codirige par ailleurs l'institut droit et santé à l'université Paris-Descartes, qui est responsable de cette chaire.
Plus loin que le bout du nez.
«La création de l'office est partie de l'idée selon laquelle, concernant le champ de la santé, on se préoccupe toujours des dix-huit prochains mois, compte tenu des pressions des dépenses de santé, et que l'on est capable ainsi de passer à côté des tendances extrêmement lourdes (c'est ce qui s'est produit, par exemple, avec la démographie médicale) . Puisque la santé se pilote beaucoup à long terme, alors essayons de produire de la réflexion contradictoire, diverse. Allons un peu plus loin que le bout de notre nez.» «S'il est clair que l'on se trompe facilement à court terme, la marge d'erreur diminue si on allonge l'horizon», confirme Gérard Cornilleau, l'un des contributeurs du rapport.
Didier Tabuteau a présenté devant la presse le premier rapport produit par l'office, qui rassemble les contributions de douze experts. «Nous avons eu le souci de demander aux auteurs de s'affranchir des tendances des dernières années et de se projeter sur les vingt à venir. Nous avons laissé chacun d'entre eux… évoluer seul dans l'avenir.»
Chacun des auteurs a en effet joué dans sa partie.
Le rapport, qui se décline en deux grandes parties, les évolutions épidémiologiques et médicales, d'une part, et celles de la société et des systèmes de santé, d'autre part, propose des prospectives en imagerie médicale (article de Claude Marsault), en génétique et médecine génétique (Bertrand Jordan), en nanobiotechnologies (à l'horizon 2025). Pierre-Louis Bras, inspecteur général des Affaires sociales, s'est, lui, penché sur le développement des maladies chroniques et l'avenir de la médecine générale. Gérard Manrique explique dans son article que l'industrie des produits de santé «va se transformer en industrie de services et cela concernera l'ensemble des acteurs des produits de santé, c'est-à-dire, bien sûr, les médicaments, mais aussi les équipements médicaux. Longtemps nous avons travaillé sur une logique industrielle, aujourd'hui, nous avons conscience des services que l'on peut bâtir autour de ces produits. La télémédecine en est l'exemple caricatural. Je crois qu'il y a notamment quelque chose à inventer dans la vieille Europe sur ce que les Américains appellent le “disease management” .
Des projets importants sont en cours en Allemagne et en Angleterre».
Les nouveaux patients.
Des différents secteurs analysés dans ce rapport, Didier Tabuteau retient une ligne commune : «Ces travaux montrent que notre système de santé est bel et bien en rupture aujourd'hui. Les “Un jour peut-être” que nous prédisaient les experts il y a dix ans, les tartes à la crème annoncées sont arrivés. Cette rupture est organisationnelle, même si, technologiquement, les progrès continuent. Nous connaissons les causes des problèmes… Maintenant, reste à savoir comment notre société absorbera ces changements, psychologiquement, financièrement…»
L'an prochain, l'office publiera justement les fruits de la réflexion d'un groupe de travail autour des « nouveaux patients ». «Les bien-portants, en fait, précise Didier Tabuteau. Le nouveau rôle des patients résulte de ce que Elias A. Zerhouni décrit comme la médecine des 4P: prédictive, préemptée, personnalisée et participative.»
La Direction générale de la santé aurait manifesté son intérêt pour les travaux de l'OPS. De fait, souligne Didier Tabuteau, «l'idée (de l'office) est que ces éléments soient mieux connus, plus discutés et davantage pris en compte par les politiques de santé».
* Éditions de santé/Presses de Sciences-Po, 202 pages, 20 euros. http://chairesante.sciences-po.fr.
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