L'événement
La France s'apprête à commémorer la naissance de Michel de Nostredame, le 14 décembre 1503 à Saint-Rémy-de-Provence. Plus connu sous le nom de Nostradamus, il doit surtout sa renommée à ses « Centuries », recueil de prophéties qu'il publie à Lyon en 1555. Un des quatrains qui composent l'ouvrage n'a-t-il pas prédit les circonstances de la mort du roi Henri II ? Ce dernier meurt au cours d'un tournoi pour avoir négligé de bien fermer son heaume. La lance de son adversaire lui transperce l'il droit : « Le Lyon jeune, le vieux surmontera/ En champ bellique par singulier duelle/ Dans cage d'or les yeux lui crèvera/ Deux classes une, puis mourir, mort cruelle. » Une telle clairvoyance lui vaut les faveurs de la cour et de Catherine de Médicis. Il devient médecin et conseiller du nouveau roi, Charles IX.
Près de cinq cents ans plus tard, c'est encore le prophète qui est célébré et ils sont nombreux à décrypter, dans ses prédictions rédigées, comme il l'écrit lui-même, dans un état de « fureur poétique », les signes annonciateurs de notre époque bruissante de troubles.
Un révélateur de son siècle
Cependant, Michel de Nostredame fut d'abord un médecin, diplômé de la plus illustre université de France, celle de Montpellier (voir « Histoire de la médecine » n° 6). L'auteur des « Centuries » est, à cet égard, un révélateur de son siècle et de la pratique médicale de son temps. Derrière le « beau XVIe siècle », celui de l'humanisme et du retour vers l'héritage grec, se profile un tableau plus sombre et plus angoissant avec son cortège de famines, de guerres et d'épidémies de peste. Dans « les Grandes Pestes en France » (Aubier), Monique Lucenet raconte : « Introduite en France au milieu du XIVe siècle, la peste ne la quitta désormais plus jusqu'à la fin du XVIIe siècle, agissant avec une récurrence régulière tous les huit ou dix ans, selon les régions. » Pendant trois siècles, les dégâts sont considérables, surtout au moment des fortes poussées périodiques, en particulier celle des années 1520-1546.
C'est à cette époque que l'on retrouve Michel de Nostredame. En 1520, la peste apportée du Languedoc arrive en Avignon et se répand dans tout le Comtat Venaissin, où elle tue près de 4 000 personnes. Etudiant à la faculté des arts, en Avignon, le jeune Michel obtient le titre de maître ès arts (équivalent de notre baccalauréat actuel) après des études classiques de rhétorique et de grammaire. Mais la faculté doit fermer pour cause d'épidémie et suspend ses cours. Michel de Nostredame s'inscrit alors à la faculté de Montpellier, il a 18 ans. Après trois ans d'études, il obtient le titre de « bachelier en médecine ». L'examen autorise la pratique médicale, mais le candidat doit s'engager sous serment à n'exercer qu'en dehors de la ville et de ses faubourgs. Le nouveau diplômé choisit de parfaire sa formation en voyageant pendant quatre ans. Il suit et étudie la contagion de la peste, qui, depuis Avignon, s'est propagée jusqu'à Narbonne, Toulouse, Carcassonne et Bordeaux. En 1528, tout le Midi est la proie d'une épidémie plus sévère que les précédentes. La famine et la guerre ajoutent à la désolation. L'étudiant commence à exercer réellement la médecine et accède déjà à une certaine célébrité. Il fait sans doute partie de ces « médecins de peste » chargés de soigner uniquement les pestiférés qui, munis d'une baguette de couleur (rouge, jaune ou blanche), se font reconnaître.
Registre universitaire
Quand il regagne Montpellier à la fin de l'épidémie, il craint que ces années de pratique ne l'aient éloigné des études livresques et il se sent très mal préparé à affronter les examens. Il obtiendra pourtant sa licence puis son doctorat avec une thèse sur Galien (« la Paraphrase de Galien »).
Il doit tout de même passer l'obstacle d'une inscription refusée. Outre la profession de médecin, il ne se cache pas d'exercer aussi la fonction d'apothicaire. Or cela est interdit, les deux professions ont leurs règles. Cela lui vaut cette note en marge de son nom sur le registre universitaire : « Celui que tu vois inscrit ici a été apothicaire. Nous avons été renseignés par un apothicaire de cette ville, et on l'a entendu dire du mal des docteurs. C'est pourquoi, moi, Guillaume Rondelet, comme procurateur des étudiants, je le raye de ce recueil. » Vingt jours plus tard, grâce à Antoine Romier, qui sera son patron, il pourra de nouveau s'inscrire.
Un an plus tard, de la main du même Guillaume Rondelet, on retrouve sur le registre la somme de 1 écu que Rabelais a dû verser pour sa propre inscription. A 40 ans, en effet, le père de Gargantua décide de commencer des études de médecine. Six semaines lui suffiront pour décrocher, sans doute par dérogation, le titre de bachelier, et pour commencer à enseigner. Deux ans plus tard, il est nommé médecin de l'hôpital Notre-Dame-de-Pitié de Lyon, avant de revenir passer son doctorat en 1537.
Prognostications
Pendant deux ans au moins les deux hommes ont l'occasion de se rencontrer. Tous deux ont publié, comme beaucoup de leur confrère de l'époque, des almanachs ou « prognostications ». Au début de la Renaissance, médecine et astrologie sont liées. L'astrologie est considérée comme une science : les astres sont censés exercer une influence sur le corps humain. Toutefois, Rabelais ne croit pas à l'astrologie divinatrice. Il la parodie dans la « Pantagruéline Prognostication » : « Cette année, les aveugles verront peu, les sourds oïront assez mal, les muets ne parleront guère », écrira-t-il.
L'ironie est toute rabelaisienne. Son confrère est, lui, plutôt « de nature taciturne, pensant beaucoup et parlant peu ». Les tragédies de sa vie y sont sans doute pour quelque chose. En 1531, il s'est marié avec la fille d'un notable agenais qui lui donnera une fille et un garçon. Son doctorat en poche, il part s'établir à Agen où il soigne à domicile. Mais un an plus tard, sa femme et son fils meurent terrassés par la peste. Ce drame le conduit de nouveau sur les routes. Quatre années durant, on le voit tour à tour au Luxembourg, à Valence, à Lyon, à Vienne, à Marseille, à Aix-en-Provence.
Un antidote
A cette époque, il met au point un remède à base de plante censé prévenir la peste, renouant avec un savoir familial qui lui vient de son arrière grand-père. L'antidote, fabriqué par un apothicaire de Saint-Rémy, est expérimenté lors de l'épidémie de peste d'Aix-en-Provence en 1546. Sans doute les mesures d'hygiène (vêtements brûlés, cadavres inhumés dans de la chaux, maison passée à l'essence de hêtre) et l'arrivée des premiers froids, plus que le remède, contribuèrent-ils à enrayer l'épidémie, neuf mois plus tard. Mais le médecin acquiert alors une solide réputation. Plus tard, il écrira un « Traité sur la peste » qui connaîtra le succès, en France et en Angleterre.
Enfin apaisé, il finit par s'installer à Arles où il fonde de nouveau une famille. Là, il fait latiniser son nom, selon une tradition de l'époque. Michel de Notredame devient Nostradamus. Il s'installe en tant que médecin et « astrophile » et continue à se passionner pour les remèdes à base de plantes. Son « Traité des confitures et des fardements » (1552) est rempli de recettes de confitures végétales qui ont une action thérapeutique.
Sa fin est telle qu'il l'avait prédite dans ses « Centuries » rédigées quelques années plus tôt : mort près de son banc le 2 juillet 1566, à l'âge de 62 ans.
Le vinaigre des « quatre voleurs »
Les remèdes contre la peste étaient variés, de la prière aux amulettes contenant des images du Christ ou des saints, en passant par des anagrammes, des phylactères de toutes les religions, des charmes ou des crapauds séchés cousus dans de petits sacs et pendus autour du cou. Les pierres précieuses (diamant) et les bézoards étaient aussi fort appréciés. A côté de ces préservatifs pour les particuliers existaient aussi les préservatifs collectifs. Le vinaigre était largement utilisé pour la désinfection. La recette du « vinaigre des quatre voleurs » eut un succès considérable. Elle consistait à infuser dans du vinaigre divers aromates et herbes : lavande, absinthe, rue, menthe, romarin, thym, genièvre, cannelle, girofle, muscade, ail, camphre. Chaque apothicaire possédait sa propre recette, dont il conservait le secret.
L'incision et la cautérisation étaient les seuls remèdes contre les bubons.
Le rat, la puce et l'homme
Tirant son étymologie du latin pestis (le fléau), la peste fut, pendant des siècles, le fléau par excellence, celui auquel l'apocalypse avait reconnu « le pouvoir d'exterminer sur le quart de la terre ».
Son histoire se divise en trois pandémies. La première ravagea le pourtour méditerranéen du VIe au VIIIe siècle. La deuxième, apparue vers 1346, envahit l'Europe pour disparaître d'Occident à la fin du XVIIIe. Les dernières épidémies ont été décrites à Marseille (France) en 1720 et à Moscou (Russie) en 1771. La troisième, partie de Chine en 1894, se propagea à tous les continents.
Nous savons aujourd'hui que les grandes hécatombes des siècles passés eurent une cause des « plus banales » et des « plus dérisoires » : une simple piqûre de puce. On doit la première description du bacille à Alexandre Yersin, qui, le premier, le rechercha dans son laboratoire de Hong Kong, directement au niveau des lésions, les bubons (1894). Mais c'est Paul-Louis Simond qui découvrit le rôle essentiel que joue la puce dans la transmission du bacille, selon le schéma puce-rat-puce-homme.
« Pourquoi la peste ? Le rat, la puce et le bubon », Jacqueline Brossolet et Henri Mollaret, « Découvertes Gallimard ».
Un saut dans le présent
Aujourd'hui, la peste est une maladie réémergente dans plusieurs régions du monde. Une vingtaine de pays sont touchés, parmi lesquels Madagascar, où on recense chaque année de 1 000 à 1 500 cas suspects. Les pays industrialisés ne sont pas épargnés, avec quelques cas signalés aux Etats-Unis, par exemple.
Mais la menace la plus redoutée est celle du bioterrorisme. Heureusement, comme l'indiquait au « Quotidien » (18 octobre 2001) le Dr Elisabeth Carniel (laboratoire des Yersinia, Institut Pasteur), « n'importe qui ne peut pas prendre du bacille de la peste et le manipuler. Il s'agit du bacille le plus dangereux sur terre. L'apprenti sorcier qui le manipulerait en serait la première victime. »
En outre, le séquençage complet de Yersinia pestis, en 2001, doit permettre de mieux surveiller l'évolution des pathogènes. Enfin, l'Institut Pasteur a mis au point des bandelettes pour le diagnostic rapide (une quinzaine de minutes) au lit du malade.
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