« Les Invasions barbares  », de Denys Arcand

Nos drôles et tristes vies

Publié le 23/09/2003
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Cinéma

En 1987, Denys Arcand annonçait « le Déclin de l'empire américain », avec un film mêlant préoccupations politiques, amoureuses et sexuelles. Aujourd'hui, le cinéaste, qui a à peu près l'âge de ses personnages, les fait se retrouver pour un bilan de l'état du monde (nord-américain) et surtout de leur vie. Et c'est tout sauf sinistre.

Cela commence dans un hôpital surpeuplé de Montréal : des malades partout dans les couloirs, une attente de six mois pour une TEP, une administration qui récite les textes officiels et des syndicats qui font la loi à leur profit. On voit que le réalisateur n'a pas perdu son œil critique, la suite le confirmera.
Mais on n'est pas là seulement pour dénoncer les errements du gouvernement canadien. On est là au chevet de Rémy, en train de mourir. Et de mourir seul. Son ex-femme appelle leur fils, qui réussit brillamment dans la finance, à Londres. Et celui-ci, malgré les incompréhensions passées, va tout faire pour adoucir la fin de son père, en particulier amener à son chevet les amis, amours, maîtresses du passé.
Rémy, qui se qualifie de « socialiste voluptueux » par opposition à son fils traité de « capitaliste ambitieux et puritain », ne veut pas mourir, il aime trop la vie ; il regrette tout ce qu'il n'a pas fait, le livre qu'il n'a pas écrit, les voyages qu'il n'a pas accomplis, les élèves (il est professeur d'histoire) qu'il n'a pas convaincus... et les cuisses d'Ines Orsini qui lui ont offert ses premières émotions cinématographiques, dans les années soixante. Le temps de la jalousie est passé, pas celui des discussions plus ou moins vaines mais tellement stimulantes : quel siècle a été le plus meurtrier, quelle a été la plus grande réunion d'intelligences, pourquoi dieu existerait-il... 
« Ce film raconte l'histoire de ma vie et celle de mes amis », disait Arcand à propos du « Déclin ». Idem pour « les Invasions », et les spectateurs qui ont l'âge des protagonistes et ont partagé d'une manière ou d'une autre leurs illusions en « isme » seront plus particulièrement touchés. Le réalisateur fait à nouveau passer dans les dialogues et la mise en scène au plus près de ses acteurs une grande vérité humaine. Impossible, quel que soit sa génération, de ne pas être ému, même si cette réunion familiale et amicale apparaît trop belle pour être vraie. Impossible non plus de ne pas rire de cette réflexion pourtant désespérée.
Rémy Girard a le beau rôle de celui qui meurt. Dorothée Berryman, Pierre Curzi, Yves Jacques, Louise Portal, Dominique Michel sont aussi savoureux qu'il y a deux décennies. Stéphane Rousseau (surnommé « le Brad Pitt de l'humour » et qu'on a pu applaudir il y a deux ans au Bataclan à Paris), Marie-Josée Croze (prix d'interprétation surprise à Cannes), Marina Hands représentent dignement la nouvelle génération.
Et les invasions barbares ? L'empire américain est touché le 11 septembre. « Je crois que les pays sont en train de disparaître, dit Arcand. Pour les générations futures, les frontières auront tendance à disparaître. Le fils de Rémy est déjà rendu là. Il y aura les citoyens américains et les autres. Vu de Washington, être Français, Bulgare ou Japonais, c'est la même chose, tous des barbares. » Cela se discute. De quoi fournir au Québécois l'inspiration d'un autre film savoureux et poignant.

Le système de santé québécois en question

En tournant « les Invasions barbares », Denys Arcand, entre autres, règle ses comptes avec le système de santé québécois et les syndicats. « Je trouve le climat tellement pourri dans les hôpitaux, partout, dit-il . Ce n'est pas juste les syndicats, c'est partout. Il faut refaire ça à partir de zéro. Il n'y a pas de chevaliers blancs, sauf peut-être les infirmières, les seules que je trouve relativement sans taches. »
Invité à la première du film, en mai, le tout nouveau ministre de la Santé et des services sociaux du Québec, le neurochirurgien Philippe Couillard, n'a pas pu dire le contraire. « Bien sûr que le personnel débordé et l'enfer des urgences, tout cela est bien vrai », a-t-il reconnu . Mais, a-t-il ajouté, la force de cette œuvre remarquable se trouve dans les relations interpersonnelles et intergénérationnelles ».
Il y avait alors 117 000 personnes sur les listes d'attente, dont 44 000 au-delà des délais recommandés. Et l'été s'annonçait « chaud » dans les hôpitaux, selon « le Journal de Montréal ».

Renée CARTON

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7389