Décision Santé. Vous avez rencontré Marisol Touraine au ministère. Après son discours pro hôpital public à Hôpital Expo, le climat a-il changé ?
Jean-Loup Durousset. Sur la forme, le ton a été très courtois. Sur le fond, Marisol Touraine nous a rappelé comment le programme de campagne autour de l’hospitalisation était articulé autour de trois volets, à savoir la convergence sanitaire, les compléments d’honoraires, les missions de services publics. Il n’y a pas d’obstacles en pratique à évoquer ces trois dossiers. Pour autant, l’hospitalisation privée a été blessée par une phrase prononcée par la ministre : « Vous n’avez pas les mêmes malades ». Était-ce une maladresse ? Faut-il rappeler que depuis quinze ans, les pouvoirs publics s’efforcent de nous rapprocher de l’hôpital public. D’abord nous avons été soumis à l’autorité de la Direction générale de l’organisation des soins, puis à celle des agences (ARS). Avec ce type de message, ce qui a été réalisé au quotidien est en parti nié.
D. S. Comment recevez-vous l’annonce de la réinscription dans la loi des missions de service public ?
J.L. D. Quel est le problème ? Les missions de service public sont-elles dissociables ou s’entendent-elles comme un tout. Dans ce dernier cas, le dispositif est bien connu. C’était ce que l’on appelait les concessions de service public. Les deux acteurs, public et privé, sont aussi légitimes à prendre en charge ces missions. Mais là, le propos est différent. Les missions seraient conditionnées au statut. Cela est très dangereux. Une place prépondérante est réservée aux établissements publics dont le seul statut justifierait l’accueil de patients spécifiques. Nous réfutons cette logique. Ce n’est pas le statut qui doit structurer l’hôpital. Et nous sommes convaincus que la ministre face aux réalités devrait faire évoluer sa position. Que deviendront en l’absence de changement les 132 établissements privés qui assurent aujourd’hui les urgences ? Devront-ils demain assurer l’ensemble des missions sans changer de statut ?
D. S. Marisol Touraine est-elle la ministre de l’hôpital public ?
J.L. D. Certes lors de son discours à Hôpital Expo, elle a tenu des propos qui allaient plutôt dans le sens des revendications de la Fédération hospitalière de France. Mais en écoutant « entre les lignes », j’ai eu le sentiment qu’elle n’était pas le ministre de l’hôpital public mais bien celui du système de santé. L’objectif serait que l’hôpital se reconcentre sur sa fonction de court séjour. Et laisse le champ libre aux réseaux afin que le patient soit placé au centre du système de soins. Au lieu d’organiser les filières autour de l’hôpital, le système doit s’organiser à partir des pathologies présentées par le malade. Si cette vision est bien celle de la ministre, nous serons à ses côtés.
D. S. Comment réagissez-vous à la fin de la convergence tarifaire.
J.L. D. Ce n’est pas la fin du discours. Le secteur hospitalier en parallèle à ses fonctions humanitaires est aussi producteur de soins. Le progrès dans certains cas réduit les coûts. La puissance publique est donc amenée à examiner les tarifs en fonction des évolutions techniques. Dans ce cas, la baisse doit être comparable dans le secteur public et privé. Grâce aux gains de productivité dégagés, quel devrait être le prix collectif pour des actes fréquents comme la cataracte, la coloscopie par exemple afin que ces ressources nouvelles financent d’autres activités comme la prise en charge des pathologies chroniques, de l’éducation thérapeutique ou la prévention? C’est un vrai défi pour la France.
D. S. Pour autant, cette convergence était incompatible avec le programme de François Hollande.
J.L. D. Cela n’est pas sûr. Nous avions proposé des tarifs identiques entre secteurs. Les sommes ainsi dégagées venaient alimenter une enveloppe dite « de convergence » en parallèle à celle des migac. Dans ce cas, les tarifs représentaient bien 75 % du budget de l’hôpital, et les 25 autres % étaient complétés par les deux types d’enveloppe. Il relevait alors de la responsabilité des pouvoirs publics d’expliquer aux Français quels types de missions étaient financés par les sept milliards d’euros contenus dans l’enveloppe dite « de convergence ». Avec ce programme, l’hôpital public n’est pas privé de ressources. Nous allons donc continuer à avancer cette proposition. Elle nous paraît techniquement simple à réaliser. Quant à l’explication de l’écart entre les deux secteurs, elle ne nous incomberait pas mais serait du ressort de la puissance publique. Enfin sur le terrain les coopérations public-privé seraient facilitées puisque les tarifs seraient alignés entre les deux secteurs.
D. S. Quel regard portez-vous sur la communication de la FHP à l’égard de l’hôpital public au cours des derniers mois?
J.L. D. Avant mon arrivée à la présidence de la FHP, nul ne parlait de convergence tarifaire. Aujourd’hui le débat autour de cette question est ouvert et ne peut être esquivé. Cela dit, nos campagnes, à certains moments, ont peut-être été blessantes, vexatoires à l’égard de nos interlocuteurs de l’hôpital public. Nous avons renvoyé une image de l’hôpital public parfois irresponsable en matière de gestion. Nous avons été trop loin dans le discours. La plupart des établissements sont soucieux des deniers publics. Ce qui a amené l’hôpital public à en rejeter totalement le principe et du coup la tutelle aujourd’hui. Nous devons reprendre notre bâton de pèlerin en adoptant un ton plus pédagogique.
D. S. Vous venez de publier un rapport qui montre une baisse constante de la rentabilité des établissements privés qui s’établit en moyenne à 1,9%. L’hospitalisation en France serait-elle menacée ?
J.L. D. Elle est menacée pour des raisons économiques de base comme d’ailleurs l’hôpital public. Les tarifs sont quasiment bloqués. Quant aux charges, elles ne cessent de progresser. D’où une réduction des marges qui à un moment ou à un autre deviennent négatives. Nous comprenons par ailleurs le taux faible de l’Ondam. Nous accepterions une évolution négative si tous les acteurs se réunissaient autour d’une table pour optimiser l’organisation de l’hôpital. Prenons certains exemples de rigidité : dans la chirurgie ambulatoire, on nous impose la présence d’une infirmière pour cinq malades. Pour une activité de coloscopie, il serait plus utile de prévoir plutôt une infirmière et une aide-soignante pour dix malades que deux infirmières. Même observation en cas d’amygdalectomie ou de végétations chez les enfants. Immédiatement le modèle économique de la chirurgie ambulatoire changerait. Le tarif pourrait alors baisser tout en procurant davantage de ressources pour la structure. Nous avions soumis à la DGOS ces propositions. Nous n’avons pas été entendus.
D. S. Sur le plan capitalistique, les fonds d’investissements il y a quelques années avaient choisi l’hospitalisation privée. Avec cette rentabilité en berne, quels seront les futurs actionnaires ? Quel est l’avenir du secteur ?
J.L. D. Sur les cinq dernières années, le secteur MCO a fait l’objet d’un processus de restructuration qui devrait se poursuivre, à savoir une diminution du nombre d’établissements dotés en revanche de nouveaux objectifs. Un centre hospitalier privé de 600 lits se construit à Orléans. Son projet médical s’ouvre au-delà de la seule chirurgie. Et devra comporter des lits en médecine de spécialité sans parler de lits de réanimation. On le voit, de nouveaux contrats d’objectifs devront être négociés avec cet établissement. Dans les plus petites villes, se produit un autre phénomène, le jumelage entre établissement public et privé.
Quant aux soins de suite et réseaux HAD, leur essor se poursuit. Simplement, il nous faut discuter sur la place qui sera accordée au secteur privé.
Parlons maintenant de rentabilité. Lorsque 30% du parc hospitalier français est confié à un management privé, il n’est pas honteux d’évoquer la rémunération des capitaux investis. Notre secteur exige des investissements sur du long terme Pour l’avenir, nous envisageons d’autres pistes de financements : pourquoi pas une ressource issue du corps médical, non plus propriétaire de son outil de travail mais investisseur dans un secteur de santé dynamisé. Autre piste, les complémentaires santé qui sont contraintes à des obligations de réserve élevée. L’investissement serait réalisé non pas dans les sociétés d’exploitation mais plutôt immobilières.
D. S. Aujourd’hui on compte entre cinq à sept groupes de cliniques privées opérant sur l’Hexagone. Y aura-t-il là aussi une concentration à prévoir ?
J.L. D. Cette fourchette entre cinq et sept groupes se maintiendra mais sans doute avec des recompositions. On devrait assister à deux phénomènes : les groupes nationaux peuvent se regrouper. Dans le même temps, des groupes régionaux monteront en puissance et atteignent la taille critique pour entrer dans la catégorie des groupes nationaux. Nous avons besoin à la fois de grands groupes qui dynamisent le secteur et d’indépendants qui prennent des initiatives, des risques dans des domaines particuliers.
D. S. Les hôpitaux publics redoutent la main-mise des ARS sur la gestion au quotidien. Quel est votre regard ?
J.L. D. La loi HPST contient une erreur qui n’a pas été réglée, à savoir que le planificateur est aussi le gestionnaire des hôpitaux. Le ministère de la Santé doit jouer son rôle régalien de planificateur, donner ses orientations et juger de façon impartiale les actions menées sur le terrain. Mais ce n’est pas à lui de prendre en charge les déficits des hôpitaux. Cela relèverait plutôt des missions du ministère du Budget.
D. S. Vous venez de signer un premier accord avec les médecins pour encadrer les dépassements d’honoraires. Y avait-il un problème avec les médecins ?
J.L. D. Depuis de nombreuses années, l’assurance maladie qui assure la solvabilité des patients a lâché prise en ce qui concerne les dépenses hospitalières. Par ailleurs, nous n’avons pas retrouvé de solvabilisation collective sur la partie complémentaire. Résultat, la situation est complexe pour les patients qui ne comprennent pas la politique tarifaire menée sur le territoire. Les médecins s’étonnent des différences observées entre les honoraires demandés pour un même acte. Les établissements ne sont plus en convergence d’intérêt avec leurs praticiens. Dès lors, la situation exigeait une réponse. Un premier accord encadre les règles de la transparence tarifaire, garantit le libre choix du patient y compris pour les titulaires de la CMU, précise les règles de tact et la mesure. La commission médicale d’établissement doit être le lieu pour débattre en toute confraternité de la politique tarifaire. Rappelons que l’ensemble des syndicats médicaux ont paraphé le projet de charte de bonnes pratiques.
D. S. Quelle est l’ambiance au sein de la FHP ? Les adhérents de la MCO semblent manifester une certaine impatience…
J.L. D. D’abord j’ai souhaité que les syndicats de spécialité existent dans leur totalité au vu de la complexité des dossiers à traiter. Nous avons redonné toute sa place au MCO. C’est un secteur en souffrance, chahuté, balloté qui ne connaît pas le répit et donc ultra-sensible. Je comprends les difficultés des adhérents MCO. Il y a trop d’iniquités de traitements sur le terrain. Nous avons donc un syndicat MCO plus réactif, plus fragile et donc plus combatif. De plus, je ne comprends pas dans un système comme le nôtre l’absence de réunions au ministère entre les Fédérations sur des sujets cruciaux. Quitte à ce que nos colères puissent s’exprimer dans ces réunions. Quant aux hommes qui incarnent les organisations, les parcours sont différents. Ce qui compte, ce n’est pas qu’un seul homme s’exprime. L’important est que plusieurs hommes parlent en diffusant les mêmes idées. La forme peut varier. Mais le fond est le même.
D. S. Est-ce plus difficile comme président de la FHP de travailler avec un gouvernement de gauche ?
J.L. D. Les problématiques économiques, sociales n’ont pas changé. Les différences s’observeront dans les modes de résolution. Ce qui est essentiel chez un homme politique, c’est le respect de l’autre. Nous aurons alors la possibilité de montrer que l’hospitalisation privée n’est pas dans une posture dogmatique mais une source de propositions susceptibles de rénover le secteur. Je ne suis pas sûr que cela soit plus compliqué.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature