Un académicien, Jean-Marie Rouart, publie dans « le Figaro » un article inspiré qu'il intitule : « Non à la guerre ». Il y expose une argumentation convaincante, selon laquelle une trop lourde riposte des Etats-Unis après les attentats du 11 septembre déclencherait un immense conflit qui opposerait les Occidentaux aux pays musulmans.
Il explique que les Américains du World Trade Center, à la souffrance desquels, bien sûr, il compatit, n'ont pas plus souffert que les familles palestiniennes de Sabra et Chatila ; que le terrorisme a sous-tendu tous les mouvements de libération, y compris celui qui a donné naissance à l'Etat d'Israël ; et que le seul moyen de combattre la violence consiste à aider les peuples miséreux du monde à reconquérir leur dignité.
Une accumulation de faits probants ne fait pas, cependant, une vérité. M. Rouart, par ailleurs écrivain talentueux, et remarquable chroniqueur littéraire, qui a été parmi les tout premiers à faire campagne pour la libération et la réhabilitation d'Omar Raddad, se trompe à force d'avoir raison. Terrorisme n'est qu'un mot pour désigner des actes de violence commis pour des raisons politiques. Si le mot finit par recouvrir une large gamme d'actions politiques au point de nommer à la fois les causes légitimes et les causes qui font des innocents leurs seules victimes, il suffira d'en choisir un autre pour bien distinguer les hommes capables d'assassiner d'un coup sept mille personnes et les anarchistes qui posaient des bombes à Moscou avant la chute de l'Empire russe.
Le cas du Liban
Les massacres de Sabra et Chatila, commis par une milice chrétienne libanaise constituaient, à n'en pas douter, un acte de terrorisme pur : il s'agissait d'exterminer des Palestiniens, civils et innocents, pour terrifier durablement tous les autres. Monstrueux et inexcusables, ils n'en faisaient pas moins partie de la guerre civile du Liban où ont guerroyé des chrétiens contre des musulmans, des Palestiniens contre des Libanais et des Israéliens venus sur place pour tenter, mais en vain, d'éradiquer le terrorisme palestinien.
On conviendra qu'entre le chaos libanais, propice à tous les crimes, et l'attaque sauvage contre les Etats-Unis, la comparaison est plus que hasardeuse. On ne peut pas se plaindre de l'hégémonisme américain et demander ensuite aux Etats-Unis de se conduire comme une nation de pleutres. Loin de traduire une magnanimité que saluerait le monde entier, une absence totale de riposte américaine créerait un immense déséquilibre planétaire. Au lieu de marquer un point, les terroristes, quels qu'ils soient, remporteraient une victoire décisive. Et si, pour attaquer le problème à la racine, comme le suggère M. Rouart, l'Amérique, loin de lancer ses forces contre les réseaux terroristes et ceux qui les abritent, consacrait la même énergie et les mêmes ressources à l'aide aux peuples pauvres, cela signifierait que pour introduire un peu de bon sens dans l'esprit du géant, il faut seulement lui donner un bon coup de trique.
Des nihilistes
De ce point de vue, M. Rouart, bien qu'il soit animé par les meilleurs sentiments, en arrive indirectement à glorifier l'assassinat de masse.
Pis : s'il croit un seul instant que lorsque l'Amérique meurtrie, mais soudain saisie par la grâce divine, ferait son mea culpa, elle s'attirerait enfin les bonnes manières des forces obscures liguées contre elle, il se trompe. Les terroristes verraient dans cette attitude conciliatrice un encouragement à leur comportement. Ils ne luttent pas pour la dignité du monde mulsulman, pas plus que pour la liberté de peuples encore soumis à des régimes autoritaires ; ils luttent pour le chaos, la destruction, la mort. Ils sont si peu soucieux du sort de ceux qu'ils prétendent représenter qu'ils ont, dans la même rage criminelle, assassiné des Américains, des Européens et des juifs, mais aussi des mulsulmans, des Pakistanais, des Saoudiens, des Indiens et beaucoup d'autres.
Ce ne sont donc pas ces terroristes juifs qui, en 1947, ont fait sauter l'hôtel du Roi David à Jérusalem, pour hâter l'évacuation de la Palestine par les Britanniques. Ce ne sont pas ces terroristes algériens qui faisaient sauter des cafés et des restaurants d'Alger pour évincer la présence française. Ce sont les combattants de la mort. Ils tuent et meurent en même temps. Ce sont des nihilistes.
Non seulement le terrorisme est déjà très discutable dans les situations coloniales (les insurgés algériens et les terroristes de l'Irgoun n'étaient pas des tendres), mais le néoterrorisme, dont la cruauté est sans bornes, contient, par rapport à l'autre, une différence de nature, pas de degré.
Il faut en outre examiner de près les reproches que les islamistes adressent aux Etats-Unis. Après l'invasion du Koweit, Oussama ben Laden avait proposé aux dirigeants saoudiens de créer des bataillons afghans pour combattre les Irakiens. On comprend que Riyad, pour des raisons d'efficacité, ait préféré l'armée américaine. Ben Laden a alors estimé que le régime saoudien, qui pourtant ne plaisante pas en matière de respect de religion, livrait la terre sainte aux infidèles. Les néoterroristes sont d'incorrigibles romantiques. C'est ce qui les rend particulièrement dangereux. Le nazisme n'était-il pas la perversion du romantisme ? L'exaltation infinie du sacré débouche sur le traitement du profane par le vitriol. Jean-Marie Rouart et d'autres, vous, moi, ne sommes pas, aux yeux des fondamentalistes islamistes, doués d'une innocence originelle. Nous sommes des infidèles, donc des ennemis, donc des vies à supprimer. Les Américains feraient le dos rond que leurs avions de ligne pleuvraient quand même sur leurs grandes cités.
Non à la guerre ? Il faut être deux pour ne pas la faire. Ils nous l'ont déclarée à nous, et pas seulement aux Américains. Ils nous l'ont déclarée quand, en Afghanistan, ils ont, littéralement, enterré leurs femmes vivantes, quand, en Algérie, ils ont commencé à égorger leurs propres femmes et leurs propres enfants, quand ils font exploser des bombes dans les discothèques et les supermarchés de Jérusalem, quand ils nient l'autre et son droit de vivre.
La corruption chez eux
Enfin, le dernier argument de Jean-Marie Rouart porte sur les devoirs que nous avons envers le tiers-monde, sur l'aide massive au développement que nous sommes tenus de lui apporter, sur la grande fracture Nord-Sud. C'est un argument-massue, et pas seulement parce qu'il est fondé, mais parce qu'il nous condamne à mort. Certes, il serait temps que nous prenions conscience des effets délétères des inégalités entre les riches et les pauvres. Mais ce qu'on sait déjà de l'efficacité des efforts d'assistance montre qu'il faudra bien un siècle pour rétablir un semblant d'équilibre entre les pays nantis et les pays dépourvus. L'Amérique sera réduite en poussière par la violence bien avant qu'elle ait pu creuser des canaux d'irrigation au Mali ou construire des filatures au Bénin. On n'est pas sérieux si on propose de parer à un danger imminent par des mesures qui prennent des décennies.
Et puis, n'est-il pas temps de se poser la question de la responsabilité de chacun des individus qui s'estiment lésés par un pays étranger ? Pourquoi Oussama ben Laden n'a-t-il pas commencé par construire des écoles en Afghanistan, lui qui a tant d'argent pour semer la violence ? Pourquoi les sommes énormes accumulées par les pays pétroliers n'ont-elles pas fait de la Jordanie un pays de plein emploi et de Gaza un jardin au bord de la Méditerranée ? Pourquoi l'aide financière accordée à nombre d'Etats africains n'a-t-elle servi qu'à corrompre leurs fonctionnaires ? Pourquoi l'Autorité palestinienne a-t-elle détourné une grande partie des fonds destinés au développement des territoires sous son contrôle ? Pourquoi le premier réflexe des gouvernements arabes dits modérés est-il de fermer les yeux sur l'antiaméricanisme de leurs peuples, alors que les Etats-Unis ont assuré la prospérité des Etats pétroliers et que des experts américains construisent les égouts du Caire ?
En France, ce sont les mêmes qui instruisent un crime - l'insuffisance des programmes sociaux, la proportion de familles considérées comme pauvres, le manque d'infrastructures ou de fonds pour les personnes âgées, pour les transports en commun, pour l'assistance aux démunis, le viol de la nature - et qui en condamnent un autre l'indifférence à l'égard du tiers-monde.
Ce sont les mêmes qui n'ont pas arrêté de présenter l'Amérique comme responsable de tous les maux du monde (les terroristes les ont entendus) et qui dénoncent la mondialisation, dont l'un des effets est la délocalisation des usines, seule chance réelle du tiers-monde de s'industrialiser. Ce sont les mêmes qui prétendent tout financer, le développement en France et celui du tiers-monde, tout soigner, la misère chez nous et la misère des autres. Ils n'ont pas reconnu, et pas davantage M. Rouart, la vraie nature de l'ennemi. « Comprendre » les terroristes ne sert strictement à rien. Leurs attentats ont pour premier objectif de détruire notre rationalisme et, comme le dit bien l'expression consacrée, ce qu'ils font dépasse l'entendement. Non à la guerre ? Bien sûr. Pour autant qu'ils ne viennent pas la livrer chez nous et contre nous.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature