LE QUOTIDIEN
Comprenez-vous la colère qu'expriment actuellement les médecins généralistes ? Faut-il, ainsi qu'ils le demandent, revoir leur rémunération à la hausse ?
NOËL MAMERE
Les généralistes sont, avec les infirmières notamment, les oubliés du système de santé. On ne peut, d'un côté leur attribuer un rôle pivot, en première ligne face à la maladie et aux souffrances sociales, et d'un autre leur refuser les moyens de ces missions. Je suis frappé par la façon dont notre société traite mal ceux qui assurent des fonctions essentielles : soigner, éduquer, protéger. Leur colère exprime bien plus qu'une revendication financière, aussi légitime soit-elle. La hausse des honoraires des généralistes est nécessaire ; elle doit être négociée avec leurs représentants en cohérence avec les objectifs de notre politique de santé.
Les Français estiment à juste titre que la santé est une question prééminente. L'impact des crises sanitaires (sang contaminé, vache folle, amiante) en est un signe. Les Français sont devenus plus conscients des risques, ils exigent désormais que ces risques soient maîtrisés et réduits. Ils n'acceptent plus de considérer que ce serait là un tribut à verser au progrès et ils ont tout à fait raison. Ceci étant, la sécurité sanitaire n'est pas seule en cause. Malgré l'augmentation des dépenses en faveur du système de santé (10 % du PIB), l'insatisfaction augmente dans l'opinion publique, mais aussi chez de nombreux acteurs du système de santé (infirmières, sages-femmes, médecins, urgentistes, internes). Ceux-ci le font savoir dans des conflits à répétition. J'ai le sentiment que ce qui s'exprime à travers ces conflits, c'est une demande de reconnaissance et une demande de clarification des missions. C'est pour cela que les Verts sont favorables à une refondation du système de santé : ce système repose sur des concepts et des institutions qui datent de l'après-guerre ! Il est évident que le contexte a bien changé.
Plus de pouvoir au niveau régional
Entre ceux qui estiment qu'il ne faut plus compter pour financer la santé des Français et ceux qui restent fidèles à l'idée de maîtriser les dépenses, où vous situez-vous ?
La question est surtout de savoir à quoi servent ces dépenses. 100 milliards de francs ont été injectés en plus dans le système de santé en cinq ans. Pour quels bénéfices ? Nous ne sommes pas opposés à l'augmentation des dépenses de santé, mais nous sommes opposés à une dépense aveugle sans bénéfice sanitaire ou au seul profit des lobbies économiques. Ce n'est pas parce que la consommation de médicaments double qu'on est en meilleure santé, tout du moins dans nos pays développés. En raison de la composante environnementale forte dans l'étiologie des pathologies chroniques, les progrès viendront aussi de l'amélioration de notre environnement. Que l'on songe à l'amiante ! Cela est vrai pour d'autres facteurs d'environnement. Je pense, par exemple, à l'utilisation inconsidérée des pesticides. Aujourd'hui 96 % de la ressource en eau est polluée par les pesticides. Quel en est le coût sanitaire ? On peut faire le même calcul en ce qui concerne la pollution de l'air ou l'utilisation incontrôlée des substances chimiques. C'est comme cela que l'on pourra stopper, par exemple, la croissance de l'incidence du cancer (+ 1 % par an depuis vingt ans), l'asthme, notamment chez l'enfant, dont l'incidence double actuellement tous les dix ans, ce qui est dramatique sur le plan humain et induit des coûts économiques croissants. Entre maîtrise comptable et fatalisme, il y a place pour une troisième voie, celle où on ne raisonne plus en termes de soins mais en termes d'objectifs de santé.
Nous ne proposons pas seulement une décentralisation : nous proposons une véritable rupture dans l'organisation des pouvoirs, en fondant un pouvoir social disposant d'une forte légitimité à côté du pouvoir politique. Ce nouveau pouvoir doit être enraciné au plus près des citoyens. Dire cela, ce n'est pas renoncer à une politique nationale en matière de financement et à la définition d'objectifs de politique de santé, mais, localement, des marges réelles de manuvre doivent être libérées afin que chaque territoire puisse décliner la politique nationale selon des caractéristiques locales. Il est, par exemple, tout à fait surprenant de constater des inégalités fortes en région et de ne voir aucune stratégie pour essayer de comprendre le pourquoi de cette différence. L'échelon régional est l'échelon le plus pertinent pour organiser le nouveau système de santé. C'est là qu'on peut le mieux analyser les besoins, définir des objectifs de santé et mobiliser le système de santé, mais aussi les forces sociales et d'autres institutions, comme l'université par exemple. C'est l'échelon le plus pertinent pour qu'il y ait débat et choix de priorités clairement assumés par les citoyens.
Il faut certainement optimiser l'offre de soins à travers des outils comme les maisons de santé ou les réseaux de soins, qui permettent d'assurer la continuité de l'offre de soins et de diminuer ainsi les gaspillages. Développer les alternatives à l'hospitalisation, c'est aussi répondre à une demande forte des patients pour un coût moindre. Il faut arriver à proposer aux différents professionnels de meilleures conditions de travail, de meilleurs revenus, une reconnaissance plus importante, et, dans le même temps, faire en sorte que les prescriptions soient réduites à leur utilité réelle ; bref, proposer un nouveau contrat aux professionnels autour des notions de qualité des actions de santé et d'objectifs de santé.
La santé ne se résume pas à la médecine
Les Verts regrettent souvent ce qu'ils appellent « la médicalisation excessive » de la santé. Que recouvre exactement cette expression et faut-il voir une source d'économies dans une possible « démédicalisation » des comportements des Français ?
C'est l'idée de plus en plus diffuse que tous les problèmes de la vie quotidienne peuvent être résolus par la médecine : le retard à l'école, les conflits du travail, les conflits conjugaux. Toute souffrance n'appelle pas nécessairement une intervention médicale ! De plus, la santé ne se résume pas à la médecine, comme la médecine ne se résume pas aux médicaments. Dans le même temps, sur le plan politique, la santé doit cesser d'être un appendice de la politique sociale et doit être hissée au niveau des grandes politiques nationales. Parce que la santé est un enjeu qui se pense et se construit en amont, ce sont les décisions en termes de transport, d'urbanisme, de logement qui sont également concernées. Toutes ces politiques publiques ne doivent plus être conçues sans une analyse précise de leurs impacts sanitaires ; elles doivent être adaptées en conséquence. Au niveau individuel, la santé est aussi une construction personnelle. C'est un acte citoyen. Les thérapeutes sont là pour aider chacun à construire sa santé, non pour agir à sa place. D'où l'importance du libre choix de chaque citoyen de faire appel aux médecines non conventionnelles reconnues, au sens du rapport du Parlement européen sur ce sujet.
Usagers : pour des élections
La « responsabilisation » des usagers du système de soins est une notion défendue par votre parti. Comment peut-on y parvenir ?
En instaurant une véritable démocratie sanitaire, dans laquelle les forces sociales ont un véritable pouvoir. La démocratie sanitaire, ce n'est pas faire nommer les représentants des usagers par un préfet ou un ministre. Nous sommes favorables à l'élection au niveau régional des administrateurs des futures agences régionales de santé, que nous voyons au nombre de quatre, rassemblées dans un conseil régional de santé : soins primaires, hospitalisation, santé environnementale et santé au travail, promotion de la santé. Ces élections seraient l'occasion de présenter aux usagers des objectifs de santé et des moyens d'y parvenir, donc des choix à faire en termes de dépense, d'équipement et de remboursement.
Des avancées importantes comme la CMU, la première loi de sécurité sanitaire ou la loi sur le droit des usagers, mais que d'occasions manquées ! La conjoncture était pourtant favorable pour agir sur le fond sur les structures : pas d'élection, modification des rapports de force, évolution des professionnels de santé et de l'opinion, embellie économique... et l'on n'a pas osé faire une réforme de fond ! Avec seulement 7 députés, nous avons fait de nombreuses propositions. Ce sera, pour les Verts, un des grands enjeux de la prochaine législature.
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