La division cellulaire est connue depuis plus d'un siècle. Mais sa description s'appuie sur deux concepts introduits dans les années soixante-dix et au début des années quatre-vingt : l'existence de phases successives dans le déroulement du cycle, et de points de contrôle entre chaque phase.
De la quiescence d'une cellule-mère à la quiescence des deux cellules-filles, on se souvient - lointain cours de biologie - que l'on passe d'abord par une phase G1, correspondant à une augmentation du volume de la cellule, suivie d'une phase S (pour synthèse d'ADN), lors de laquelle les chromosomes sont répliqués. Lors de la phase suivante, G2, cette réplication est controlée : la ségrégation chromosomique ne s'opère pas si la réplication n'est que partielle, ou si les chromosomes ont été endommagés. Dans la cas contraire, la cellule entre dans la mitose proprement dite, qui aboutit à la séparation des deux cellules-filles.
Jusqu'à la fin des années soixante, ces notions aujourd'hui archi-classiques, n'existaient tout simplement pas. Et c'est à Leland Hartwell que l'on doit d'en avoir jeté les bases. Grâce à des séries d'expériences réalisées au début des années soixante-dix sur des mutant de S. cerevisiae, Hartwell a pu montrer que différentes mutations s'accompagnent du blocage de la division en différents points du cycle.
cdc2, start puis CDK1
Les gènes en question n'ont évidemment pas été identifiés à l'époque. Mais plus d'une centaine ont été caractérisés fonctionnellement, et regroupés dans une famille, dite cdc (cell division cycle). L'un d'entre eux notamment, le cdc28, rebaptisé « start », s'est révélé indispensable à l'entrée de la cellule en phase G1, c'est-à-dire en division.
Les concepts de phases successives et de facteur limitant, contrôlant la progression du cycle, étaient introduits. Restait à caractériser lesdits facteurs. C'est ce qu'on fait les Britanniques.
Paul Nurse, d'abord, a repris quelques années après Hartwell, des études de mutants de levure, menées cette fois sur S. pombe. Il s'est en particulier penché sur cdc2, qui paraissait contrôler la transition de G2 en mitose, et qui s'est rapidement révélé n'être autre que le gène start, identifié par l'Américain dans S. cerevisiae. Un même gène contrôlant des étapes différentes du cycle, il fallait envisager des régulations.
En fait, cdc2, alias start, a également été retrouvé chez l'homme, où il s'est révélé coder une kinase cycline-dépendante - ce qui lui a valu un nouveau changement d'état civil : start est devenu CDK1 chez l'homme. Cette protéine CDK s'est révélée pouvoir être elle-même régulée par phosphorylation-déphosphorylation. En matière de régulation, toutefois, le « gros morceau » revenait aux cyclines.
Les cyclines
C'est cette famille de protéines qu'a découvert Tim Hunt au début des années quatre-vingt, en travaillant sur l'oursin. Il était à priori logique de rechercher une régulation ne prêtant à aucune ambiguïté, fonctionnant en mode binaire « 0 ou 1 », qui n'exclut pas une régulation fine par phosphorylation des CDK, mais verrouille en quelque sorte le système. C'est bien ce à quoi s'est attaché Tim Hunt, en recherchant des protéines présentes ou absentes de la cellule de manière périodique, selon l'avancement du cycle. Ces protéines ont été mises en évidence : il s'agit des cyclines, qui se lient à la CDK et conditionnent son activité. Et le point important est que ces cyclines sont effectivement dégradées périodiquement dans le cycle cellulaire, de manière à réinitialiser la régulation.
Avec les concepts de phases successives, et de contrôle strict par le tandem CDK-cycline, régulant la transition de chaque phase à la suivante, les bases étaient en place. Où en est-on aujourd'hui ?
Il est établi que le cycle cellulaire suit un même schéma chez tous les eucaryotes. Une demi-douzaine de CDK différentes ont par ailleurs été identifiées chez l'homme, ainsi qu'une dizaine de cyclines, réparties en deux familles, A et B. Mais surtout, les interactions entre le contrôle du cycle et d'autres fonctions cellulaires apparaissent de plus en plus nombreuses et complexes.
Le modèle établi à partir des travaux des trois nobélisés soulève encore diverses questions. Notamment, comment les cyclines sont-elles dégradées dans la cellule en temps opportun ? On sait que l'ubiquitine intervient dans le processus ; on sait aussi que les cyclines portent un site spécifique de dégradation (destruction box). Mais on se demande toujours comment ces sites sont reconnus pour une protéolyse programmée à différentes étapes du cycles.
Les principales questions ne touchent toutefois pas le modèle lui-même, mais la manière dont il s'insère dans la cellule. Les points de contrôle ont cette fonction d'interrompre le cycle si les différents éléments ne sont pas en place pour passer à la phase suivante. Ainsi, le cycle est interrompu en G2, avant la mitose, si les chromosomes ne sont pas correctement répliqués.
Il faut donc que le mécanisme de contrôle soit couplé au mécanisme de réplication de l'ADN, et au mécanisme de réparation de l'ADN ; mécanismes qui sont déjà des « mondes » en eux-mêmes. Ce couplage est évidemment du plus haut intérêt, puisque c'est lui qui évite les aberrations chromosomiques pouvant résulter d'une désynchronisation entre réplication de l'ADN et division cellulaire. Mais son étude promet d'être ardue.
Aberrations
Dans le cancer, on sait qu'il existe des anomalies de cette synchronisation ; anomalies qui pourraient rendre compte de la multiplication des aberrations chromosomiques dans les cellules transformées. Mais la relation entre cancer et cycle cellulaire est elle aussi un problème en soi. Il semble ainsi que les produits des gènes suppresseurs de tumeur p53 et Rb collaborent avec les CDK pour le contrôle du cycle. Qu'en est-il lorsque ces gènes suppresseurs sont mutés en oncogène ? Quel est, par ailleurs, l'aiguillage qui fait normalement entrer la cellule en apoptose lorsque survient une anomalie chromosomique irrattrapable par les mécanismes de réparation de l'ADN ? Et qu'est-ce qui empêche, dans le cancer, cette sortie vers l'apoptose ?
Aujourd'hui, donc, les équipes travaillant sur le cycle cellulaire s'attaquent parfois à de nouveaux problèmes. Après le cycle mitotique, qu'en est-il du contrôle de la méiose et de la réduction chromatique ? Après le contrôle temporel de la division, qu'en est-il du contrôle spatial, c'est à dire de l'orientation du bourgeonnement, qui n'est manifestement pas aléatoire ? Pour l'essentiel, toutefois, les principales questions touchent aux relations entre contrôle du cycle et fonctions rattachées, et le principal problème est devenu d'ordre méthodologique. Comment aborder l'articulation entre réparation de l'ADN et entrée en mitose, pour ne citer que cette relation ? Il sera difficile de ne pas s'enliser dans une multitude d'effecteurs moléculaires aux interactions hautement spécifiques, et qui apparaissent pourtant corégulés.
Les limites du « réductionnisme »
Lors d'un symposium organisé en 1998 par la fondation Novartis, Paul Nurse s'interrogeait sur « les limites du réductionnisme en biologie ». Et dans la présentation qu'il faisait en 1999 de son laboratoire, sur le site de l'Imperial Cancer Research Fund, le même Paul Nurse concluait sur la nécessité de nouvelles approches pour apprécier la régulation des CDK « en temps réel et dans l'espace cellulaire ». « Il devient de plus en plus clair qu'il sera très difficile d'aboutir à une description cinétique des interactions moléculaires qui sont à l'origine du phénomène cellulaire » (on peut méditer sur l'emploi du singulier). « Il sera nécessaire d'explorer des approches alternatives, des méthodes capables de rendre compte de la position d'une molécule et de ses interactions in vivo, de développer des représentations plus abstraites, basées sur la logique du processus, le flux et le traitement de l'information, plutôt que sur des caractérisations moléculaires détaillées. » Curieusement, la présentation actualisée en 2000 est un peu en retrait : il ne s'agit plus que d'identifier des gènes et des gènes. Il n'en reste pas moins que le problème demeure, et qu'il s'agit de rien de moins que de l'avenir des recherches récompensées par le Nobel. On se console en se disant que le problème aurait été rigoureusement le même si le Nobel avait été attribué à des travaux de neurologie.
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