Invité sur les ondes et dans l’ensemble des médias, depuis trois mois, à présenter son projet pour l’AP-HP, la toute nouvelle directrice du « paquebot », Mireille Faugère place subrepticement lors de ses interviews une phrase qui, à force d’être répétée à tout bout de champ, ressemble peu ou prou à un slogan : « Faire préférer l’AP-HP ». Une accroche publicitaire qui en rappelle une autre, que Mireille Faugère avait inventé lorsqu’elle présidait aux destinées de la branche TGV de la SNCF : « Faire préférer la SNCF ». Car cette diplômée d’HEC a littéralement transformé la SNCF, vieille entreprise technicienne, en entreprise de service, via notamment la création du site voyages-sncf.com. Sa méthode ? La communication, et le service au client. A peine en poste avenue de Victoria, au siège du plus grand hôpital européen, Mireille Faugère a pris, comme première initiative, la décision de créer une direction patient. Soit une application du « marketing service » en milieu hospitalier. Si les méthodes de « Mme TGV » détonnent dans un univers qui se méfie comme de la peste de la publicité et de la sphère marchande, elles n’en sont pas moins le signe d’une évolution prégnante des pratiques managériales à l’hôpital.
« New public management »
Une évolution qui s’ancre dès le début des années 2000, et qui a pour nom « new public management ». Ses principes ? Appliquer au secteur public les méthodes de management du privé. L’ensemble des administrations et des entreprises parapubliques sont concernées par cette révolution culturelle. Les conservateurs britanniques, sous l’égide de Margaret Thatcher, ont été des pionniers en la matière, mais les Français n’ont pas tardé à leur emboiter le pas. « En France, Michel Rocard voulut impulser ce type d’orientation en 1991 (le « renouveau du service public […] La réforme managériale, thème depuis longtemps brandi par les élites modernisatrices qui occupent la tête de l’Etat français, a été relancée à la fin des années 90 et au début des années 2000, avec l’élaboration et le vote de la loi organique relative aux lois de finance (LOLF) en août 2001. Cette loi entend introduire une obligation de performance dans la gestion financière de l’Etat. […] Une seconde phase, dite d’accélération, a été déclenchée en juillet 2007, peu après l’élection de Nicolas Sarkozy sous le nom de révision générale des politiques publiques (RGPP) (1)». En quoi consistent précisément ces nouveaux modes de gouvernance ? « La concurrence, le downsizing, l’outsourcing (externalisation), l’audit, la régulation par des agences spécialisées, l’individualisation des rémunérations, la flexibilité du personnel, la décentralisation des centres de profit, les indicateurs de performance, et le benchmarking constituent autant d’instruments que des administrateurs zélés et des décideurs politiques en mal de légitimité vont importer et diffuser dans le secteur public au nom de l’adaptation de l’Etat aux réalités du marché et de la mondialisation […] Hôpitaux, écoles, universités, tribunaux, et commissariats sont tous considérés comme des entreprises relevant des mêmes outils et des mêmes catégories »(2). A l’hôpital, le new public management a pris son essor dès 2004, avec l’instauration de la nouvelle gouvernance, la mise en place de la T2A et s’est accélérée à la faveur du vote de la loi HPST qui prônent dans les établissements de santé une gouvernance calquée sur le privé (directoire, conseil de surveillance, pouvoir élargi du directeur, rémunération variable des praticiens…). Surtout, depuis 2008, les établissements MCO sont passés à 100% de T2A. Concrètement, une grande partie de leur revenu dépend désormais de leur activité. Les directions hospitalières, pour équilibrer leur budget, sont donc contraintes d’augmenter leur activité en conquérant de nouvelles parts de marché. Et, comme dans le privé, elles usent des outils à leur disposition pour survivre : communication, promotion, marketing. « Face à la concurrence des établissements privés et au consumérisme médical de l’usager client en quête de données nourrissant sa liberté de choix, la mise en œuvre d’un politique volontariste de communication externe et de marketing développerait l’attractivité de l’établissement. », écrit la consultante en marketing hospitalier Laetitia Robillard(3). Un message bien entendu par les directions, qui ont fait leur l’intégration du marketing dans leurs stratégie globale. Avec des bémols, cependant. « Il y a une réelle prise de conscience, depuis le passage à 100% de T2A. Mais, si le marketing stratégique, de type benchmark est bien intégré, il reste encore beaucoup à faire en matière de relation client. De même, il n’y a pas encore de communication forte, dans une logique de marque, engagée par les hôpitaux », analyse Cédric Lussiez, directeur de communication de la FHF. Prenant conscience des faiblesses du secteur public, Philippe El Saïr, fervent défenseur de la modernisation de l’hôpital public, défend, pour y remédier, trois chantiers : « Il faut dans un premier temps améliorer la communication externe, comme nous y engage la T2A : nous devons conquérir des parts de marché en communiquant. Il faut aussi revitaliser l’urbanisme de l’hôpital qui n’a pas évolué, contrairement aux aéroports qui, il y a encore quelques années, étaient des endroits sordides. Ils sont depuis devenus chaleureux. L’hôpital est le lieu de toutes les émotions mais c’est un endroit qui ne raconte rien ! Enfin il nous faut améliorer notre "relation client" ».
Réglementation
Sauf que l’hôpital est confronté à des interdits réglementaires, qui ne facilitent pas la promotion de ses activités : « En matière de santé, on retiendra l’interdiction de la publicité relative aux activités et actes médicaux ou aux médecins […] Est également prohibée la publicité au profit d’établissements de santé exerçant une activité de chirurgie esthétique, tout comme la publicité en faveurs de dons d’éléments ou de produits du corps humain [….] Le médecin ne doit pas tolérer que des organismes publics ou privés utilisent à des fins publicitaires son nom ou son activité professionnelle. […] De même, il faut éviter toute incitation réitérée à venir se soigner dans un établissement particulier. »(4) A ces restrictions réglementaires s’ajoutent des freins culturels, propres au monde hospitalier : « Il existe une opposition culturelle du service public à la notion de marché, qui est très présente dans le milieu hospitalier », analyse Marie-Paule Serre, professeur en marketing santé. Néanmoins ce sont des verrous qui, actuellement, sautent, les uns après les autres. Ainsi, Philippe El Saïr, directeur général de l’hôpital de Villefranche-sur-Saône, n’hésite pas quant à lui à parler de « relation clients », plutôt que de relation « patient ». Et la FHF évoque sans discontinuer des parts de marché pour qualifier l’activité médicale des établissements. A tel point, ô comble, que la FHP-MCO s’en est émue dans un communiqué récent : « Lorsque les patrons du secteur public parlent de "part de marché", la dérive est grande pour tous de nommer nos patients des "clients", ce qu’aucun professionnel de santé ne prononcera car pour personne – hôpital ou clinique – ils ne le sont. » Nolens volens, la même FHF se bat pour faire évoluer la réglementation sur la publicité médicale et des établissements de santé : « Lors de l’examen du dernier PLFSS, nous avons tenté de faire adopter des amendements qui ont tous été retoqués, tant sur le fond que sur la forme, pour des raisons d’éthique. Nous voulions apporter une base juridique incontestable à la publicité d’informations à visée promotionnelle des établissements publics de santé. Nous avions également prévu un régime de sanction aux contrevenants », se souvient Cédric Lussiez. Malgré ces embûches, il est un fait : les hôpitaux font du marketing et de la communication, comme M. Jourdain faisait de la prose : sans le savoir. Et avec des moyens limités : « Dans les hôpitaux, les équipes de communication sont des plus limitées », remarque Marie-Paule Serre. Marie-Georges Fayn, à la tête d’une agence en charge de la communication des CHU, n’en détaille pas moins mille et une initiatives prises par les CHU pour communiquer : « Les hôpitaux prennent énormément d’initiatives. Ils communiquent beaucoup vis-à-vis des patients, mais aussi des prescripteurs, à savoir les médecins généralistes. Et savent les séduire. Par exemple, il n’est pas rare de constater qu’on réserve sur les parkings des hôpitaux, des places aux MG. De même, les hôpitaux ont intégré la logique de marque depuis longtemps. Ils ont tous un logo, un code couleur, et parfois un slogan. Je me rappelle par exemple de celui du CHU de Limoges qui est : "Limoges, le CHU le plus accueillant de France". Autre signe : de nombreux établissements ont installé des directions patients » Et de citer moult exemples. En matière de « service aux patients », une hotline (plateforme téléphonique) a été créée au CHRU de Lille pour « permettre aux médecins généralistes de la région Nord-Pas-de-Calais d’échanger rapidement avec un praticien du CHRU de Lille pour un avis médical ». Le Chu de Grenoble quant à lui offre aux patients la « possibilité de prendre un rendez-vous en ligne et même d’être alertés par mails et SMS ! » Les hôpitaux innovent également en matière de services : outre les classiques bouquets TV à l’hôpital, le CHU de Tours propose des cours d’esthétique. Au-delà du service au client classique, les hôpitaux n’hésitent pas non plus à organiser des réunions pédagogiques auxquelles ils convient des médecins généralistes. Les hospitaliers sont également attentifs aux nouvelles formes de marketing : « pour les hôpitaux, le marketing viral sur Internet est aussi important que les moyens classiques. Nous sommes à l’écoute des commentaires postés sur les sites Internet médicaux par des patients sur l’accueil ou les soins dont ils ont pu bénéficier , », ajoute Cédric Lussiez.
Résistances
Ces initiatives butent cependant face à une résistance au mercantilisme, très présent à l’hôpital public. Ainsi, Mireille Faugère, mettant en pratique sa volonté de développer le « service au patient-client », a communiqué sur le lancement de chambres individuelles à 45 euros à l’AP-HP. Que n’a-t-elle fait ! Une levée de boucliers devait accueillir cette initiative. L’un des principaux syndicats de praticiens hospitaliers, le SNPHARE, « dénonce cette dérive scandaleuse. Un patient admis à l’hôpital public ne doit pas recevoir des soins en fonction de ses moyens financiers, ni devoir payer plus pour se reposer mieux. […] L’hôpital public devient une entreprise de services à la tête et au portefeuille du client ! » Le mouvement de défense de l’hôpital public (MDHP) dénonçait également à cette occasion la lente dérive « marketing » de l’hôpital public : « l'administration a décidé de facturer les chambres individuelles 45 € par jour. Par une lettre ouverte à Mireille Faugère, directrice générale de l'AP-HP, plus de 600 médecins de l'AP-HP condamnent fermement le principe de cette mesure, en expliquant pourquoi ils ne pourront pas l'appliquer [ …] Visiblement vous pensez Madame la Directrice, que l’Assistance publique doit faire de la concurrence aux cliniques privées en se plaçant sur leur terrain, considérant les patients comme des clients et adoptant leurs méthodes commerciales. Verrons-nous bientôt une campagne d’affichage avec le slogan qui vous est cher "A nous de vous faire préférer l’AP-HP" ? » Quand certains dénoncent cette mainmise du marketing à l’hôpital, d’autres soulignent en revanche les marges de manœuvre réduites de pareille démarche dans le secteur de la santé : « Nous avons un rôle de service public. Nous sommes par exemple soumis à des objectifs quantifiés d’activité, les fameux objectifs quantifiés d’offres de soins (Oqos). Comment gagner des parts de marché lorsque notre activité est limitée par la tutelle ? Partant de là, nous ne pouvons appliquer les mêmes méthodes de marketing du privé à l’hôpital public », explique Patrick Guillot, directeur général du CHRU de Strasbourg, en charge de la communication à la conférence des directeurs généraux de CHU. Résultat : malgré le passage à 100% de T2A, les budgets de communication dans les hôpitaux n’ont pas explosé pour autant, constate Patrick Guillot.
Et, parts de marché ou pas, ce sont les agences régionales de santé (ARS) dorénavant qui, via le plan régional de santé (PRS) les schémas régionaux d’organisation des soins (Sros), et les autorisations d’activité et d’équipement, régulent l’activité des hôpitaux. Par ailleurs, l’assurance maladie, via l’Ondam, limite aussi fortement la volonté de conquérir de nouvelles parts de marché… Alors, le marketing à l’hôpital, un nouveau miroir aux alouettes ? « Dans les enquêtes de satisfaction des patients SAPHORA menées par l’AP-HP, il apparaît que le point essentiel reste la relation médecin/patient. Aussi bête cela puisse-t-il paraître, la relation humaine qui se tisse à l’hôpital est le meilleur garant de notre réputation », conclut Patrick Guillot.
2- Ibid.
3- Revue hospitalière de France. Juillet/août 2007.
4- Revue hospitalière de France. Janvier/février 2010.
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