LA FRANCE compte plus de 10 millions de sujets entre 2 et 25 ans. En quelques années, le paysage adolescent de nos latitudes a changé : société de plus en plus citadine, équilibre psychique de plus en plus difficile à trouver pour chacun, vie en famille monoparentale ou recomposée pour un adolescent sur cinq, fratrie plus réduite, parents plus âgés. La société toute entière s'est modifiée et les adolescents d'aujourd'hui ont peut-être perdu en tranquillité et en sécurité ce qu'ils ont gagné en liberté.
Même si la majorité des adolescents va bien, le passage vers l'âge adulte ne se fait pas sans trous d'air, générateurs de nausées chez les parents, ni sans tourment pour les enfants. Les conseils et les explications des pédopsychiatres Denis Bochereau et Philippe Jeammet (« la Souffrance des adolescents ») seront d'un grand secours pour tous ceux qui ont du mal avec les attitudes paradoxales de leurs enfants, exprimant tout à la fois «Ne me dites pas ce qu'il faut faire» et «Ne m'abandonnez pas». Aujourd'hui, le message implicite des parents est bien souvent «Fais ce que tu veux mais sois excellent et ne nous déçois pas», quand il était il y a quelques années «Fais ce que tu dois et tu auras rempli ton contrat».
Si ces nouveautés favorisent la créativité, elles favorisent aussi sans doute l'expression des vulnérabilités, expliquent les auteurs. Or l'adolescence étant par essence une période de mutations et de bouleversements psychiques et physiques, donc de fragilité, il n'est pas étonnant qu'elle soit aussi une zone de fortes turbulences, caractérisée par des conduites placées sous le signe du paradoxe, oscillant d'un extrême à l'autre, au grand désarroi, voire désespoir, des parents.
L'ouvrage des deux pédopsychiatres, édité en collaboration avec la Fondation de France et l'Unafam, décrypte et analyse cette période et ses bouleversements, donne des repères indispensables pour identifier certains signaux alarmants nécessitant l'intervention d'un tiers, avant d'aborder les troubles psychiatriques plus caractérisés. Sans pathos ni simplification, avec finesse et une solide connaissance de la question.
L'intimité des adolescents.
Ce temps de réaménagement des relations avec les parents et les gens en général est aussi celui des premiers émois amoureux, des grandes rencontres amicales, un temps où les émotions sont vécues avec intensité, même si elles ne sont pas extériorisées. Un temps où les déceptions amicales et amoureuses peuvent être ressenties dramatiquement, où un chagrin d'amour n'est jamais banal, explique la psychologue Béatrice Copper-Royer (« Premiers Emois, premières amours. Quelle place pour les parents ? »). «Aider les enfants à devenir adultes, c'est aussi apprendre à s'en séparer», dit cette clinicienne, spécialiste de l'enfance. Car pour permettre à l'adolescent de vivre une relation amoureuse sereine, il lui faut être dégagé de l'emprise de ses parents. Reconnaître l'altérité de son enfant impose de savoir rester à sa place. S'agissant de la vie amoureuse de leurs enfants, les parents d'aujourd'hui, soumis au diktat normatif et banalisant de la vie sexuelle et de la liberté de parole, ne savent pas toujours où donner de la tête, quelle attitude adopter, comment éviter l'intrusion et le voyeurisme tout en veillant au grain, histoire de protéger leurs enfants en proie à des émois plus ou moins tumultueux. Au travers du discours édifiant de nombreux adolescents qu'elle reçoit en consultation, Béatrice Copper-Royer trace le portrait des difficultés rencontrées, des maladresses et des erreurs à ne pas commettre, souligne la nécessité de préparer le futur adolescent à la rencontre de ses futures émotions dès l'enfance sans seulement se préoccuper d'information « technique » et d'éducation sexuelle proprement dite et celle de ne pas projeter ses rêves inassouvis sur sa progéniture sous peine de leur briser les ailes. «Aujourd'hui, où le lien affectif avec les enfants apparaît parfois comme le seul lien stable et rassurant, le risque semble plus fort de ne pas savoir ou oser les lâcher», écrit-elle avec lucidité.
Exiger l'impossible.
Pierre Zamet, pédiatre, le souligne lui aussi dans son regard sur l'enfance et la société (« A la recherche des besoins perdus »), l'adolescence se caractérise par le besoin vital d'une communication devenue problématique. D'où le désarroi des parents sommés de trouver un nouveau langage pour promouvoir un nouveau dialogue, de savoir donner d'eux-mêmes tout en restant suffisamment distants, «de donner des marques d'affection sans étouffer, trouver une complicité sans copiner, guider en responsabilisant». «Mission d'autant plus complexe mais d'autant plus indispensable que notre société est de plus en plus exigeante», estime ce clinicien, promoteur d'une redécouverte des valeurs jadis vantées par quelques grandes figures de l'humanité, Jésus, Lao-tseu, Bouddha, Confucius ou Socrate, prééminence de la compassion sur les principes, refus des extrêmes, promotion du libre arbitre et de l'altruisme.
« La Souffrance des adolescents », Pr Philippe Jeammet, Dr Denis Bochereau, La Découverte, 222 pages, 16 euros. « Premiers Emois, premières amours. Quelle place pour les parents ? », Béatrice Copper-Royer, Albin Michel, 176 pages, 13,90 euros.
« A la recherche des besoins perdus. Un regard sur l'enfance et la société », Pierre Zamet, L'Harmattan, 195 pages, 18,50 euros.
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