Livres
Les héros sont fatigués, les écrivains le sont aussi, au moins, dans le cas d'Antoine Dessangles qui a décidé de ne plus écrire, ils sont fatigués de leurs héros de papier. Fi de l'imagination, place à la réalité, à la vérité cachée de l'hôtesse de l'air, du plagiste ou de l'avocat lorsqu'ils ont atterri, rangé les parasols ou quitté leur robe. Antoine Dessangles en aurait à raconter, depuis qu'il a posé son stylo pour suivre et épier en secret ces héros du quotidien qui n'ont pas souvent quelque chose à cacher.
Pour parfaire sa collection de ce qu'il nomme les après, il lui faut jouer serré ; car pour saisir l' après de Madame Seyerling, il doit aller jusqu'à New York... en se cachant de sa femme et de son éditeur qui le croient toujours appliqué à terminer son prochain roman ; étant un spécialiste de la fiction et un artiste du mensonge, il n'a aucun mal à les abuser.
Qu'est-ce qui justifie cependant un tel déplacement, des frais et des arrangements pas toujours évidents ? Antoine Dessangle s'intéresse à Madame Seyerling non seulement parce que sa fille a été exécutée - très proprement par une solution de thiopental sodique, de bromure de pancurnium et de chlorure de potassium injectée dans ses veines par l'Etat du Texas - mais aussi parce qu'elle a traversé tout les Etats-Unis pour s'installer à Brooklyn. L'ex-écrivain a loué une maison de l'autre côté de la rue et acheté des jumelles qui lui permettent de voir la nuit ; car Madame Seyerling ne sort pas de chez elle et n'allume pas les lumières. Il ne se passe rien, que le va et vient des livreurs du centre commercial.
Jusqu'au jour où toutes les règles de l' après vont être rompues, car Madame Seyerling elle-même entre en contact avec Antoine Dessangles ; pour un petit service, du café, pas plus, mais le voyeur se transforme alors en interlocuteur puis, presque malgré lui, en acteur de l' après, après que Madame Seyerling lui a dit la raison de sa présence à New York, dans ce quartier.
Cette révélation ne fait pas pour autant de Madame Seyerling l'héroïne du roman ; la dernière page fermée, elle garde - heureusement - son mystère alors que le personnage de l'écrivain nous est devenu familier : son couple, ses passe-temps, ses goûts, ses travaux alimentaires, ses lubies et, surtout, ses interrogations et ses doutes sur l'écriture, ses sujets d'inspiration, le goût des lecteurs...
Que l'académicien Goncourt - depuis 1995 - ait écrit là un livre très personnel, cela ne fait aucun doute et pourquoi pas puisque le thème en est la vérité de nos existences, mais en écrivain chevronné, il a eu l'élégance d'attirer notre attention sur un destin qui est devenu plus qu'un faire-valoir.
Editions du Seuil, 295 p., 20 euros
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