« LE RISQUE DE TRANSMISSION du virus de l'immunodéficience humaine d'un soignant à un patient est très faible. » La conclusion des experts du Conseil supérieur d'hygiène publique de France (section maladies transmissibles) est tirée de l'examen des données recueillies sur le sujet et examinées lors d'une séance préparatoire en mai dernier. En France, près de 75 000 soignants, dont 22 000 chirurgiens, pratiquent des actes invasifs qui comportent un haut risque d'accident d'exposition au sang avec recontact de l'instrument souillé. Parmi eux, de 37 à 370 sont porteurs du VIH, selon une étude du Geres réactualisée en 2000. Selon le CDC (Centers for Disease Control), la probabilité qu'un chirurgien transmette le virus à un de ses patients serait située entre 0,12 et 1,2 % au cours d'une année où il aurait pratiqué environ 500 interventions. Sur sept ans d'activité, la probabilité serait comprise entre 0,8 et 8,1 %. Mais « ces estimations ne prennent pas en compte le niveau de la charge virale plasmatique et l'impact éventuel des traitements antirétroviraux », commentent les experts. Or la charge virale du soignant est un facteur déterminant de la transmission. Seulement quatre cas, dont trois publiés, ont été rapportés dans le monde.
Risque minime mais précautions maximales.
En dépit d'un risque minime, les experts considèrent qu'un « soignant doit, en conscience, s'abstenir de faire courir un risque de contamination à son patient et donc prendre toutes les précautions pour l'éviter ». La prévention est essentielle, d'autant plus qu'elle bénéfice aussi aux soignants séropositifs : « Quatre-vingts pour cent d'entre eux vont avoir une charge virale plasmatique indétectable sous antirétroviraux et pourront éventuellement reprendre une activité de soins trois à six mois après la première charge virale plasmatique indétectable », poursuivent-ils. L'obtention d'une charge virale sous ARV en dessous du seuil de détection est une condition indispensable à la poursuite de leur activité professionnelle.
Neuf recommandations visent à réduire le risque de transmission. En dehors du strict respect des précautions universelles et des précautions standards à mettre en œuvre au bloc opératoire, les experts insistent sur la prévention des AES. En pratique, les AES survenant au bloc opératoire sont aujourd'hui « nettement sous-évalués », car ils sont sous-déclarés. « Un effort particulier doit être réalisé pour réduire la sous-déclaration », notent-ils. Les mesures de traçabilité recommandées dans le cadre de l'assurance qualité devraient permettre de mieux analyser les circonstances de l'AES et de mieux identifier les dysfonctionnements. Une implication forte de la médecine du travail dans le contrôle postexposition est cruciale pour dépister une primo-infection et éviter les contaminations secondaires.
Concernant le dépistage chez les soignants, les experts estiment qu'un dépistage obligatoire n'apporterait qu'une fausse sécurité. « Le dépistage volontaire est fortement recommandé, en particulier chez ceux dont la pratique comporte des gestes à risque d'AES et de recontact. » Il doit être effectué de manière régulière surtout en cas de conduite à risque non professionnelle. Les mêmes recommandations s'appliquent aux étudiants engagés dans une filière de santé qui ne se verront pas proposer de dépistage systématique, mais volontaire. Cela devrait permettre « d'éviter que ne s'engagent vers des spécialités où l'on pratique des manœuvres à risques des étudiants porteurs du virus. Une aide à l'orientation pourra être fournie par la Commission ad hoc », précisent encore les experts.
Une commission ad hoc.
Les recommandations de 4 à 8 concernent spécifiquement les soignants infectés par le VIH et encouragent notamment le recours à une commission nationale ad hoc. Les professionnels de santé sont invités à respecter les mesures visant à réduire le risque d'AES, à suivre une formation spécifique et renforcée concernant le risque de transmission des virus par le sang et à limiter au maximum les actes invasifs avec risque de transfert de sang et de recontact. Les experts recommandent leur passage volontaire devant une commission « ad hoc », « dont le rôle serait de juger de la possibilité du soignant à continuer à exercer son activité professionnelle, en fonction de sa virémie et de son type d'exercice, tout en assurant la confidentialité et le caractère homogène des avis rendus ». Les mesures prises par la commission seraient modulées en fonction du risque et distingueraient trois catégories parmi les soignants : ceux qui pratiquent des gestes non invasifs, ceux qui effectuent des actes invasifs ne comportant pas de procédures à risque, et ceux pratiquant des actes invasifs avec procédures à risque.
La recommandation 8 précise les conditions de l'exercice. Les soignants infectés « ne doivent pas être exclus systématiquement des soins sur le seul critère de leur séropositivité ». Ils peuvent continuer à pratiquer des actes invasifs à condition de « présenter un état clinique satisfaisant ainsi qu'une charge virale indétectable depuis au moins trois mois ». Leur prise en charge thérapeutique pourrait présenter, selon les experts, quelques différences avec celle des autres patients : « Les indications de début d'un traitement antirétroviral pourraient être plus précoces », avec comme critère la prise en « compte essentiellement du niveau de leur charge virale plasmatique ».
Aucune information a priori de la séropositivité du soignant ne doit être donnée au soigné. Cependant, en cas de situation particulière avec un risque de transmission élevé (saignement important du praticien au cours d'une intervention), le patient doit être informé le plus vite possible afin de bénéficier d'un suivi et éventuellement d'un traitement précoce.
Quel que soit le mode d'exercice, si l'activité du soignant devait être modifié, « le reclassement professionnel doit être largement favorisé », indiquent les experts.
Enfin, ils recommandent que l'avis soit largement diffusé aux professionnels de santé comme au public afin de maintenir « la confiance accordée par les patients aux soignants ».
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