Vingt-six millions de personnes sont déjà mortes du sida, dont 95 % dans les pays en développement. Aujourd'hui, 45 millions de personnes sont toujours infectées par le virus et la plupart n'ont pas accès aux antirétroviraux. « Ces chiffres sont choquants, en fait, ils sont incompréhensibles. Selon tous les experts, nous faisons face à la plus grave crise sanitaire de l'histoire de l'humanité. » Le leader charismatique de la lutte dans les pays du Sud n'a pas caché son indignation.
C'est un Nelson Mandela un peu affaibli, s'aidant d'une canne, qui a fait une entrée remarquée et teintée d'émotion lors de la séance plénière extraordinaire consacrée aux « 20 ans de recherche sur le sida » lors de la deuxième conférence de l'International AIDS Society (IAS). Pourtant c'est avec l'air grave et la voix ferme et en lançant les bras en l'air, dans ce geste qui lui est si caractéristique, qu'il a entamé un plaidoyer pour que les progrès scientifiques se traduisent dans les faits et partout dans le monde.
Dénonçant le « travestissement des droits de l'homme » que constitue l'inaccessibilité aux traitements, il a salué l'annonce américaine de débloquer 15 milliards de dollars sur cinq ans comme une « proposition cruciale ». De même, il a exhorté les pays européens à en faire « autant sinon mieux », compte tenu de l'importance de leur population et de leur économie . Les pays africains qui suivront avec intérêt les engagements pris, devront aussi s'engager et faire de la lutte contre le sida une priorité nationale. « Nous devons apprendre à contrôler la maladie, a-t-il rappelé . Sinon, c'est elle qui nous contrôlera. »
Par l'intermédiaire de sa fondation, la première étude de prévalence a été réalisée en Afrique du Sud et offre enfin une base solide pour le développement d'actions de prévention, de soins et de traitement mieux ciblées.
Avant lui, des chercheurs prestigieux se sont succédé à la tribune.
La bataille n'est pas gagnée
Les Pr Robert Gallo, Luc Montagnier et Anthony Fauci (directeur du NIAID, NIH, Etats-Unis) ont souligné qu'en dépit des immenses progrès accomplis qui ont fait reculer la mortalité et ont transformé l'infection par le VIH en une maladie chronique la bataille n'est pas encore gagnée, même dans le Nord.
Après plus de 135 000 publications sur le sida, « nous en savons probablement plus maintenant sur la pathogenèse du VIH que sur celle d'aucune autre maladie virale », a souligné le Pr Fauci. Toutefois, beaucoup reste à faire. La mise en évidence des réservoirs, la haute capacité des virus à muter et à provoquer des résistances posent problème. « Les traitements n'éradiquent pas encore le virus. De nouvelles molécules seront nécessaires dans les années à venir ». Les efforts de prévention doivent être maintenus, cependant que la mise au point d'un vaccin préventif sûr et efficace représente un « des défis scientifiques les plus importants de la recherche sur le sida ». Avec humour, le Pr Fauci termine sa présentation des vingt années qui viennent de s'écouler en soulignant le rôle important qu'ont joué les associations de patients qui n'ont pas hésité à interpeller les scientifiques. La photo des militants d'Act-Up brandissant une pancarte où l'on peut lire : « Dr Fauci, you are killing us », rappelle, bien que ce soit sur le mode exagéré, le défi des décennies à venir : éradiquer l'épidémie et rendre accessibles les traitements partout où ils sont nécessaires.
L'accès aux trithérapies est un choix économique rationnel
« Il est inexact de prétendre que les trithérapies ne sont pas adaptées aux pays africains », affirme le Pr Michel Kazatchkine, directeur de l'ANRS et coprésident de la deuxième Conférence de l'IAS. Deux publications, rendues publiques à cette occasion, remettent en question les arguments d'ordre économique, technique et clinique contre l'accélération de l'accès aux soins.
La première, un numéro spécial de la revue « AIDS » (vol. 17, 3 juillet) entièrement consacré à l'analyse des programmes d'accès aux traitements en Côte d'Ivoire, au Sénégal et en Ouganda, montre que, du point de vue biologique, « les taux de résistance virale sont similaires, voire inférieurs, chez les patients suivis dans les trois pays, à ceux des pays du Nord ». Les problèmes n'apparaissent que si un marché noir s'installe et que la distribution n'est ni contrôlée ni maîtrisée.
La deuxième est un ouvrage collectif* qui présente le travail de 17 équipes de recherche dans le cadre du programme lancé par l'ANRS, « Evaluation économique des traitements antirétroviraux dans les pays du Sud » (ETAP). Contrairement à ce que beaucoup d'économistes ont avancé jusqu'à présent, le rapport coût/efficacité milite en faveur des traitements, même dans les pays à ressources limitées. Ainsi, le Brésil a été le premier pays à mettre en place l'accès universel à des traitements gratuits par le biais du système de santé et grâce à la production de génériques. Près de 125 000 personnes ont bénéficié de traitements efficaces, ce qui a permis d'économiser à court terme plus de 2 milliards de dollars, dont plus de 1,1 milliard représente les hospitalisations évitées. Pour 1,8 milliard investi, le temps de survie moyen est passé de 6 mois à 5 ans. Les années de vie gagnées ont également un impact sur le plus long terme. La mortalité qui affecte surtout la population jeune aura, par le biais d'effets intergénérationnels , des conséquences désastreuses sur le développement . « L'accès au traitement dans les pays du Sud est non seulement un impératif moral, c'est aussi un choix économique rationnel », insiste le Pr Jean-Paul Moatti, un des auteurs de l'ouvrage.
* « Economics of AIDS and Access to HIV/AIDS Care in Developping Countries : Issues and Challenges », ANRS, collection « Science sociales et sida ».
Voir aussi :
> Le menu offert au praticien par le pipe-line des antirétroviraux
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