Les représentants des caisses et des syndicats médicaux en conviennent à mots couverts : la situation actuelle, entre poker menteur et jeu de quitte ou double, a un côté ubuesque.
Après dix mois de contacts informels, de réunions plénières, de séminaires de travail, d'ateliers thématiques, de déjeuners et de dîners communs, après le « retour du dialogue » célébré pendant l'été 2002 et après un protocole d'accord signé le 10 janvier par quatre syndicats sur cinq (refusé par la FMF), les négociations conventionnelles, longue succession de psychodrames et de retrouvailles, semblent au point mort. Et ce alors même que le nouveau dispositif censé régir les relations médecins-caisses doit théoriquement être bouclé dans dix jours. Les partenaires se retrouvent en tout cas ce matin, à partir de 9 heures, pour une séance de négociation non-stop qui s'annonce cruciale.
Des syndicats sous pression
On l'a dit : les discussions achoppent depuis quelques semaines sur la question des espaces de liberté tarifaire, chaque partie campant sur ses positions, en tout cas officiellement. « Vous ne trouverez pas (parmi nous) d'interlocuteurs pour bâtir un système où les médecins apprécieraient librement la valeur de leurs actes », a tranché Jean-Marie Spaeth, président de la CNAM, lors de la dernière réunion, le 14 mars. Refusant de « démanteler un système d'assurance sociale et solidaire », il a renvoyé la liberté tarifaire dans le camp du « politique ». Qu'elle soit « ouvertement présentée » (secteur II ouvert à tous) ou « subtilement distillée », la liberté tarifaire aboutirait, selon les responsables de la CNAM, à un décrochage durable entre les tarifs pratiqués et le remboursement. Décrochage dont les confédérations de salariés ne veulent pas assumer la responsabilité. De leur côté, les principaux syndicats de spécialistes n'en démordent pas : ils ne pourront pas imposer à leur base un texte médiocre ou bancal, qui ne permettrait pas aux médecins libéraux d'exercer une partie importante de leur activité en dehors des tarifs opposables, seule bouffée d'oxygène pour de nombreux cabinets de spécialistes au bord de l'asphyxie financière. « Les dépassements d'honoraires ont atteint un point de non-retour », a mis en garde le Dr Michel Chassang, président de la CSMF, qui a mesuré l'impatience des troupes lors de son tour de France. Une affirmation contestée par le président de la CNAM qui, de son côté, juge encore minoritaire la pratique des dépassements tarifaires.
Guerre des mots et des nerfs
C'est dans ce climat de guerre des mots et des nerfs que les dernières propositions de l'assurance-maladie, certes difficilement lisibles, ont été rejetées à chaud par la CSMF et le SML, majoritaires. Mais d'autres syndicats sont moins catégoriques (« le Quotidien » du 17 mars). En réalité, les représentants des médecins ont très attentivement examiné ces propositions ces derniers jours. Et il y a bien une ouverture. La CSMF et le SML proposeront ce matin un texte commun, reprenant la piste d'une « majoration de soins coordonnés » valorisant grosso modo la moitié des consultations des spécialistes avec, de l'autre côté, un droit au dépassement des tarifs opposables, mais non plafonné. Dans ce schéma, seulement 10 % des consultations des spécialistes resteraient fixées à 23 euros. MG-France considère pour sa part, depuis longtemps, que la coordination des soins entre médecins libéraux est « un critère pertinent » de majoration des consultations qui permettra au généraliste « de mieux effectuer son travail de suivi et de synthèse » tout en valorisant le « rôle d'expertise » du spécialiste. Enfin, les syndicats se rejoignent pour affirmer que seuls des honoraires décents permettront d'envisager une modération d'activité des spécialistes, dans le cadre d'une logique de confiance qui commence à faire ses preuves chez les généralistes.
L'épée de Damoclès du règlement conventionnel minimal
La situation de blocage pourrait donc être surmontée in extremis. Pour plusieurs raisons.
D'abord, les rencontres caisses-médecins ont permis de prendre acte de nombreuses avancées, qui ne sont pas anecdotiques : reconnaissance des conditions d'exercice des médecins de montagne et des médecins thermaux, mesures de revalorisation immédiates pour les chirurgiens, en attendant l'entrée en vigueur de la réforme de la nomenclature des actes techniques (2004) ou encore les dispositions d'urgence pour les psychiatres libéraux qui, initialement, avaient été oubliés. « Il y aura un geste fort immédiat pour eux », promet Daniel Lenoir, directeur de la CNAM. Pour l'instant, les caisses ont proposé de créer pour les psychiatres, à titre transitoire, deux nouvelles consultations, familiale et « de rencontre », évaluées chacune à 45 euros.
L'autre facteur qui plaide en faveur d'un accord est la menace du rétablissement des pénalités financières prévues par le règlement conventionnel minimal (RCM, qui s'applique aux spécialistes en l'absence de convention) pour les médecins installés en secteur I. En vertu d'un arrêté du 27 février, le financement par l'assurance-maladie des cotisations sociales a été prolongé sans diminution jusqu'au 31 mars, date butoir que les partenaires conventionnels avaient eux-mêmes décidé de respecter.
En cas d'échec des négociations, rien ne dit qu'un nouveau délai de grâce sera accordé aux spécialistes. « S'il y a rupture, on ne pourra empêcher le gouvernement de sanctionner », analyse un responsable syndical.
Enfin, une intervention officielle ou discrète du ministre de la Santé, que réclament plusieurs syndicats médicaux, n'est pas exclue. Dans une lettre adressée à Jean-François Mattei, le Dr Jean-Claude Régi, président de la FMF, estime que « lorsque la distorsion est trop flagrante, la recherche d'une solution de sortie de crise s'impose ». Astucieusement, le syndicat rappelle que, « en 1980, le gouvernement de M. Barre, sur les propositions de la FMF, était sorti d'une situation identique par le haut, en créant le secteur II ». L'histoire peut-elle se répéter ?
L'assurance-maladie a demandé aux responsables syndicaux qui négocient de réserver deux journées complètes, aujourd'hui et demain, signe d'une volonté affichée d'aboutir. Le Dr Jean-François Rey, président de l'UMESPE (branche spécialiste de la CSMF), confie que les « positions, en fait, ne sont plus très éloignées si les caisses font un dernier geste ». « Comme d'habitude, il y a, avec Jean-Marie Spaeth, un aspect théâtral dans la dernière ligne droite », analyse aussi, en vieux routier des négociations, le Dr Roger Rua, secrétaire général du SML. Comme d'autres, il pense que les négociations vont enfin « cristalliser ». Avant d'ajouter : « S'il y rupture, on le saura très vite. »
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