Idées
Ce n’est pas un nouveau livre sur la persécution et les camps ou sur la machine de mort mise en place par les nazis. De façon très originale, on voit que seuls des conférences et des accords diplomatiques pouvaient envisager le délicat problème d’une compensation pour des meurtres et des spoliations.
Après des années de négociations, le 15 juillet 1960, « la République fédérale d’Allemagne s’engage à payer la somme totale de 250 millions de deutsche marks au bénéfice des victimes françaises du national-socialisme ». Ce simple libellé mérite de nombreuses remarques. L’accord intervient quinze années après la guerre, alors que les survivants, les veuves et les orphelins attendent depuis longtemps. Il ne discrimine pas entre victimes « résistantes ou raciales ». La somme allouée ne représente que 0,625 % du budget de l’état fédéral. Enfin, l’accord s’inscrit dans le cadre général d’une harmonie retrouvée entre la France et l’Allemagne fédérale, de l’absorption de la RDA dans le glacis soviétique et d’une volonté de ne pas répéter les erreurs du Traité de Versailles de 1919.
« L’Allemagne du chancelier Adenauer s’est bâtie pour une large part sur le déni des crimes nazis », dit Jean-Marc Dreyfus. Elle a découvert les satisfactions de la société de consommation et n’a plus envie de se remémorer « ces histoires de juifs », comme l’a constaté le couple Klarsfeld, chasseur de nazis.
Intraitable au cours de toutes les négociations, Adenauer a habilement mis en place une vision nouvelle du passé : un peuple de braves gens momentanément égarés par une poignée de criminels qui ne les représentaient en rien. Ceci permettra de jouer de tous les encombrements juridiques, utilisant le droit pour soustraire à toute sanction le bourreau d’Oradour, le général Lamerding, ou cherchant à ne dédommager que les victimes allemandes.
Les grands corps de l’État
Nous l’avons dit, la cible principale de l’ouvrage est constituée par le corps des ambassades et diplomates qui, dès la fin des années 1930, en France, manifestent un antisémitisme persistant. Il aura une influence majeure sur la politique de Vichy envers les demandes allemandes. L’auteur révèle la quasi-inexistence des juifs dans les grands corps de l’État, où fonctionne un implicite numérus clausus.
En face, si l’on peut dire, le ministère des Affaires étrangères, la « Wilhelmstrasse », peuplé au départ de délicats aristocrates, est progressivement nazifiée, puisque la carte du parti sera exigée pour y appartenir. Les diplomates allemands s’emploieront à justifier les violences des SA contre les juifs et à déployer vers l’extérieur une propagande niant ces exactions.
Contrairement à une phrase célèbre, ceux qui oublient leur passé ne sont pas nécessairement condamnés à le revivre. L’ouvrage extrêmement fouillé et documenté de Jean-Marc Dreyfus crée un malaise en mettant en scène d’interminables ballets diplomatiques opposant des gens qui se ressemblent tellement et traitent de comptabilités de l’horreur. Cadavres et gants blancs, élégants compromis avec la nuit et le brouillard.
Jean-Marc Dreyfus, « l’Impossible Réparation », Flammarion, « Au fil de l’Histoire », 285 p., 23 euros.
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