FAUT-IL Y VOIR UN SIGNE inquiétant, comme le craignent un certain nombre de médecins que « le Quotidien » a joints, ou un oubli sans importance, voire, plus simplement, le manque d'intérêt des journalistes qui interrogeaient le président de la République lors de sa prestation télévisée de jeudi dernier ?
Reste que le fait que la santé ait été totalement absente, mis à part une allusion aux franchises médicales en début d'interview, des propos de Nicolas Sarkozy est difficilement compréhensible. Surtout quelques jours après son discours de Neufchâteau sur la réforme de l'hôpital, et alors que se préparent des lois importantes sur le financement de la santé et l'organisation du système de santé.
On attendait, on espérait des commentaires après la grand-messe des états généraux de l'organisation de la santé réunis à grand bruit et à grands frais par la ministre de la Santé, après les multiples rapports de ces dernières mois. On aura été déçus. Certes, les sujets abordés par le chef de l'Etat sont essentiels, mais alors que la santé est l'un des premiers postes de dépense des Français et que beaucoup d'entre eux s'interrogent sur les projets en matière de prise en charge – notamment après les déremboursements de médicaments, les déclarations de la ministre de la Santé sur le remboursement des frais d'optique et les projets de transferts de charge entre le régime obligatoire et les complémentaires –, on aurait pu penser que le président profiterait de l'occasion pour calmer ces craintes ou préciser ses projets. Rien. Pas un mot. Pas une allusion.
Comme si la santé et la solidarité n'étaient pas des sujets majeurs de préoccupation.
Il n'est pas certain que le président, qui cherche à reconquérir les Français et à remonter dans les sondages, ait choisi la bonne solution en ignorant, volontairement ou pas, de traiter de ce domaine. Les médecins ne s'y trompent pas qui affirment leurs inquiétudes, leurs craintes, leurs déceptions après cette prestation télévisée.
> J. D.
Dr MICHEL CHASSANG (CSMF): STUPEFAIT
« Je suis interloqué, dubitatif, stupéfait. Comment peut-on ignorer la santé lors d'une intervention si importante ?
Il y a deux hypothèses qui ne sont pas plus rassurantes l'une que l'autre. Ou la santé n'intéresse pas le président et c'est grave ; ou bien le dossier est plié, bouclé, définitivement réglé, et c'est encore, plus préoccupant. Cette absence en tout cas, contraste singulièrement avec les difficultés que nous rencontrons aujourd'hui.
Le chef de l'Etat devra rapidement rattraper cette faute. »
CLEMENT LAZARUS,
ETUDIANT DCEM3: ENNUYEUX
« Le président a complètement ignoré le domaine de la santé et de l'organisation des soins, comme si tout allait bien. Il a simplement au début de son intervention parlé des franchises médicales en affirmant une nouvelle fois qu'elles serviraient à financer le plan Alzheimer et le plan pour les soins palliatifs. Alors même que, quelques heures auparavant, les associations concernées avaient affirmé qu'elles n'avaient pas reçu les subsides attendus. Pour le reste, Nicolas Sarkozy n'a rien dit, rien précisé, rien annoncé. A vrai dire, je me suis plutôt ennuyé lors de cette allocution présidentielle. Le chef de l'Etat, sa ministre de la Santé souhaitent que le futur médecin que je suis s'installe à la fin de ses études, diplôme en poche, dans des zones rurales, des zones sous-médicalisées. Mais, en même temps, ils veulent supprimer les hôpitaux locaux qui sont pourtant les relais naturels des médecins et des généralistes de campagne. Difficile dans ces conditions de s'y reconnaître. Pour l'instant, je n'ai aucune des réponses que je pourrais attendre et le président ne m'en a pas apportées. On comprendra dès lors que je ne sois guère optimiste. »
Dr ALAIN CHOUX, SPÉCIALISTE: SCANDALEUX
«Vu l'urgence des problèmes, je trouve inadmissible et pour tout dire scandaleux que Nicolas Sarkozy n'ait absolument pas abordé les problèmes de santé, alors que les dossiers de l'hôpital et de l'installation des médecins, de l'équilibre des comptes de la Sécurité sociale, de l'assurance-maladie sont immenses et très loin d'être réglés. Mais il y a d'autres sujets qui m'interpellent dans l'intervention présidentielle. Le chef de l'Etat a vanté les mérites du bouclier fiscal, mais il faut aussi savoir que la France reste l'un des seuls pays à appliquer l'impôt sur la fortune.
Le fameux ISF demeure. Même les socialistes espagnols l'ont supprimé. Il faut savoir aussi qu'un couple de médecins, tous les deux en secteur II, avec deux enfants encore en bas âge, qui paie 100 000 euros d'impôts, règle aussi entre 230 000 à 240 000 euros de charges, tous postes confondus. Ce n'est pas rien. Le premier poste de dépenses, ce n'est pas le fisc, mais bien les charges sociales. Le candidat Sarkozy avait promis de s'attaquer à ce problème. On attend encore. »
Dr CHRISTIAN LEHMANN, GENERALISTE (1): QU'IL ABDIQUE
« Nicolas Sarkozy a incarné un nouveau rôle à la télévision : celui de président de la République. Il lui aura fallu un an. On nous a dit après cette intervention télévisée que le président avait reconnu ses erreurs. C'est faux. Il a simplement reconnu des erreurs de communication. C'est peu. C'est vrai que les problèmes de santé n'ont pas été abordés. Mais c'est un sujet complexe que les journalistes “généralistes” évitent d'aborder. J'en ai eu malheureusement l'exemple avec mon combat contre les franchises médicales où le silence médiatique a été assourdissant. Il a fallu attendre longtemps avant que les médias n'en parlent. Et il ne faut espérer du président qu'il aborde, sans que l'on l'y invite, les sujets qui fâchent. Et la santé est de ceux-là. Alors même qu'il est urgent de régler bien des problèmes. Votre journal a titré la semaine dernière sur les médecins qui demandaient au président de la République qu'il les rassure. Moi, la seule décision qu'il pourrait prendre pour me rassurer, c'est qu'il abdique. Car cet homme est vraiment un problème. »
(1) Christian Lehmann publie, le 7 mai, aux Editions Ramsay, un ouvrage intitulé « Sarkoland » qui dissèque, dit l'auteur, le langage et le discours du président de la République.
Dr MARTIAL OLIVIER-KOEHRET, MG-FRANCE:
OUSONT LES REFORMES?
« Ça va toujours bien quand on annonce des réformes, ça va toujours moins bien quand il s'agit de les mettre en oeuvre.
C'est, bien évidemment, un raisonnement qui s'applique à notre secteur d'activité. Et je regrette que l'intervention télévisée du président n'ait pas permis d'aborder le problèmes qui nous intéressent, alors que les urgences sont là, que les problèmes des restructurations hospitalières, même si on ne veut pas prononcer ces mots, va se poser dans les prochaines semaines et qu'il convient dans ce cadre de préciser la place et le rôle de la médecine de premier recours. J'attendais dès lors un calendrier précis, vu l'ampleur de la tâche. Il n'a pas été annoncé. Il est pourtant urgent de se mettre au travail. »
Dr FRANÇOIS AUBART, CMH (COORDINATION MEDICALE HOSPITALIERE): TRES SEVERE
« Le président part d'un bon constat : la France est un vieux pays un peu usé, pas très productif et, partant, elle n'est pas armée en termes d'exigences mondiales. Mais il se trompe de solutions. Au cours de son intervention, il a cité beaucoup de chiffres, mais quasiment aucun ne concernait la santé. Il s'agit pourtant d'un des seuls secteurs d'activité qui produise de la croissance en France, et dans des proportions au moins cent fois supérieures au chiffre d'affaires de Bolloré ! Autre point : le président va à Neufchâteau, il y dit : «Les hôpitaux, c'est des entreprises, il leur faut un patron, et ce sera le directeur. »
Au bout de deux jours, il n'en parle plus – revanche, il n'oublie pas à la télévision de citer l'aventure somalienne des commandos de marine. Quand bien même il resterait présent sur la réforme de l'hôpital, Nicolas Sarkozy ne peut pas se cloner, la crise de l'hôpital français ne pourra pas être réglée par un président qui partirait lui-même à l'abordage de 1 000 établissements. Or on n'a pas le temps ! Il sera bientôt trop tard pour le service public, les urgences, la réanimation, la chirurgie… pour la bonne médecine hospitalière.
A la longue, cette non-politique va aboutir au fait que même le secteur privé – qui n'assurera plus que le “rentable” – ne fera plus rien : sous la pression des traders et des fonds de pension, les cliniques mettront la clef sous la porte. Mon organisation est très sévère vis-à-vis de cette prestation qui ne peut nous convenir ni dans le fond ni sur la forme. »
Dépenses de soins de ville : + 2,1 % au premier trimestre
Au premier trimestre 2008, les dépenses d'assurance-maladie dans le champ de l'ONDAM (objectif national annuel) ont progressé de 5 % en données corrigées des jours ouvrés par rapport au premier trimestre 2007, selon les dernières statistiques de la Caisse nationale d'assurance-maladie (CNAM).
Les soins de ville évoluent à + 2,1 % sur janvier-février-mars (+ 3,3 % hors produits de santé). Dans le détail, les honoraires médicaux et dentaires ont augmenté de 2,9 % sur la période (3,2 % pour les généralistes du fait de leur revalorisation tarifaire et 3,5 % pour les spécialistes), contre 3,7 % pour les dépenses d'indemnités journalières «en croissance stable», et 7 % pour les honoraires d'auxiliaires médicaux. Du fait de l'entrée en vigueur des franchises, les dépenses de médicaments ont diminué de 1,8 %. Les dépenses de transport, à + 3,3 % au cours du premier trimestre, «confirment l'inflexion de tendance entamée en 2007» selon la CNAM. Après les mesures tarifaires appliquées à la fin 2007, les dépenses de biologie sont en légère diminution sur les trois premiers mois (0,3 %), alors que le volume des actes est comparable à celui du premier trimestre 2007 (+ 2,5 %). Les versements aux hôpitaux publics sont en augmentation de 8,8 % au premier trimestre par rapport aux trois premiers mois de 2007. La CNAM relie ce taux à «la modification des modalités de versement de la T2A et à la récupération, au début de l'année 2008, des facturations des séjours de l'exercice 2007». Les versements aux cliniques privées progressent, eux, de 1,6 % sur les trois premiers mois.
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