LA SANTE EN LIBRAIRIE
B IEN solide, grâce à sa couverture épaisse, à sa reliure, à la qualité de son papier glacé ; séduisant, grâce à ses ravissantes illustrations en couleur et à sa présentation soignée ; enfin, d'usage aisé, grâce à son petit format et à un classement simple et clair, le petit livre de Loïc Girre intitulé « les Plantes et les médicaments », ne devrait pas trahir les promesses de la collection « Les Compagnons du naturaliste », à laquelle il appartient.
A feuilleter rapidement l'ouvrage, on pourrait penser qu'il s'agit de l'un de ces aimables manuels plein de simples aux noms poétiques, aux fleurs et feuillages délicats et aux vertus médicinales modestes, à l'usage de l'herboriste ou du phytothérapeute amateur. Il n'en est rien : la pervenche de Madagascar, la podophylle et l'if ont beau avoir l'air le plus anodin du monde, ils n'en fournissent pas moins aujourd'hui des médicaments d'une grande puissance aux cancérologues. De même, de nombreuses plantes au nom familier, de la réglisse à l'échinacée pourpre, du ginseng au frêne, de l'harpagophyton à la chélidoine, agissent au cur de nos cellules : certaines pourront peut-être enrichir l'arsenal anticancéreux ou antiviral, d'autres brillent surtout par leur activité anti-inflammatoire.
L'auteur nous fait entrer ensuite dans un deuxième jardin, mi-inquiétant, mi-réconfortant, dans lequel foisonnent les plantes utilisables en phytothérapie pour aider les poumons, les bronches, la respiration, mais qui abrite aussi des plantes telles que le datura ou la jusquiame noire, poisons violents autant que produits riches en alcaloïdes utilisables notamment pour traiter divers problèmes respiratoires.
Puissances et dangers
La promenade continue et, de jardin en jardin, du pavot à la digitale, de l'armoise antipaludique à la colchique, se confirment à la fois la puissance des plantes, leurs dangers, la variété de leurs pouvoirs et leur place prépondérante dans notre pharmacopée. Chemin faisant, on rencontre aussi des plantes d'action plus discrète, des plantes d'action multiple, des plantes d'action encore mal cernée, des plantes difficiles à utiliser, des plantes dont l'usage médicinal a été abandonné, des plantes aux propriétés longtemps méconnues, des plantes qui font vibrer d'espoir les chercheurs comme les cliniciens.
La foi d'un chercheur
C'est non seulement d'espoir que vibre Pierre Potier, mais de foi. Il en aura fallu beaucoup à ce chercheur en pharmacie, universitaire un peu hors normes, pour transformer, avec son équipe, l'essai américain du Taxol, extrait d'if aussi efficace contre les cancers du sein, de l'ovaire et du poumon, que difficile à obtenir. Sens pratique, chimie subtile et récupération des erreurs ont en effet permis à l'équipe de l'Institut de chimie des substances naturelles de Gif-sur-Yvette, de parvenir au Taxotère, plus facile à obtenir. Tout aussi instructive est l'aventure de la Navelbine, « premier antitumoral français », également obtenu par l'équipe de Pierre Potier.
Mais le chercheur, qui signe le livre avec un pharmacologue spécialiste de l'histoire des médicaments, ne se contente pas de raconter ses propres aventures de recherche. Sa foi s'étend en effet à tout ce « magasin du Bon Dieu » dont il a fait son titre et qui a fait plus que ses preuves thérapeutiques dès l'aube de l'humanité, et sans doute même plus tôt puisqu'il semble bien que les animaux, eux aussi, soient capables d'y puiser de quoi se soigner. Les auteurs montrent que si la chimie a transformé la recherche en thérapeutique avec la recherche des alcaloïdes, puis avec la synthèse organique, « l'aventure (des plantes-remèdes), loin d'être terminée, commence à peine ».
« L'impossible inventaire » auquel il convie son lecteur a de quoi donner le vertige, tant il reste d'herbiers à constituer, de plantes à reconnaître, de mers à explorer, de moyens de défense utilisés par des plantes ou des animaux à récupérer.
Il nous fait partager à la fois l'enthousiasme du chercheur devant tous ces trésors et ses difficultés face à la démesure du travail à effectuer. C'est qu'il faut d'abord cueillir les plantes, ensuite les étudier, ce qui pose certes des problèmes majeurs de coût et d'organisation, mais oblige aussi à des choix méthodologiques délicats : faut-il en effet opter pour la méthode « lièvre », celle de l'industriel bien souvent, qui « privilégie la collecte tous azimuts aux quatre coins du monde » en espérant qu' « un maximum d'essais sur de multiples échantillons » augmente « ses chances d'identifier rapidement une substance active » ? Pierre Potier, en chercheur pharmacologue, préfère la méthode « tortue », moins coûteuse, « sans doute lente, mais plus ciblée », qui s'appuie de préférence sur « les savoirs médicaux des peuples autochtones » et semble donner de meilleurs résultats à long terme.
On le sait, parmi les plantes recueillies, même selon la méthode tortue, « s'il existe beaucoup d'appelés, très peu sont élu(e)s comme candidats-médicaments ». Il faut la coopération de tous, chimistes, biologistes, toxicologues et médecins, souligne l'auteur, pour faire émerger de temps en temps un médicament du lacis de fausses pistes, d'oublis plus ou moins prolongés, d'échecs, d'effets secondaires incontrôlés...
« Si l'attitude pessimiste n'est pas (son) fort », la foi de Pierre Potier n'est pas aveugle. Au-delà des difficultés auxquelles se heurtent les explorateurs du magasin du Bon Dieu, deux dangers l'inquiètent particulièrement : celui de voir la recherche française se tarir, faute de volonté commune entre la recherche et l'industrie, et celui de voir détruire la biodiversité. Son livre est donc aussi un ardent plaidoyer pour l'équilibre de la recherche française et pour la protection du « magasin du Bon Dieu » dont, décidément, l'homme ne saurait se passer.
« Les Plantes et les médicaments », Loïc Girre, Delachaux et Niestlé, 253 pages, 159 F (24,24 [219])
« Le Magasin du Bon Dieu », Pierre Potier, avec François Chast, JC Lattès, 283 pages, 125 F (19,06 [219]).
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