Psychopathologie de l'enfant et de l'adolescent

Narcisse et le malaise social

Publié le 16/11/2004
Article réservé aux abonnés

DANS LE MEME contexte de carence (de soins, de relation, etc.), certains enfants vont développer une psychopathologie, d'autres non. D'où vient alors le malaise ? Selon le Pr Jeammet, le noyau dur de la psychopathologie touche de manière stable entre 10 et 15 % des adolescents. Parallèlement, on découvre de manière croissante des troubles pathogènes : « Il y a un effet de résonance entre les difficultés de l'enfant ou l'adolescent et la façon dont on va lui répondre », explique Philippe Jeammet. En clair, chez des jeunes vulnérables, le rôle de l'environnement va être déterminant.

Climat incestueux.
Certains enfants ou adolescents, par manque d'estime de soi, de sécurisation, sont « perceptivo-dépendants » vis-à-vis de leur environnement. « Cette insécurité (...) fait prendre conscience de sa dépendance », commente le Pr Jeammet. « Nous, on sait après coup que c'est en se nourrissant des autres qu'on peut aussi se passer d'eux. Mais, au moment de la dépendance, il y a une angoisse de fusion et un réflexe presque éthologique qui consiste à rendre dépendant celui dont on sait dépendre. » Le meilleur moyen de retenir l'objet du désir (le parent, par exemple) est alors le malaise, la souffrance - ce que comprend bien l'enfant qui pleure pour faire rester sa maman dans la chambre.
Les pédopsychiatres constatent une diminution des interdits concomitante avec une augmentation des exigences. « Fais ce qu'il te plaît, mais fais-le bien et fais-nous plaisir en réussissant. » Or, explique Philippe Jeammet, « on se retrouve devant ce que les sociologues appellent la tyrannie des choix ». Chacun doit choisir ses propres limites, et surtout les justifier en permanence, loin du « côté reposant des choses qu'on ne choisit pas ». Pour le Pr Jeammet, au lieu d'avoir à expliquer chacun de ses faits et gestes, l'enfant a parfois besoin de phrases du type « Tu fais ça parce que c'est comme ça ». Les rituels ( « Dis bonjour à la dame ! », etc.), par leur rôle de médiation, garantissent un espace de liberté en pensée. Or de nombreux parents, en toute bonne volonté et par crainte du conflit - et des troubles qui pourraient en résulter : l'anxiété, le suicide, l'anorexie, etc. -, sont dans l'explication permanente, sans pouvoir poser un interdit. « Il y a une sollicitation à la narcissisation de tous les problèmes », estime le pédopsychiatre, pour qui « on est dans un climat incestueux » où les rapports de désir priment sur tous les autres. Ce que le Pr Marcel Rufo résume par : « Les parents maintenant comprennent au lieu d'éduquer. »

Vers une guidance parentale.
La baisse de l'autorité des parents a été influencée de façon non négligeable par la psychanalyse et son interprétation (souvent erronée) par les médias, reconnaissent les pédopsychiatres. Pourtant, le modèle des parents, dont « on a sous-estimé le poids », est essentiel pour l'enfant, insiste le Pr Jeammet. Les parents qui veulent tout partager avec leur progéniture vont vers un « adultomorphisme » et « volent leur enfance » à leurs adolescents. Parallèlement, le pédopsychiatre constate une « dépressivité narcissique des adultes » qui n'est pas sans impact : « Pourquoi lui refuser une année sabbatique au lieu de finir sa terminale, si c'est pour être au chômage de toute façon ? », demande le spécialiste.
Il s'agit donc, selon lui, de « repenser à une guidance parentale » pour soutenir ces parents qui « ne démissionnent pas, mais n'ont plus de repères ». Philippe Jeammet préconise de « travailler avec la famille », mais aussi de revaloriser les études surveillées à l'école, les internats, les sorties avec les copains et hors de la famille, en bref... tout ce qui permet de mettre de la distance et d'éviter la proximité qui peut conduire aux troubles du comportement. Et pour ceux qui veulent en savoir plus, il conseille la relecture de Camus, en particulier « l'Etranger », parfaite problématique de l'adolescence (« avec le soleil représentant le lien brûlant à la mère ») et « le Premier Homme », où il est dit, comme pour la souffrance, que « la misère ne se choisit pas, mais elle peut se garder ».

* 4e Congrès de l'Association européenne de psychopathologie de l'enfant et de l'adolescent (Aepea), Paris.

> FLAVIE BAUDRIER

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7633