DE NOTRE ENVOYÉE SPÉCIALE
LES AVIONS continuent de charrier des touristes par centaines. Mais peu restent sur Naples même, lui préférant Salerne et le sud de la Campanie.
Dangereuse, insalubre, infréquentable : Naples traîne une image redoutable depuis cet hiver. Les caméras du monde entier ont montré des bennes à ordures en feu, des montagnes de détritus au pied des immeubles. Des riverains excédés bâtissant des barricades. L'insurrection, la guerre civile ou presque. Que Berlusconi y envoie l'armée le prouve bien.
Pourtant, Naples apparaît bien calme en ce milieu du mois de juin. Pas l'ombre d'un militaire à l'horizon, pas de senteur nauséabonde malgré les sacs-poubelle qui s'entassent, chauffés par le soleil. Rien à voir avec les scènes apocalyptiques filmées en mai : les rues ont été partiellement nettoyées pour la venue du gouvernement. La ville vit sa vie, comme à l'accoutumée. Cela fait quatorze ans que l'état d'urgence a été décrété, ce n'est pas une nouvelle crise dans la gestion des poubelles qui va perturber les Napolitains. Fatalistes comme personne. «Vous savez, le Vésuve peut tuer deux millions d'entre nous en deux heures. À quoi bon s'inquiéter», philosophe un riverain à sa terrasse de café.
Le drapeau italien flotte à toutes les fenêtres. Mais, au kiosque, l'Euro 2008 ne parvient pas à supplanter la crise des déchets, qui continue de faire les gros titres. L'avis des médecins est largement relayé. Et pour cause : il règne une sorte de psychose sur la ville. Les habitants sont persuadés que les déchets non recyclés entraînent des maladies. Persuadés aussi que leurs politiciens, au courant, se taisent.
«Mes patients ne me parlent que de ça, expose le Dr Salvatore Marotta, généraliste dans les hauteurs chic. Les gens ont peur d'avoir un cancer, ils appellent plus fréquemment pour des visites à domicile. Nous passons notre temps à les tranquilliser.» La vieille dame chez qui il se rend à présent ne déroge pas à la règle, convaincue que ses oedèmes et son eczéma trouvent leur source dans les déchets alentour. Elle soulève sa jupe et montre ses chevilles enflées d'un air entendu. «Des gens dans ma famille sont morts d'un cancer, j'ai peur d'être malade à mon tour», répète-t-elle pour la énième fois à son médecin traitant. Qui se contente de lui prendre la tension et de renouveler son ordonnance, imperturbable.
Être médecin à Naples ou à Milan, pour le Dr Marotta, cela ne fait pas de différence. «La crise des poubelles n'a rien changé, les médecins travaillent normalement. Même quand le trafic automobile a été perturbé en mars, nous n'avons annulé aucune visite à domicile.»
Des médecins pointus en médecine… de guerre.
À l'image du Dr Marotta, Ciro De Macino affiche une mine détendue. Ciro est pharmacien de l'autre côté de la baie de Naples, dans le quartier populaire de Barra. À deux pas du « Bronx », cette zone de non-droit où vit – et sévit – la Camorra. «Les clients n'ont pas de demande particulière, la situation est calme. Il y a bien eu un feu de poubelle juste en face l'an dernier, mais sans dégâts. C'est habituel.» À ceci près que le client parle dans un hygiaphone et que les médicaments sont délivrés au travers d'une vitre protectrice. Un Français, un Italien du Nord peut s'en étonner. Pas un Napolitain : la drogue fait des ravages et les braquages sont fréquents. Il y a eu vingt tués par balle en vingt ans dans la rue d'à côté. Et ce n'est qu'une goutte d'eau.
«Les médecins de Naples ont surpris tout le monde lors d'un récent colloque international car ils se sont montrés plus pointus en médecine de guerre que leurs confrères du Proche-Orient», s'amuse Pietro Nigro, attaché de presse pour une société recyclant du métal. Sa saillie fait mouche. C'est l'heure de l'apéritif et de ses incontournables antipasti, chacun y va de son anecdote. «Je suis muté à Bruxelles et soulagé de quitter Naples dans un mois, raconte Salvatore Amico-Roxas. C'est trop dangereux, des boutiques sautent à côté de chez moi.» Salvatore a beau être sicilien, la mafia napolitaine, il ne s'y fait pas. Surtout, il s'inquiète pour sa santé . «Je vis à côté d'une montagne de déchets, des masques apparaissent dans la rue, raconte ce jeune chercheur . L'autre jour, pour la première fois, j'ai eu une poussée de boutons sur la tête. Je ne mange plus de mozzarella car je ne fais pas confiance aux études de qualité. L'Europe verse des millions à la Campanie mais les évaluations ne sont pas faites correctement. Trop d'intérêts en jeu. La Campanie est la région d'Europe où on produit le plus de lait: il faut continuer à vendre.»
À qui la faute ? La mafia n'est pas seule montrée du doigt. Journaliste au journal local « Il Denaro », Ettore Mautone blâme autant les politiques, «incapables de tenir leurs promesses», que la population, «qui s'oppose à tout mais refuse de trier les déchets».
Entre deux olives vertes, Pietro Nigro lâche une sentence sans appel. «Naples est spécialiste des états d'urgence depuis cinquante ans, cela lui apporte des subventions que capte la mafia. Cela ne finira jamais.» Ses deux compatriotes partent d'un éclat de rire. Un rire jaune. Ils sont du même avis.
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