De notre correspondante
à New York
« Ces moteurs sont vraiment étonnants : minuscules mais pourtant extrêmement forts. Ils sont apparemment très complexes ; néanmoins, il semble finalement qu'ils se déplacent d'une manière très simple, compréhensible », explique au « Quotidien » le biophysicien Paul Selvin, qui a mené ces travaux à l'université d'Urbana-Champaign dans l'Illinois. « La myosine V marche comme nous marchons, mais avec une enjambée de 74 nanomètres qui est 10 millions de fois plus courte que la nôtre. »
Dans la cellule, débordante d'activité, des petits moteurs moléculaires, qui transforment l'énergie chimique en mouvement mécanique, transportent de multiples chargements. Mais comment ces moteurs moléculaires se déplacent-ils ?
Yildiz, Selvin et coll. ont élucidé cette question pour la myosine V, une protéine qui transporte ses cargaisons en se déplaçant le long des filaments d'actine à l'intérieur de la cellule.
La myosine V possède deux jambes connectées à un corps. « Ses jambes sont exceptionnellement longues, ce qui rend son pas plus grand que celui des autres transporteurs de cargaison. Il était donc plus facile de commencer par ce transporteur », explique au « Quotidien » le Pr Selvin. « Cette protéine est aussi importante car son anomalie est responsable de troubles neurologiques (dont l'épilepsie), immunologiques, et de problèmes de pigmentation cutanée. » Elle est en effet trouvée dans quasiment toutes les cellules, mais abonde particulièrement dans les neurones, ainsi que dans les cellules de la peau où elle transporte les pigments.
Deux principaux modèles de déplacement avaient été suggérés. Un modèle de « marche », où chaque pied est alternativement mis en avant de l'autre. Et un autre modèle où le même pied est toujours en avant, un peu comme fait le ver en rampant.
Une technique pour voir à 1,5 nanomètre près
Les deux modèles prédisent des écarts de pas différents. Jusqu'ici, les techniques d'imagerie n'avaient pas un pouvoir de résolution suffisamment grand pour mesurer les pas et déterminer quel est le bon modèle. Selvin et coll. ont développé une technique d'imagerie (Fluorescence Imaging with One Nanometer Accuracy, ou FIONA) qui permet de localiser une molécule fluorescente à 1,5 nanomètre près, ce qui est vingt fois supérieur aux autres techniques.
Ils ont aussi trouvé le moyen de prolonger la vie du colorant, en la faisant passer de quelques secondes à plusieurs minutes, et l'ont attaché à l'un des pieds de la myosine. Puis ils ont mis la myosine sur une lame couverte d'actine, l'autre protéine qui sert en quelque sorte d'autoroute pour le déplacement de la myosine.
« Après avoir fixé le colorant fluorescent à l'un des pieds de la myosine, nous prenons une photo avec une caméra digitale attachée au microscope, afin de voir exactement où se trouve le colorant », explique Selvin. « Puis nous donnons à la myosine un aliment, l'ATP, et elle fait un pas. Nous prenons alors une autre photo, et mesurons exactement de combien le colorant a bougé. » En observant ainsi la taille des pas, les chercheurs ont pu conclure que la myosine V se déplace en marchant.
Des centaines d'autres moteurs biomoléculaires
Ce n'est qu'un début. Il existe des centaines de types différents de moteurs biomoléculaires, intervenant dans des choses aussi diverses que la contraction musculaire (myosine II), le déplacement des chromosomes durant la division cellulaire (kinésines, dynéines), ou le rechargement des munitions dans les cellules nerveuses pour qu'elles déchargent à répétition. « Il sera intéressant de voir si tous les moteurs bougent de la même façon », déclare le Pr Selvin. Les outils sont maintenant disponibles.
« Nous étudions maintenant la kinésine, pour voir si elle bouge de la même façon », confie au « Quotidien » le Pr Selvin. « Nous étudions aussi la myosine VI, qui est un moteur très étrange car il bouge sur les filaments d'actine dans le sens opposé des autres myosines. »
Des perspectives thérapeutiques
Cette recherche fondamentale pourrait un jour avoir des retombées cliniques thérapeutiques, selon le Pr Selvin. Par exemple, les kinésines pourraient constituer des cibles thérapeutiques pour contrôler le cancer. « Si l'on peut développer un médicament qui inhibe spécifiquement les kinésines, on pourrait peut-être tuer sélectivement les cellules cancéreuses. » Pour la myosine V, en comprenant mieux comment elle fonctionne, il pourrait être plus facile de développer des médicaments qui agissent sur cette molécule, afin d'intervenir lorsqu'elle est en cause, par exemple dans les troubles neurologiques.
« Dans un avenir lointain, si nous voulions construire nos propres nanomachines, il n'y aurait pas de meilleur moyen que de l'apprendre de la nature, qui a déjà fabriqué le nec plus ultra de la machine. En effet, les moteurs de la nature font honte à tous les appareils fabriqués par l'homme, en termes de force et d'efficacité. »
« Sciencexpress.org », 5 juin 2003.
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