Decision Santé-Le Pharmacien Hôpital. Les infectiologues sont-ils réticents à prescrire des médicaments génériques ?
Nathalie Cugnardey. Les médicaments antirétroviraux reposent sur une structure chimique assez simple. Pour autant, ce sont des traitements complexes pour les patients où sont intriqués différents enjeux. L’observance revêt une importance capitale car en cas de rupture du traitement, il y a un risque de réplication virale et de mutation. Par ailleurs, la tolérance de ces médicaments exige parfois une prise en charge sur mesure. D’où, il est vrai, des réticences qui recouvrent surtout des interrogations sur le médicament générique. Lorsque les critères de bioéquivalence ainsi que le processus de fabrication, avec notamment le rappel de l’exigence de qualité et de suivi comparable à celle observée pour les princeps, sont approfondis, les infectiologues adhèrent alors aisément au concept du médicament générique. Il est logique de se poser des questions au départ. Expliquer à l’ensemble des professionnels de santé et accompagner les patients relève d’une démarche volontaire mais nécessaire.
D. S.P. H. Quelle est l’attitude des patients ?
N. C. Les personnes vivant avec le VIH sont des patients comme les autres. Porteurs d’une pathologie chronique, ils sont désormais sensibles au coût des médicaments. Les économies réalisées sur les médicaments qui ont perdu leur brevet seront réinvesties dans de nouvelles innovations au coût logiquement plus élevé. Cette idée est largement reconnue par tous les acteurs de santé, professionnels et patients.
D. S-P. H. Et avec les associations de patients ?
N. C. Les antirétroviraux sont un axe stratégique fort de développement pour Mylan qui est impliqué dans cette aire thérapeutique depuis dix ans. Mylan fabrique les principes actifs des médicaments antirétroviraux depuis 2003 pour les autres laboratoires de génériques. En 2007, Mylan a lancé la production de produits finis, de produits thermostables, ou encore à usage pédiatrique, à destination des pays en développement. Aujourd’hui, avec 43 antirétroviraux dans 120 pays, le groupe dispose là d’une véritable expertise.
Le groupe a noué de nombreux partenariats internationaux avec des organisations non gouvernementales comme la Fondation Bill & Melinda Gates par exemple. Actuellement, dans les pays en développement, 40 % des patients sont sous un traitement fabriqué par Mylan. Ce qui représente 3,5 millions de patients traités avec un produit antirétroviral Mylan. Nous avons accompagné les progrès réalisés dans la prise en charge de l’infection au VIH en Afrique et dans les autres pays en voie de développement. Grâce aux effets conjugués de la prévention et de l’amélioration de l’accès aux traitements, la mortalité recule. Dans le même temps, nous sommes aussi présents dans les pays développés comme aux États-Unis ou en Australie par exemple. Cette activité déjà ancienne du groupe dans les antirétroviraux nous confère une réelle légitimité pour commencer à développer des actions ici, en France, avec les associations de patients. Cette démarche est pour le moins originale pour un laboratoire producteur de médicaments génériques, mais elle s'inscrit dans le sillon déjà creusé depuis longtemps où il s’agit d'aller à la rencontre des patients et de les accompagner dans le processus de substitution. Elle repose sur notre expertise et se déploie en pratique grâce à la reconnaissance acquise des acteurs de terrain.
Par ailleurs, depuis le début de l’épidémie, les personnes vivant avec le VIH ont été acteurs de leur santé et sont très impliqués dans le suivi du traitement au quotidien. Et il faut le reconnaître, notre approche se révèle en proximité avec cette sensibilité particulière des patients vis-à-vis de leurs médicaments.
D. S-P. H. Observe-t-on un retard français dans la pénétration des antirétroviraux génériques ?
N. C. Clairement oui, du fait de la plus faible acceptation des médicaments génériques en général. Il y a là un vrai problème culturel. Mais il s’avère difficile de comparer avec les autres pays étrangers. En premier lieu, l’arrivée des antirétroviraux génériques est très récente en France où seuls trois médicaments génériques sont disponibles pour le traitement du VIH. Par ailleurs, dans les pays voisins, à l’exception de la Belgique, les laboratoires répondent à des appels d’offre. Dans les pays anglo-saxons, les patients acceptent mieux les médicaments génériques. En Grande-Bretagne, les premiers brevets sont tombés dans le domaine public en 2012 et les résultats y sont prometteurs. Quant aux États-Unis, le taux de substitution dépasse 90 %.
À l’hôpital, qui représente 25 % du marché des antirétroviraux, on note un véritable intérêt des professionnels, compte tenu notamment des contraintes économiques. Les établissements qui prennent en charge les patients sont en majorité publics et les procédures y relèvent de l’appel d’offre et donc de la négociation avec chaque hôpital. L’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) en a déjà lancé. En ville, le prix des médicaments qui ont perdu leur brevet est fixé par les autorités et chute de 60 % en prix fabricant hors taxes.
D. S-P. H. Quelles études doivent être menées pour accéder au marché?
N. C. Le développement d’un produit générique est extrêmement codifié par des règles édictées au niveau international. L’objectif du laboratoire est de mettre sur le marché des produits de haute qualité. Le dossier sur le versant pharmaceutique pour un princeps ou un générique doit respecter les mêmes contraintes. Nous devons toutefois démontrer la bioéquivalence du générique. Il s’agit de mesurer dans un premier temps la biodisponibilité du principe actif au sein de l’organisme, puis on compare le princeps et le générique sur leurs propriétés pharmacocinétiques. En cas de résultats similaires, l’efficacité et la sécurité d’emploi sont garanties. Si le générique ne répond pas aux normes, le dossier sera rejeté. Le bénéfice-risque ayant déjà été démontré dans le dossier d’autorisation de mise sur le marché du princeps, de nouvelles études cliniques ne sont pas demandées par les autorités. Après l’enregistrement, le recueil d’information autour de la pharmacovigilance répond à la même organisation que pour le princeps.
D. S-P. H. La réduction des prises de médicaments a constitué un net progrès pour les patients vivant avec le VIH. L’arrivée des antirétroviraux génériques ne risque-t-elle pas de ralentir ce processus ?
N. C. Sûrement pas. Les combinaisons fixes sont une réelle avancée pour l’observance, un atout pour les patients. L’objectif n’est évidemment pas de bousculer les habitudes de traitement. En ce qui nous concerne, nous n’inciterons jamais à modifier des prises en charge qui ont fait leurs preuves. Au final, cela serait contre-productif. Par contre, il faut préciser que tous les patients ne reçoivent pas d’association. Si l’ordonnance comprend par exemple de la lamivudine ou de la névirapine 200 mg, la substitution s’avère par exemple possible.
D. S-P. H. Les antirétroviraux présentent-ils des spécificités par rapport aux autres médicaments génériques ?
N. C. Ce sont en vérité des médicaments génériques comme les autres. Leur mode de production répond aux normes les plus strictes. Les patients vivant avec le VIH ne se distinguent plus des autres malades porteurs de pathologies chroniques. Sur le plan symbolique, c’est peut-être autre chose. Nous témoignons d’une vigilance particulière à propos de ces traitements.
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