IL EST plutôt rare de mettre d'accord la Mutualité française, les compagnies d'assurances et les institutions de prévoyance, autrement dit les trois grandes familles de complémentaires santé, qui assument déjà 12,7 % de la prise en charge totale des dépenses de santé et de biens médicaux et demain, sans doute, beaucoup plus. Ce consensus a pourtant été obtenu, lors d'une table ronde organisée à Paris à l'initiative de l'Agis (1), sur la délicate question des augmentations de cotisations dans les prochaines années, une tendance désormais jugée « inéluctable » par l'ensemble des intéressés.
André Renaudin, délégué général de la Ffsa (compagnies d'assurances), n'y va pas par quatre chemins. « Oui, il faut s'attendre à des hausses de tarifs, quels que soient les organismes, car il faudra bien que les équilibres techniques soient assurés. » Au nom des institutions de prévoyance, qui gèrent 45 % des cotisations de complémentaire santé en entreprise, Jean-Louis Faure (Ctip) répond également par l'affirmative mais s'en tire par une pirouette. « Il est très difficile de préciser cette prévision de hausse, mais il est certain qu'il y aura un chiffre X... ». Etienne Caniard (Mutualité française) fait le même pronostic pour des raisons structurelles. « Personne n'imagine une pause dans la croissance des dépenses de santé en général et personne n'imagine que le taux de couverture par les régimes obligatoires augmentera de façon considérable : donc, la tendance à une part plus importante de la richesse nationale consacrée à l'assurance complémentaire, bien sûr, est une tendance inéluctable ». Mais, nuance-t-il, l'ampleur des ajustements tarifaires à venir dépendra en grande partie de l'impact de la réforme de l'assurance-maladie. Bien difficile à mesurer alors que le débat parlementaire n'a même pas commencé. D'un côté, Etienne Caniard n'exclut pas un « ralentissement » du rythme d'évolution des dépenses « de un ou deux points » (par un effet de creux souvent provisoire) . De l'autre, il redoute déjà de nouveaux transferts de charges du régime obligatoire vers les complémentaires. La Cnam espère par exemple réaliser deux milliards d'économies grâce à une application beaucoup plus stricte de l'ordonnancier bizone, entraînant une limitation des soins ouvrant droit à une prise en charge intégrale pour les patients en ALD. Pour le responsable mutualiste, le nouveau partage des interventions entre le régime obligatoire et les complémentaires risque d'aboutir à un « séisme ». Même si les secousses s'étalent sur de nombreuses années.
Douste démine.
Conscient que la dérive à la hausse des cotisations, déjà perceptible, pose à nouveau la question de l'effort financier à la charge des assurés (par ailleurs mis à contribution par la hausse du forfait hospitalier et la taxe de 1 euro par acte), et donc de l'accès aux soins, le gouvernement a tenté de déminer ce terrain. Philippe Douste-Blazy propose une « discussion » transparente associant le régime obligatoire, mais aussi les professions de santé, sur les tarifs des assurances complémentaires. Il rappelle que la lutte tous azimuts contre les gaspillages, les abus et le nomadisme, avec parallèlement une gestion médicalisée du domaine de remboursement, doit justement permettre de contenir l'évolution des dépenses, ce qui profitera aussi aux complémentaires. Au secrétariat d'Etat à l'assurance-maladie, on s'efforce également de rassurer. « Il n'y a pas (dans ce plan) le moindre déremboursement. La frontière entre le régime obligatoire et le régime complémentaire sera la même après le vote de cette loi qu'avant. On nous avait dit qu'on allait voir ce qu'on allait voir. C'est faux. Aujourd'hui, on fait un système à périmètre constant. C'est un arbitrage rendu par le Premier ministre lui-même. »
Reste que l'ensemble des complémentaires jugeront la réforme sur pièces. Et ils n'ont pas pour l'instant toutes les garanties. Or, les assureurs détestent par dessus tout le manque de lisibilité.
La nouvelle gouvernance de l'assurance-maladie est un premier sujet d'inquiétude. Alors que le projet de loi évoque un dialogue et une coordination entre l'assurance-maladie obligatoire et les complémentaires, notamment en amont des discussions conventionnelles, la Mutualité française, qui aspire à cogérer le système en tant que partenaire à part entière, ne cache pas sa déception. « Le projet ne va pas assez loin en l'état, explique Etienne Caniard. Il ne s'agit pas de nier la prééminence de l'assurance obligatoire dans les négociations mais nous voulons y participer, c'est le seul moyen d'être efficace. Faute de quoi, on aura uniquement des transferts de charges et aucun effet sur les prix. » Gestion du périmètre remboursable, nouveaux parcours de soins, médicaments, honoraires médicaux, espace de liberté tarifaire... : la Mutualité veut faire entendre sa voix et ne jamais plus « subir » des accords négociés par l'assurance-maladie, payeur principal. Jean-Louis Faure (Ctip) reste pour sa part sceptique quant aux modalités de cette coopération entre assureurs complémentaires et régime de base. « Tout cela pourrait ressembler à une vaste entente au regard du droit européen et des règles de concurrence », met-il en garde. Quant aux compagnies d'assurances, leur discours conciliant, favorable au « partenariat » avec l'assurance-maladie, contraste avec leur volonté parfois affichée de gérer au premier euro des domaines complets de soins (appareillage, dentaire), les régimes obligatoires étant alors recentrés sur leur « cœur de métier » (notamment les ALD). Rien ne sera donc simple dans cette nouvelle gouvernance et pour l'instant les trois familles de la complémentaire santé, quoi qu'elles disent, s'épient mutuellement. « La complémentaire santé est un marché, avec les règles du marché, il ne faut jamais l'oublier », martèle à juste titre Jean-Louis Faure.
Cette méfiance est d'autant plus vive que la réforme ouvre des horizons encore incertains. Jusqu'où ira l'accès des complémentaires aux données de santé ? Quelles conséquences aura la nouvelle aide à la mutualisation ? Du côté des institutions de prévoyance, on redoute qu'un crédit d'impôt généralisé incite davantage de personnes à souscrire des contrats individuels au détriment des contrats collectifs.
(1)Association des journalistes de l'information sociale
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