De notre correspondante
à New York
Le CFTR (Cystic Fibrosis Transmembrane Regulator) est, on le sait, un canal chloré exprimé par une variété de cellules épithéliales, et dont les mutations sont responsables du défaut de sécrétion du chlore dans la mucoviscidose.
Bien qu'il ait été montré que le canal CFTR, dans plusieurs tissus, laisse aussi passer les bicarbonates, sa faible perméabilité pour les bicarbonates a laissé supposer que cette sécrétion n'avait pas d'importance physiologique.
Xiao Fei-wang (université chinoise de Hong Kong) et coll. ont cherché à savoir si la sécrétion des bicarbonates dans l'utérus est médiée par le CFTR.
On sait que le CFTR est exprimé dans l'utérus, les trompes et le col utérin. De plus, les sécrétions utérines sont riches en bicarbonates (taux deux fois plus élevés que dans le plasma), ce qui indique un transport actif des bicarbonates à travers l'endomètre. Le CFTR pourrait-il être à l'origine de cette sécrétion ?
On sait aussi que les bicarbonates sont importants, in vitro, pour la capacitation des spermatozoïdes. Ce processus, qui reste mal compris, intervient lorsque les spermatozoïdes résident dans les voies reproductrices féminines et confère aux spermatozoïdes la capacité de féconder l'ovule, capacité qu'ils n'ont pas au sortir des voies reproductrices mâles. Pour la capacitation in vitro, trois composants suffisent : l'ion calcium, l'ion bicarbonate et l'albumine sérique. Mais on ignore si ces composants sont importants in vivo.
Xiao Fei-wang et coll. démontrent d'abord que les cellules épithéliales de l'endomètre de souris possèdent bien un mécanisme de transport des bicarbonates médié par le CFTR.
Ils ont ensuite examiné, dans un système de coculture, l'effet de cette sécrétion des cellules endométriales sur les spermatozoïdes de souris. En culture, la présence des cellules endométriales, ou seulement des bicarbonates, augmente la mobilité des spermatozoïdes, comparé à un milieu de culture sans cellules épithéliales et sans bicarbonates. De plus, en culture, avec des cellules épithéliales traitées par un antisens CFTR (privant les cellules du CFTR), ou avec des cellules épithéliales de mucoviscidose défectueuses en sécrétion de bicarbonates, les spermatozoïdes ont une capacitation réduite et sont moins aptes à féconder les ovules.
« Ces résultats concordent avec un rôle crucial du CFTR dans le contrôle de la sécrétion utérine des bicarbonates et la capacité fécondante des spermatozoïdes », concluent les chercheurs. « Ils fournissent aussi un lien entre le CFTR défectueux et une fécondité plus faible chez les femmes atteintes de mucoviscidose », ajoutent-ils.
« Il a été montré que les femmes affectées de mucoviscidose peuvent être stériles », commente le Dr Harvey Florman (University of Massachusetts Medical School, Worcester), interrogée par « le Quotidien » sur les implications de ces travaux. « Cependant, on pensait que c'était dû à des anomalies de sécrétion d'un mucus cervical épais qui faisait obstacle aux spermatozoïdes. Ce nouveau travail suggère un autre mécanisme : les spermatozoïdes pourraient aussi ne pas devenir compétents (ou ne pas être "capacités"), même s'ils ont réussi à passer le col utérin. »
Elle souligne aussi une seconde implication clinique. « L'étude apporte une solide preuve indirecte en faveur de ce que les bicarbonates pourraient représenter un régulateur important de la capacitation des spermatozoïdes in vivo. » C'est important à savoir, ajoute-t-elle. « Des données publiées au cours des deux dernières années suggèrent que certains traitements de la stérilité comme l'ICSI (un spermatozoïde est injecté dans un ovule) pourraient peut-être se trouver à l'origine de certains problèmes de développements. Cela nous a poussé à nous demander, une nouvelle fois, comment la fécondation survient in vivo. Si nous savions cela, alors nous pourrions régler avec précision les méthodes cliniques de façon qu'elles se rapprochent le plus possible de ce qui se passe in vivo. Il est donc important d'identifier les principaux acteurs dans la capacitation des spermatozoïdes et dans la fécondation in vivo, et il semble que, dans le cas des bicarbonates, c'est chose faite. »
Les chercheurs chinois préconisent aussi d'examiner le rôle que pourrait jouer la baisse de sécrétion des bicarbonates par le CFTR dans la pathologie respiratoire et digestive de la mucoviscidose.
« Nature Cell Biology », 28 septembre 2003, DOI : 10.1038/ncb1047.
Des perspectives
« Puisque le CFTR est exprimé dans tout l'appareil reproductif féminin, notre prochain pas sera d'examiner les effets possibles du CFTR sur d'autres processus de la reproduction, comme le développement embryonnaire dans les trompes et l'ovulation dans les ovaires », confie au « Quotidien » le Pr Hsiao Chan-chan (université chinoise de Hong Kong), qui a dirigé l'étude.
« La découverte présente, souligne-t-il, pourrait permettre d'améliorer la reproduction assistée chez les femmes stériles affectées de mucoviscidose. Par exemple, la FIV pourrait être recommandée au lieu de l'insémination intra-utérine, méthode utilisée chez les patientes mucoviscidosiques, pour surmonter le problème de passage des spermatozoïdes à travers l'épais mucus cervical. »
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