QUI PEUT DIRE ce qu'est une belle mort ? On sait qu'en France 70 % des décès ont lieu à l'hôpital. Peu d'études en revanche donnent des indications quant aux conditions de ces décès. «Au cours des dernières années, une réévaluation des buts thérapeutiques et des droits du patient ont conduit à de profonds changements dans la définition de ce qui peut être appelé une bonne mort, qui maintenant implique une expérience aussi positive que possible tant pour les patients que pour leurs familles (...). En France, où la prise en charge médicale est souvent décrite comme paternaliste, des recommandations ont été développées par les sociétés savantes», indique en introduction l'étude publiée dans « Archives of Internal Medicine » (28 avril)*, par l'équipe française réunie autour du Dr Édouard Ferrand, alors à l'hôpital Henri-Mondor, à Créteil .
Cette enquête, réalisée en janvier et février 2004, est inédite et unique en France. «Nous n'avions pas de réponse à la question: “Comment meurent les malades ?” Des études anglo-saxonnes existent mais portent essentiellement sur le sentiment des familles et sont donc biaisées car trop empruntes desubjectivité, d'affectif. En menant une étude préliminaire de faisabilité à Mondor, nous nous sommes rendu compte que plus de 90% des médecins interrogés étaient incapables de décrire les conditions de décès de leurs patients», explique le médecin. Ce sont donc les infirmières, considérées comme les «garantes de ces conditions, de l'évolution des symptômes,etc.»,qui ont été invitées à répondre à des questionnaires.
Constat majeur de l'étude : seule une infirmière sur trois se déclare satisfaite des conditions de décès dans son service. Sur les 3 793 décès survenus dans les 1 000 services hospitaliers qui ont participé à l'enquête, seuls 925 personnes, soit 24,4 %, sont mortes entourées de leurs proches.
Dans tous les services.
«Quand on sait que, dans les trois quarts des cas, l'infirmière était informée le matinmême du décès que le malade allait mourir dans la journée et que, sur ces 70%, deux tiers des infirmières l'avaient même su quelques jours auparavant, cela donne un autre regard sur le fait que très peu de malades meurent entourés de proches et que très peu également n'ont pas profité d'un traitement antalgique», insiste le Dr Ferrand.
Douze pour cent des mourants sont en effet considérés comme ayant quitté la vie dans la douleur. «Moins d'un malade sur deux bénéficie d'un traitement de confortet moins de 12% des services hospitaliers disposent d'une procédure d'aide à la décision» (protocole écrit de prise en charge de fin de vie).
L'enquête a été menée dans tous les types de services, et pas seulement auprès de ceux qui sont par nature particulièrement sensibilisés aux soins en fin de vie. Ainsi, 45 % des décès ont été enregistrés dans des services médicaux, 28 % en soins intensifs, 10 % en chirurgie, autant dans des services de gériatrie, 6 % aux urgences et 1 % dans des unités de soins palliatifs.
Des résultats préliminaires avaient été rendus en 2005. Ce qui paraît tout aussi intéressant au Dr Ferrand, au vu des analyses multivariées réalisées depuis, «ce sont les critères qui déterminent l'opinion des infirmières. À savoir, d'une part, la réappropriation par la famille du décès. A mes yeux, cela renforce la position de la famille. D'autre part, l'importance accordée aux droits du malade tels qu'ils sont énoncés dans la loi de 2002». Que peut-on conclure de ces résultats ? Réponse sans détour du Dr Ferrand : «Que l'on meurt mal. La fin de vie n'est pas bien prise en charge, du moins dans les services aigus. Or c'est précisément dans ces services que le choix de soins palliatifs se détermine. Il faut que les services aigus prennent conscience plus systématiquement de la possibilité des soins palliatifs. Il faut prendre l'habitude de discuter de la qualité de la prise en charge de la fin de vie, et notamment sur la nécessaire adaptation du projet thérapeutique, ce qui passe entre autres par sa traçabilité. Plus tôt on implique les familles dans le projet thérapeutique, plus de chances on a de prendre des décisions raisonnables pour le patient, quand il est lui-même incapable de discernement. La culture n'est pas encore vraiment aux soins palliatifs. La personne de confiance, désignée dans la loi de 2002, est, au même titre que la question des dons d'organes, encore taboue dans les familles. Je crois d'ailleurs que le médecin référent peut très bien jouer ce rôle, vu qu'il est capable d'entendre les informations médicales et de les répercuter.»
L'enquête MAHO a été réalisée un an avant la loi Leonetti (sur les droits des patients en fin de vie). Une nouvelle enquête est en prévision, elle sera menée auprès des mêmes 200 établissements français. «Nous mènerons la même enquête, en ciblant sur la question de savoir pourquoi les proches sont si souvent absents et sur les types de prescription aussi. Dans ce domaine, l'évolution est permanente. Le but est de tenter d'améliorer les pratiques, pas de fustiger les services.»
* « Arch Inter Med », 2008 ; 168 (8) : 867-75.
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