Rédigé par sa famille, l'avis de décès de Mireille Jospin, mère de l'ancien Premier ministre, ne laisse aucune ambiguïté sur son choix de mourir. « Mireille Jospin-Dandieu, sage-femme, veuve de Robert Jospin, membre du comité de parrainage de l'Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), a décidé dans la sérénité de quitter la vie, à l'âge de 92 ans, le 6 décembre 2002 », est-il écrit. Rien ne permet de comprendre les raisons de son acte ni de savoir la manière dont il a été effectué.
Mireille Jospin, connue pour sa forte personnalité, était une militante. Elle n'a pas hésité, lors de la grande grève nationale des sages-femmes en mars 2001, à apporter publiquement son soutien au combat de ses consœurs qui manifestaient sous les fenêtres du gouvernement de Lionel Jospin. « La mère de Lionel Jospin, que j'adore, venait régulièrement me rappeler à l'ordre », raconte Bernard Kouchner dans son dernier livre, « Le premier qui dit la vérité... » (« le Quotidien » du 12 novembre). Aux batailles pour la dignité des femmes, la contraception et la création de « maisons de naissance », s'ajoute celle qu'elle menait pour le droit de mourir dans la dignité. « Mme Jospin a toujours dit, alors même que son fils était Premier ministre, qu'elle était favorable à notre cause, indique au « Quotidien » le Dr Jean Cohen, président de l'Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD). Il y a quelques semaines, elle m'a fait part de son désir de partir. Nous ne savons pas pourquoi ni comment elle a décidé de partir. Nous respectons son choix. »
Le dernier acte de liberté
La cause de l'ADMD, qui compte quelque 27 500 membres ( « C'est peu pour la France », estime le Dr Cohen), se décline en deux principes : d'une part, le droit de « disposer, de façon libre et réfléchie, de sa personne, de son corps, et de sa vie », et, d'autre part, celui de « choisir librement la façon de terminer sa vie, de manière à la vivre jusqu'à la fin dans les conditions les meilleures ».
Depuis 1980, et notamment par la voix d'Henri Caillavet, actuellement président d'honneur de l'association et membre du Comité consultatif national d'éthique, l'ADMD se bat contre l'acharnement thérapeutique et pour « l'aide active à mourir », une périphrase que le Dr Cohen préfère au mot « euthanasie ». « Nous voulons que la personne atteinte d'une maladie incurable puisse bénéficier d'un dernier acte de liberté, explique le Dr Cohen. Ce droit de chacun à être respecté est un principe universellement admis qui n'est que partiellement reconnu dans la loi Kouchner. C'est pourquoi nous souhaitons une loi sur l'euthanasie. »
Si les hommes politiques restent très divisés sur cette question, quel que soit leur parti, la population semble y être majoritairement favorable. Selon un sondage CSA effectué pour ADMD en juin 2002, 84 % des Français se déclarent pour la pratique de l'euthanasie.
Un sujet cher à Bernard Kouchner, ancien ministre délégué à la Santé sous Jospin, qui estime avoir manqué de temps pour débattre, « pour éviter un affrontement entre les partisans des soins palliatifs dont je suis et ceux de l'euthanasie au nombre desquels je me compte dans des circonstances précises et rares ». On trouve toutefois, dans la loi sur les droits des malades, encore appelée loi Kouchner, le droit au refus de l'acharnement thérapeutique pour le patient comme pour le médecin, le droit au consentement à tout traitement et le droit à la mort digne.
Des moyens pour les soins palliatifs
Pour le Dr Jean-Michel Lassaunière, responsable du centre de soins palliatifs de l'Hôtel-Dieu, une loi sur l'euthanasie en France n'est qu'une question de temps. « Lorsque l'on fait une loi sur le traitement de la douleur et les soins palliatifs, on s'expose à une loi sur l'euthanasie, estime-t-il. Mais il ne faut pas comparer les soins palliatifs, démarche de soins élaborée par une équipe médicale, à l'euthanasie, qui est un acte ponctuel. » Plutôt qu'une loi sur l'euthanasie, le Dr Lassaunière défend le développement des structures de soins palliatifs, dont certaines, faute de personnel infirmier notamment, ne peuvent fonctionner. « Nous devons entreprendre un audit, propose-t-il. L'évaluation régulière de cette prise en charge est nécessaire. Quelle seraient les conséquences perverses d'une loi sur l'euthanasie prise dans un contexte de médecine en crise ? Les patients atteints d'un cancer en phase finale se donneront-ils le droit de vivre? » s'interroge-t-il.
Avec l'actuel ministre de la Santé, la loi sur l'euthanasie semble remise à demain. Selon lui, cette pratique « est une mauvaise réponse à trois questions de fond : la douleur, la solitude et l'abandon », a-t-il dit dans une émission télévisée, « 100 minutes pour convaincre » (« le Quotidien » du 25 octobre) ». La bonne réponse, il l'a définie par la prise en charge de la douleur, l'accompagnement des mourants et les soins palliatifs.
« Nous ne sommes pas du tout contre les soins palliatifs, se défend le président de l'ADMD. Au contraire, nous trouvons que cette prise en charge, insuffisamment développée, est remarquable. Il ne faut pas cependant que les soins palliatifs empêchent quiconque de prendre la décision ultime. » La Société de réanimation de langue française a récemment pris une position officielle (« le Quotidien » du 10 juin) qui concilie soin et dignité. Les membres de cette société savante considèrent ainsi que les limitations et les arrêts de thérapeutiques actives en réanimation adulte sont « un choix de stratégie qui ne s'apparente pas à l'euthanasie mais est une alternative à l'acharnement thérapeutique ».
Après les Pays-Bas, la Belgique a partiellement légalisé l'euthanasie, en septembre dernier. En France, le débat devrait être ravivé avec l'ouverture du procès de l'ancienne infirmière Christine Malèvre, laquelle comparaîtra au début de l'année prochaine devant la cour d'assises des Yvelines pour l'assassinat de sept de ses patients.
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