Chronique électorale
La classe politique est incorrigible. Au moment où l'histoire de France bascule, elle continue de faire de la politique.
A droite, le différent entre le RPR d'une part, la partie de l'UDF favorable à François Bayrou et Démocratie libérale d'autre part, éclate avant même le second tour, donc avant les législatives. La priorité pour tous les démocrates n'est-elle pas de battre Jean-Marie Le Pen ? Faut-il donner encore le spectacle de dissensions internes avant d'avoir éloigné le danger ?
Pas d'équivoque chez Chirac
A gauche, Christiane Taubira juge utile de dire que la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) a sa place au sein de la gauche plurielle, qu'elle ne trouve sans doute pas assez discordante et sans se souvenir, apparemment, qu'Olivier Besancenot, comme elle, a fait tout ce qu'il fallait pour que Lionel Jospin soit battu et y est parvenu. Henri Emmanuelli s'en prend à la démagogie de Jacques Chirac et exige de lui qu'il « se montre à la hauteur ».
On se permettra de suggérer à M. Emmanuelli, dont le parti, le PS, a clairement perdu l'élection présidentielle, que, si M. Chirac n'est pas un saint, il a su réagir à la situation créée par la percée du Front national par une attitude tranchée et sans équivoque. Le chef de l'Etat a rejeté sans la moindre réserve la perspective d'une présence du Front dans les instances parlementaires ou gouvernementales. Que par ailleurs, il cultive son électorat, quoi de plus naturel ? Ce qui est sûr, c'est que tant qu'il y aura des gens pour bouder Chirac avant le second tour de la présidentielle, ils ne feront que donner des arguments à tous ceux qui seraient tentés de voter Le Pen.
Crève-cur ?
Or quel est l'enjeu ? Les Français ne risquent pas d'élire Le Pen président. Ce qui va compter énormément, en revanche, c'est le pourcentage de voix que le chef du Front va recueillir : s'il obtient un taux nettement plus élevé qu'au premier tour, il aura légitimé son programme. S'il reste cantonné à ses 17 %, il sera de nouveau marginalisé.
Alors, de quoi parle-t-on ? Qu'est-ce que c'est que ces débats compliqués sur les arrière-pensées de Chirac, accusé de vouloir profiter de la situation pour créer un grand parti de la droite ? Qu'est ce qui empêche M. Bayrou, M Madelin, M. Emmanuelli, M. Besancenot, Mme Taubira de voter d'abord contre Le Pen, puis de reprendre leurs billes ? Comment se fait-il que beaucoup de socialistes demandent à Lionel Jospin de leur dire comment ils doivent voter, parce que ça leur fait mal de voter Chirac et qu'ils ont besoin d'une bénédiction, comme s'ils n'avaient pas une conscience personnelle ?
C'est un crève-cur pour Eric Halphen, le juge qui poursuivait M. Chirac et a rejoint le camp de Chevènement, de faire réélire le président ; c'est un crève-cur pour Arnaud Montebourg, député socialiste qui fait métier d'avoir la peau du président, de voter Chirac. Mais ont-ils le choix ? Sommes-nous intéressés par leurs états d'âme ? Pour beaucoup d'électeurs, le problème semble contenu dans le dépôt d'un bulletin de vote au nom de M. Chirac. Mais ce bulletin ne les liera pas au chef de l'Etat, il permettra seulement de faire battre Jean-Marie Le Pen. Ou bien on est démocrate et on vote Chirac, ou bien on ne l'est pas. Et si M. Jospin avait été en tête, mais suivi par M. Le Pen, la droite aurait dû voter Jospin.
Contrairement à ce qu'ont écrit de nombreux journaux étrangers, ce n'est pas au premier tour que la France s'est couverte de honte. Ce sera au second tour si une large fraction de l'électorat vote pour M. Le Pen. Cela signifierait en effet que des électeurs différents de ceux qui se sont prononcés pour le Front national au premier tour considèrent que M. Le Pen est, par rapport à M. Chirac, un moindre mal. Et tous ceux qui, dans tel ou tel syndicat, dans telle ou telle association, hésitent à se prononcer publiquement, encouragent une partie hésitante ou ignorante de l'électorat à voter pour M. Le Pen ou tout au moins à penser qu'il existe un choix. Toutes ces attitudes, ces commentaires, ces hésitations, ces oui, mais..., toutes les considérations sur les législatives à venir, tous les calculs sur le rapport de forces dans les circonscriptions, toutes ces projections au delà du second tour semblent ignorer le danger immédiat, le désastre que serait un taux supérieur à 20 %.
Il ne s'agit plus du choix d'un président, mais d'un référendum pour ou contre l'extrême droite, d'un plébiscite non pour un homme mais pour la démocratie : il ne s'agit plus du second tour, mais de la crédibilité qu'aura ou non, après le second tour, le chef d'un parti néofasciste français. A quoi bon se laisser distraire par des préoccupations mineures quand une catastrophe risque de modifier de fond en comble le rapport de forces politique en France ?
L'exemple des lycéens
A la classe politique, décidément politicienne, répond le cri de la rue : nous nous sommes élevés contre les électeurs qui, après s'être abstenus, ou émis le fameux vote de protestation, dont allés manifester dans la rue. Les lycéens, dont le plus grand nombre n'ont pas l'âge de voter, mais sont de futurs électeurs, ont exprimé à juste titre leur aversion pour le néofascisme en manifestant massivement nous semblent beaucoup plus estimables. Ce sont eux qui ont donné à la France la leçon de civisme dont elle a furieusement besoin. Ceux qui, à l'étranger, nous ont ridiculisés, auraient pu aussi, s'ils avaient un jugement équilibré, féliciter la jeunesse française pour avoir dit haut et fort comment elle voit l'avenir du pays. Elle le voit sans Le Pen. N'ajoutons pas aux querelles qui nous divisent un conflit de générations ; n'attendons pas, pour évincer Le Pen, qu'il transforme la France en marché fermé et en un pays amputé de ses diversités ethniques et culturelles ; ne donnons pas aux jeunes d'aujourd'hui la tâche d'en finir avec une idéologie qui corrompt profondément tout ce qu'elle touche.
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