La mort subite du nourrisson, on le sait, est multifactorielle. Parmi les facteurs de risque suspectés figure le syndrome de QT long, sur lequel travaille l'équipe du Pr Peter Schwartz (université de Pavie, Italie).
Dans le « Lancet » du 20 octobre 2001, l'équipe de Schwartz rapportait le cas d'un bébé mort subitement, dont ni l'âge au moment du décès ni les circonstances ne sont précisés. L'étude de l'ADN prélevé lors de l'autopsie a mis en évidence une mutation de novo dans le gène KCNQ1 (C pour T en position 350) conduisant à une substitution d'une proline par une leucine en position 117 dans la protéine. Ni les parents ni la sœur de cet enfant n'avaient la mutation. Cette mutation P117 L avait également été décrite dans une famille italienne dont certains membres avaient un allongement important de l'espace QT (QTc : 500 ms) et avaient fait des syncopes.
A propos de cette observation, les auteurs rappellent les résultats d'une étude qu'ils avaient publiée le 11 juin 1998 dans le « New England Journal of Medecine ». Il s'agissait d'une étude prospective concernant 33 034 nouveau-nés ayant eu un ECG systématique au troisième ou au quatrième jour de vie, et suivis pendant un an. Sur 24 enfants décédés ultérieurement de mort subite inexpliquée (MSI) du nourrisson avant 1 an, douze avaient un espace QTc > 440 ms (au-dessus du percentile 97,5). Schwartz estimait déjà à l'époque que la constatation d'un allongement de QT constituait un facteur de risque important de la MSI du nourrisson, plus important encore que le couchage sur le ventre ou le tabagisme maternel.
Une controverse dans les milieux pédiatriques
L'article et les propositions du Pr Schwartz quant au dépistage systématique néonatal du syndrome de QT long avaient déjà été l'objet d'une controverse dans les milieux pédiatriques et appellent plusieurs commentaires.
- L'article de 1998 ne fournit aucun renseignement sur les circonstances de la mort de ces enfants (heure, tabagisme maternel, couchage de l'enfant, mode de vie...).
- Aucune anomalie de la repolarisation n'a jamais été retrouvée par les auteurs ayant contrôlé systématiquement cette mesure chez des enfants décédés ultérieurement de mort subite ou bien rescapés de mort subite.
- Surtout, l'étude de la courbe représentant l'espace QT en fonction de l'espace RR montre que 22/24 enfants décédés de mort subite avaient un espace QT (non corrigé) entre 240 et 320 ms. La différence de 80 ms correspond, sur un ECG enregistré à 25 mm/s et mesuré manuellement, à un intervalle de 2 mm ! Il est difficile d'imaginer faire du dépistage systématique en se reposant sur de telles mesures, surtout quand on connaît les difficultés de mesure d'un espace QT (onde U, variations selon les dérivations). En fait, seulement deux nouveau-nés avaient des espaces QT franchement allongés, respectivement à 370 et 440 ms (QTc > 500 ms) qui aurait fait prospectivement discuter le diagnostic de syndrome de QT long. Au final, cela ne représente donc plus que deux enfants sur 34 442 sur une période de dix-huit ans. Il ne faut pas non plus oublier que certains individus génétiquement atteints ont un espace QT normal et ne pourraient donc pas être identifiés par ce type de screening systématique.
Des données épidémiologiques divergentes, voire contradictoires
Par ailleurs, les données épidémiologiques dont nous disposons sur les circonstances de décès en cas de MSI et de syndrome du QT long sont divergentes, voire contradictoires. Le décès survient pendant le sommeil pour la MSI alors qu'il survient dans un contexte de stimulation adrénergique dans les formes de QT long dues à des mutations dans le gène KCNQ1.
En conclusion, s'il est vrai que l'étude de l'ADN d'un nourrisson décédé de mort subite a pu permettre d'identifier une mutation responsable d'un syndrome de QT long, il parait illusoire de vouloir faire du syndrome du QT long la principale cause de MSI. Un dépistage systématique n'aurait à notre avis qu'un intérêt restreint. Certes, le traitement bêtabloquant réduit considérablement l'incidence des troubles du rythme et des morts subites dans le syndrome du QT long, mais l'innocuité d'un tel traitement reste à prouver dans le cas de nourrissons n'ayant qu'un allongement très modeste de l'espace QT et donc un diagnostic très douteux. D'autant que l'identification d'une mutation, seul critère formel du diagnostic, est loin d'être constante en 2001, même chez les enfants symptomatiques ayant un allongement important de l'espace QT, et qu'il s'agit de mutations « privées », c'est-à-dire quasi spécifiques pour chaque famille.
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