Les opiacés, les plus puissants des antalgiques, constituent dans certaines indications - comme la douleur d'origine cancéreuse - la seule option pour obtenir un soulagement adéquat.
Leur usage chronique pose toutefois le problème du développement d'une accoutumance, avec baisse progressive de l'effet analgésique, et d'une dépendance physique avec état de manque, phénomènes qui conduisent à l'escalade des doses.
La morphine et les autres opiacés agissent en se fixant sur le récepteur opioïde mu (μ) à la surface des cellules neuronales. Ce récepteur opioïde mu appartient à la grande famille des récepteurs couplés à la protéine G, lesquels médient l'action de la plupart des neurotransmetteurs et des hormones.
L'endocytose des récepteurs mu
Ces récepteurs, après avoir été activés par leur ligand, sont désensibilisés par découplage avec la protéine G, puis captés à l'intérieur de la cellule par endocytose, où ils sont ensuite dégradés ou recyclés de nouveau vers la surface cellulaire. Cette désensibilisation et cette endocytose des récepteurs opioïdes, selon l'hypothèse qui prévaut depuis une dizaine d'années, contribueraient directement à l'accoutumance aux opiacés en réduisant le nombre de récepteurs fonctionnels à la surface.
Toutefois, un fait récent ne cadre pas avec cette hypothèse : c'est la découverte que la morphine n'induit ni la désensibilisation, ni l'endocytose du récepteur opioïde mu (à la différence des endorphines et de plusieurs autres opiacés comme la méthadone).
Une équipe, dirigée par le Dr Whistler (université de San Francisco), remet en question cette hypothèse et suggère une approche pharmacologique pour remédier à l'accoutumance.
Dans une précédente étude in vitro, l'équipe avait montré qu'une mutation du récepteur mu entraînant l'augmentation de l'endocytose induite par la morphine, atténue le développement de l'accoutumance et du sevrage dans un modèle de culture cellulaire.
Une petite dose de l'enképhaline DAMGO
He, Whistler et coll. montrent maintenant qu'une enképhaline, la DAMGO (D-Ala-MePhe-Gly-o), peut aider la morphine à stimuler l'endocytose du récepteur mu. Lorsque des rats sont traités de façon chronique par la morphine, l'administration concomitante d'une petite dose infra-analgésique de DAMGO empêche le développement de l'accoutumance à la morphine. En effet, dans un test de sensibilité à la chaleur, l'effet analgésique de la morphine s'atténue dès le 4e jour si les rats sont traités par morphine seule, mais l'analgésie persiste encore au 7e jour si les rats reçoivent aussi la petite dose de DAMGO. L'histologie de la moelle épinière confirme que chez les rats traités par morphine seule, les récepteurs mu restent principalement à la surface cellulaire, tandis que chez les rats traités par morphine et DAMGO, les récepteurs sont retrouvés dans toute la cellule.
Les chercheurs pensent que, grâce à la formation d'oligomères entre les récepteurs opioïdes à la surface des cellules, les récepteurs liés à DAMGO pourraient entraîner à l'intérieur de la cellule des récepteurs liés à la morphine.
Régulation rapide et réversible
Ainsi, même s'il est probable que plusieurs mécanismes complexes interviennent dans le développement de l'accoutumance, remarquent les chercheurs, « nous avons démontré que l'endocytose accrue du récepteur mu en réponse à la morphine peut réduire le développement de l'accoutumance à la morphine dans un modèle animal », notent-ils.
Ils proposent que « la régulation des récepteurs opioïdes par endocytose joue un rôle protecteur en réduisant le développement de l'accoutumance aux opiacés, précisément parce que ce mécanisme régule le signal d'une manière rapide et réversible ».
Ces résultats ont une importance pour le traitement de la douleur chronique. Des agonistes qui favorisent l'endocytose du récepteur mu pourraient fournir des analgésiques opiacés à l'efficacité durable.
Mais, selon une remarque du Dr Whistler dans un communiqué, il pourrait y avoir déjà d'autres opiacés qui, administrés de façon concomitante à très faibles doses inoffensives, pourraient réduire l'effet d'accoutumance à la morphine.
« Cell » du 25 janvier 2002, p. 271.
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