Par le Pr JACQUES TOSTAIN*
LE DIAGNOSTIC de syndrome de déficit en testostérone (SDT) n'est possible que lorsque sont associés une symptomatologie évocatrice et un déficit biochimique (1, 2). Les signes ou symptômes, ni spécifiques ni obligatoirement tous présents simultanément et avec la même intensité, ont été listés par l'Endocrine Society (1).
Dans l'European Male Ageing Study (EMAS), les symptômes/ signes sexuels et physiques sont plus discriminants que les symptômes psychologiques, avec un « modèle » particulièrement évocateur associant des symptômes sexuels et une faible activité physique (3).
Les différents questionnaires (ADAM, AMS, MMAS) sont sensibles mais peu spécifiques, donc sans utilité en dépistage quotidien. Face à une symptomatologie évocatrice, il faut d'abord éliminer une étiologie possible : dépression, hypothyroïdie, alcoolisme, iatrogénie médicamenteuse (corticoïdes, cimétidine, spironolactone, digoxine, opiacés, antidépresseurs, antifongiques, ALHRH). Le diagnostic ne doit jamais être fait durant une affection aiguë.
Le diagnostic biochimique fait encore l'objet de débats. La T totale représente la somme des différentes fractions circulantes, mais seule la fraction libre (2 %) est responsable de l'activité biologique (figure1). Environ 40 % de la T est liée de façon étroite à la SHBG(Sex Hormone Binding Globulin). Le reste, lié de façon plus lâche à l'albumine, est mobilisable en fonction des besoins. L'ensemble T libre et liée à l'albumine représente la T biodisponible. En première intention, le dosage matinal de T totale permet de classer correctement un peu plus d'un patient sur deux et d'éviter le recours aux dosages de T biodisponible ou libre dont les résultats, en dehors des laboratoires de recherche, sont critiquables. Si ce premier résultat évoque un déficit, il doit obligatoirement être complété par un second dosage une ou deux semaines plus tard. L'algorithme du bilan est résumé par la figure2. En cas de doute persistant, l'utilisation des valeurs calculées de T biodisponible ou libre est utile (http://www.issam.ch/freetesto.htm). Le dosage des gonadotrophines permettra de différencier le déficit primaire (testiculaire) du déficit secondaire (hypothalamo-hypophysaire), souvent mixte chez le sujet âgé. Le dosage de prolactine élimine un adénome hypophysaire.
La prévalence globale du SDT varie de 6 à 9,5 % entre 40 et 70 ans, mais atteint 15-30 % chez les hommes diabétiques et/ou obèses présentant ou non un syndrome métabolique. En s'appuyant sur la définition opérationnelle de l'EMAS (symptômes/signes + T totale < 2,3 ng/ml ou 8 nmol/l), la prévalence en 2000 dans la Communauté européenne (27 pays) s'établissait à 2 800 000 hommes de 40 à 79 ans avec une projection à 3 200 000 pour les années 2025. Moins de 10 % des hommes atteints reçoivent un traitement aux Etats-Unis et probablement moins de 5 % en Europe.
Augmentation du risque de syndrome métabolique.
Le patient voit ainsi s'altérer sa qualité de vie, avec souvent au premier rang les troubles sexuels. Ce préjudice « d'agrément », certes à prendre en compte, est toutefois relégué au second rang des préoccupations médicales par les données récentes sur la morbidité et la mortalité. Le SDT augmente la tendance à l'obésité (4), la résistance à l'insuline et la tendance au diabète de type 2 (5) et, donc le risque de syndrome métabolique, facteur de risque cardio-vasculaire majeur (6). Même en éliminant ces facteurs de risque et la mortalité liée aux cancers, la mortalité des sujets avec T abaissée apparaît supérieure à celle des autres hommes (7, 8). Le SDT se dévoile donc comme un véritable problème de santé publique dont la communauté médicale tarde à s'emparer.
Les indications de traitement sont résumées par la figure 3. Une recommandation suggère une limite inférieure de T totale de 3 ng/ml (1). Pour une autre, le traitement est habituellement nécessaire au-dessous de 2,3 ng/ml, mais est envisageable entre 2,3 et 3,4 ng/ml (2). Les contre-indications formelles au traitement sont les cancers de la prostate et du sein, les contre-indications relatives l'hypertrophie bénigne de la prostate très symptomatique, la polyglobulie, les apnées du sommeil et l'adénome hypophysaire à prolactine. Le toucher rectal et le PSA doivent être normaux pour débuter le traitement. Par contre, aucune donnée épidémiologique (9) ou clinique (10) ne suggère une augmentation du risque de cancer de la prostate avec la normalisation du taux de T.
Les préparations utilisent la T naturelle. L'énanthate IM toutes les deux semaines expose à un risque de polyglobulie, de gynécomastie ou de fluctuation de l'humeur. L'undécanoate per os est probablement la moins efficace. Parmi les préparations « modernes », le gel de T, puis l'undécanoate IM trimestriel, enfin le patch corporel ne sont pas remboursés, ce qui ne mobilise guère la communauté médicale. Et, pourtant, qui accepterait qu'un membre de sa famille atteint d'une pathologie véritable ne puisse se traiter qu'avec des produits anciens présentant des inconvénients majeurs malgré l'existence d'alternatives plus efficaces et/ou mieux tolérées ?
La surveillance du traitement s'effectue au troisième mois, puis tous les 6 à 12 mois. L'efficacité est jugée plus sur l'évolution clinique (sensation de bien-être, dynamisme et forme physique) que sur les dosages car, pour un même patient, les symptômes réapparaissent au-dessous d'un taux sérique assez fixe.
L'effet sera d'autant plus marqué que le déficit était profond. La surveillance porte également sur les effets secondaires potentiels : examen des seins et de la prostate, TA, dosage du PSA (rejoint les taux normaux, puis se stabilise) et de l'hématocrite (doit rester < 52 %).
Il faut savoir évoquer plus fréquemment le SDT, pathologie sérieuse et fréquente de l'homme mûr ou âgé qui augmente de façon significative le risque de comorbidité ou de mortalité prématurée.
* Service d'urologie-andrologie, CHU de Saint-Etienne.
(1) Bhasin S. « J Clin Endocrinol Metab », 2006, 91:1995-2010.
(2) Nieschlag E. « Eur Urol », 2005, 48:1-4.
(3) Arnott J. 88th Annual Meeting of the Endocrine Society. Boston, MA, 2006.
(4) Mulligan T. Study. « Int J Clin Pract », 2006, 60: 762-769.
(5) Stellato RK. « Diabetes Care », 2000, 23:490-494.
(6) Laaksonen DE. « Diabetes Care », 2004, 27:1036-1041.
(7) Khaw KT. « Circulation », 2007, 116: 2694-2701.
(8) Laughlin GA. « J Clin Endocrinol Metab », 2007.
(9) Roddam AW. « J Natl Cancer Inst », 2008, 100:170-183.
(10) Rhoden EL. « N Engl J Med », 2004, 350:482-492.
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