Cédant à la pression des milieux d'affaires européens, ou réellement convaincue que l'inflation est jugulée, la Banque centrale européenne (BCE) a décidé d'abaisser d'un demi-point, à 2 %, son taux d'intérêt de base.
Cette mesure est parfaitement justifiée par la nécessité de relancer dans la mesure du possible des économies européennes qui stagnent. Mais, en réalité, on en fait la solution de tous les problèmes. Ce que veulent les entreprises de l'UE, c'est que l'euro baisse pour soutenir leurs exportations. La hausse de l'euro, c'est le Mur des lamentations ; et beaucoup de bilans sont présentés comme victimes d'une monnaie unique qui serait trop forte. Mais, comme le souligne fort bien Lionel Stoleru dans « le Monde », la BCE n'a jamais eu pour rôle de peser sur les taux de change. Et c'est tellement vrai que le jour même de la baisse des taux, jeudi dernier, l'euro a augmenté par rapport au dollar.
Il n'y a pas d'analyste financier sérieux qui croie à une hausse du dollar dans les mois qui viennent. Beaucoup pensent que, en dépit des déclarations officielles, les Etats-Unis jouent la faiblesse du dollar à moyen terme pour réduire leur déficit commercial (en diminuant leurs importations). Même si ce n'est pas vrai, il existe une part d'impondérable dans le comportement des marchés financiers : l'économie américaine donne plus de signes de vigueur que l'économie européenne et, logiquement, les hommes d'affaires devraient acheter du dollar (ce qui le ferait remonter). Tel n'est pas le cas.
De toute façon, même après avoir atteint un niveau qui, historiquement, est le plus bas, les taux d'intérêt européens restent supérieurs d'un demi-point aux taux américains. En outre, la baisse des taux n'est pas la panacée : au Japon, où le taux d'intérêt est égal à zéro (quand l'argent ne rapporte plus rien, les gens devraient le dépenser), la stagnation économique et surtout la déflation sont devenues alarmantes. Ce qui veut dire que les épargnants-consommateurs n'obéissent pas forcément aux règles qu'on attribue à l'économie : les Japonais sont tellement effrayés par l'avenir qu'ils préfèrent garder leurs économies, même si elles ne leur rapportent rien. L'Europe, et particulièrement la France, sont déjà menacées par une évolution de ce genre : l'épargne rapporte si peu que les épargnants ne placent pas leur argent, donc investissent moins.
Le problème devient sérieux dans le cas de l'assurance vie, placement le plus populaire, dont le rendement baisse depuis plusieurs années. Ce rendement se situe aujourd'hui autour de 4,5 %, il tombera sans doute à 4 % l'an prochain (rappelons que c'est un placement d'au moins huit ans), de sorte que la baisse des taux réduit la collecte de l'épargne par les assureurs. Or la collecte la plus fraîche sert en partie à financer les intérêts versés aux retraités ou à tous ceux qui, disposant d'un capital dont ils ont évalué le montant, veulent bénéficier de l'usufruit.
Il est sérieux aussi pour l'Etat français, grand emprunteur devant l'éternel, qui ne peut financer ses déficits publics qu'en empruntant auprès de la collectivité nationale mais qui, s'il propose une obligation à dix ans avec un taux d'intérêt de 4 ou même 3,5 % (moins 25 % de prélèvement libératoire) n'intéresse plus grand monde. Aux Etats-Unis, la Banque fédérale des réserves baisse les taux - quand elle le peut - pour inciter le public à abandonner le marché obligataire et revenir dans le marché des actions ; mais les Français, échaudés par la chute boursière des trois années écoulées et par ailleurs peu enclins au risque, ne seront pas tentés par les actions tant que l'économie ne progressera pas de façon sensible.
C'est dire que l'influence des autorités financières et monétaires sur les comportements individuels est à peu près nulle. La remontée de l'euro après la baisse des taux d'intérêt est l'événement le plus spectaculaire et le plus mystérieux qu'on ait observé dans ce domaine ; en tout cas, il confirme la notion qu'il existe des paramètres invisibles dans la gestion des économies.
Ces paramètres relèvent de la psychologie des masses : le taux de chômage est élevé, 2003 n'est pas une année brillante, beaucoup d'épargnants ont perdu de l'argent à la Bourse et le résultat est que les gens préfèrent avoir un peu d'argent de côté pour d'éventuels mauvais jours, même si leur cagnotte ne grossit pas.
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