Par le Dr BRUNO FAYET*
LE LARMOIEMENT chronique est une accumulation anormale des larmes dans la fente palpébrale donnant un regard brillant. Au maximum, ces larmes s'écoulent spontanément sur la joue (épiphora), en dehors du pleurer de relation qui est physiologique.
Le larmoiement est un symptôme, qui n'est en rien spécifique ni d'une cause ni d'un obstacle anatomique.
Le plus souvent isolé et bénin, il est très rarement associé à une photophobie ou à une rougeur périkératique. Ces signes de gravité (et non le larmoiement en soi) imposent une consultation ophtalmologique en urgence.
Une anomalie anatomique.
Dans la majorité des cas, il est lié à une anomalie anatomique de l'abouchement des voies lacrymales d'excrétion dans la fosse nasale.
L'expérience démontre que, chez le nourrisson et le petit enfant, le larmoiement disparaît spontanément dans bon nombre de cas, pour peu que l'on patiente quelques mois... Fort de ces constatations, « les attentistes » peuvent légitimement avancer primum non nocere et ne pas recourir à l'exploration instrumentale (EI) précoce.
L'exploration instrumentale présente un double intérêt. Le cathétérisme des voies lacrymales d'excrétion (VLE) à l'aide d'une sonde lacrymale permet de localiser des obstacles, donc d'établir un diagnostic. Il possède également des vertus thérapeutiques puisqu'il n'est pas rare qu'après ce sondage le larmoiement disparaisse définitivement.
Les « activistes » fondent leur attitude sur deux points : réalisée tôt, l'EI peut s'effectuer dans la plupart des cas sans anesthésie d'inhalation, d'une part, et il est démontré, d'autre part, que plus l'on sonde précocement et moins l'on opère par la suite !
Les corrélations anatomocliniques permettraient probablement de trancher dans ce débat. Mais, malheureusement, l'endoscopie intralacrymale n'est pas assez performante pour observer in situ les lésions lacrymo-nasales. Examiner endoscopiquement le méat moyen de la fosse nasale (là où s'abouche le canal lacrymo-nasal) impose de recourir à une anesthésie, à luxer le cornet inférieur. Intendance bien excessive pour une pathologie bénigne, dont l'évolution spontanée est favorable dans bon nombre de cas.
L'expérience donnant souvent raison aux deux parties, on comprend à quel point chacun peut légitimement camper sur sa position en toute bonne foi. Comment faire pour ne pas sonder par excès, mais sans devoir opérer les cas qui n'ont pas été sondés suffisamment tôt ?
Mais parl- t-on bien de la même chose ? Le larmoiement de l'enfant est-il univoque ?
Une analyse sémiologique simple mais rigoureuse va solutionner l'essentiel du problème.
Cette analyse n'est possible qu'avec la connaissance de deux points. L'un est anatomique : le circuit lacrymal, qui est le chemin qu'empruntent les larmes de leur genèse à leur disparition. L'autre, physiologique, est la balance lacrymale. Elle établit les rapports entre production de larmes et évacuation.
En cas de larmoiement par hypersécrétion, l'hyperproduction des larmes est réflexe le plus souvent à une stimulation trigéminale. Cette hyperproduction sature les capacités de résorption des larmes, dont le trop-plein déborde sur la joue.
Cet épiphora, volontiers bilatéral, est contingent et ne disparaîtra qu'avec la disparition de la cause. L'exploration instrumentale des voies lacrymale, inutile, serait normale.
L'inspection précisera le diamètre cornéen, l'implantation des cils et l'absence d'entropion.
Hypersécrétion ou hypoexcrétion.
Les larmoiements par hypoexcrétion sont liés à une anomalie anatomique du circuit lacrymal qu'il faut localiser : secteur palpébral, lacrymal ou nasal.
Les anomalies du secteur palpébral, comme les ectropions congénitaux, sont dépistées par l'inspection. Sauf cas particulier, l'EI ne s'impose pas.
Anomalies du secteur lacrymal, les imperméabilités lacrymo-nasales sont les plus fréquentes des anomalies chez l'enfant. Elles sont dominées par, mais non résumées à l'imperforation lacrymo-nasale.Cette variété d'obstacles est une sorte d'immaturité de la partie inférieure des VLE, et doit être distinguée des malformations.
Cliniquement, le larmoiement s'accompagne de sécrétions quasi permanentes. Elles sont présentes indépendamment de toute surinfection rhinopharyngée. Dans les formes mineures, elles sont limitées à des sécrétions anormalement abondantes le matin au réveil. Elles récidivent dès l'arrêt des collyres antiseptiques. Elles sont souvent décrites par le terme de « conjonctivite lacrymale » ou de pseudo-conjonctivite. Ces désignations sont source de confusion. Il ne s'agit pas de conjonctivite à proprement parler car l'œil est « blanc ». Ces sécrétions ne sont pas contagieuses comme le démontrent les formes unilatérales et l'absence de contamination familiale. Il faut rassurer l'entourage et surtout les responsables des crèches.
A noter que l'utilisation, souvent en automédication, des collyres antiseptiques peut décapiter la symptomatologie.
Dans cette forme d'imperméabilité lacrymo-nasale, l'importance d'une EI précoce a parfaitement été démontrée par les travaux de Katowitz et Welsh. La date de mise en œuvre du premier geste semble déterminante pour le succès thérapeutique. Lorsque le premier sondage est réalisé entre le 3e et le 6e mois, il guérit 98 % des cas. Le deuxième sondage pratiqué entre le 6e et le 12e mois, sur ces formes rebelles, aboutit au même taux de succès si le premier sondage avait été réalisé avant le 6e mois. L'intubation canaliculo-nasale donne près de 100 % de succès lorsqu'elle est pratiquée la deuxième et la troisième année. Au-delà, les succès postopératoires diminuent nettement.
En dehors de ce schéma thérapeutique global, les pourcentages de succès sont moins nets. Un premier sondage pratiqué au-delà de l'âge de 12 mois n'est couronné de succès que dans moins de 50 % des cas.
Le problème est différent en cas d'anomalie du secteur nasal. Les VLE s'abouchent dans le méat nasal inférieur. Les interactions entre les pathologies de la fosse nasale et les VLE sont bien connues. L'apparition d'un larmoiement au cours ou au décours d'une surinfection rhinopharyngée est classique, de même que sa disparition complète avec la guérison du rhume. Entre deux épisodes, le larmoiement est absent, et ce sans aucun traitement. La symptomatologie est intermittente. Dès lors, il est difficile d'imaginer qu'existe un obstacle anatomique permanent sur les VLE, et l'EI ne s'impose donc pas. C'est dans ces formes que les tests aux colorants (rifampicine collyre, fluorescéine) sont positifs. Avec la croissance, les rhumes s'espacent et les larmoiements aussi... Ce qui explique que le temps puisse guérir des larmoiements.
* Hôtel-Dieu, Paris.
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