LA DÉNUTRITION n’est pas le pré carré du tiers-monde. Nos sociétés d’abondance abritent ce fléau alimentaire dans la plus grande impunité. Les premières victimes en France : les seniors. Et contrairement à un préjugé tenace, «moins manger ou mal manger quand on est âgé, ce n’est pas normal». L’image d’Epinal d’un troisième âge friand et bon vivant en prend un coup. La grand-mère gâteau, cuisinière hors pair et gourmande, est d’ailleurs un signe qui ne trompe pas. «Avec l’âge, on perd le goût. La perception des concentrations gustatives est moins fine. Le salé, l’amer et l’acide sont de moins en moins recherchés car le palais les détecte difficilement avec l’âge. Le sucré résiste plus facilement à cette déperdition», commente le Dr Bruno Lesourd (CHU Clermont-Ferrand). D’où une appétence problématique pour les nourritures sucrées. Un régime alimentaire désordonné chez un sujet âgé débouche sur des complications dangereuses. «La perte de poids chez les personnes âgées est définitive. Le corps ne récupère plus spontanément ce qu’il perd, et, inversement, n’élimine plus son surpoids. Un senior n’a plus cette capacité de régulation», poursuit B. Lesourd.
Une situation préoccupante si l’on se réfère aux chiffres : de 2 à 4 % des jeunes vieux, entre 65 et 80 ans, sont dénutris, et 10 % des 80 ans et plus. A cette population (quelque 300 000 à 500 000 individus), il faut ajouter les 20 à 30 % de personnes à risque, le plus souvent les septuagénaires. Le total fait, on approche facilement le million de dénutris. Le tableau s’assombrit encore lorsque l’on sait qu’ «une personne âgée, dès qu’elle entre dans le cycle de la dénutrition, meurt dans les cinq ans si elle n’est pas médicalement prise en charge».
La spirale de la dénutrition ? «Une augmentation quatre fois plus importante d’infections que sur un sujet en bonne santé, deux fois plus de fractures recensées aussi. Un quart des personnes âgées meurent dans l’année après une fracture du col du fémur», indique B. Lesourd.
L’institution hospitalière a son rôle à jouer. «La prise en charge de la dénutrition est efficace», affirme Jean-Claude Desport (Limoges). Enfin une bouffée d’air frais ? Non, «il y a peu d’évaluation nutritionnelle en milieu hospitalier. Un quart seulement des hôpitaux détectent l’obésité», affirme encore J.-Cl. Desport. Le drame de la vieillesse, «c’est de pouvoir être dénutri et pourtant obèse, perdre du muscle et pas du gras».
Une semaine d’information en juin.
Pour ne pas foncer droit dans le mur, les deux médecins alertent l’opinion et annoncent une semaine de dépistage de la dénutrition, Nutriaction, entre les 19 et 25 juin prochain. Des dates estivales pour ne pas reproduire l’hécatombe des grandes chaleurs. «L’information a une réelle incidence sur le comportement des personnes âgées», indique B. Lesourd.
D’autant que la note de la dénutrition est salée : «La renutrition orale coûte de 3 à 5euros par jour et se prolonge sur trois, voire quatre, mois. Une fracture revient à 15000euros par épisode. La prévention, ça ne coûte rien.» De quoi faire bouger les hôpitaux, où des formations nutritionnelles sont de plus en plus organisées auprès du personnel soignant et où le dépistage pourrait se systématiser pour un séjour supérieur à trois jours. Et B. Lesourd de renchérir : «Il faut agir au niveau local. C’est pour cela que nous avons lancé une enquête épidémiologique dans sept régions avec quarante médecins. Avec une cartographie précise, on pourra mieux agir.» Résultats en avril.
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