LE VINGTIÈME SIÈCLE avait été frappé par trois pandémies grippales : celles de 1957 et de 1968, qui ont chacune provoqué une importante morbidité et, d'après les estimations de l'OMS, plus de trois millions de décès, pour la plupart chez les enfants en bas âge, les personnes âgées et les sujets atteints d'affections chroniques sous-jacentes. Et surtout celle de 1918, dite de grippe espagnole, qui a fauché probablement plus de 40 millions de personnes dans la tranche d'âge des 15-35 ans. A partir d'aujourd'hui et jusqu'au 25 mai, les représentants des 192 pays qui siègent à l'OMS vont être notamment appelés à plancher sur « la crainte de l'imminence possible d'une pandémie de grippe ». La première pandémie de ce XXIe siècle commençant pourrait bien ressembler, redoutent les experts de l'organisation, à celle de 1918. Directement liés à de flambées sans précédent de grippe aviaire à H5N1 qui ont commencé chez des volailles, en 2003, dans huit pays d'Asie, les premiers cas humains provoqués par cette souche du virus grippal A ont été signalés en 2004. Or il semble qu'il y ait des similitudes entre ce virus H5N1 et le virus de 1918 : la transformation progressive d'un virus aviaire en virus de type humain, la gravité de la maladie, sa concentration chez les sujets jeunes et en bonne santé, ainsi que la survenue d'une pneumonie virale primaire en plus d'une pneumonie bactérienne secondaire, constituent autant de signaux d'alerte.
Certitude d'une propagation internationale rapide.
Evidemment, nul ne saurait prévoir à quel moment la pandémie pourrait exploser. Mais les rapports qui vont être présentés à Genève insistent sur la certitude que la propagation internationale sera rapide dès lors qu'apparaîtra un virus qui présente les caractéristiques adéquates. Autrefois, les pandémies se répandaient par les voies maritimes, et la propagation ne devenait mondiale qu'au bout de six à huit mois. Désormais, comme on l'a vu avec le syndrome respiratoire aigu sévère (Sras), les voies aériennes réduisent considérablement les délais, pouvant compromettre les ripostes si des flambées se déclarent presque simultanément dans plusieurs régions du monde. C'est pourquoi tout devrait être mis en œuvre à Genève, pour profiter de l'occasion unique qu'offre l'AMS de se préparer activement.
Tout, c'est, pour commencer, l'élimination du virus dans son réservoir animal : il est primordial de repérer et d'abattre rapidement toutes les volailles infectées. C'est ensuite, bien sûr, la mise au point rapide d'un vaccin. Plusieurs fabricants y travaillent. Mais le problème principal lié à l'insuffisance des capacités de production sera difficile à surmonter. Il impliquera, estiment les experts, l'arrêt de la production des vaccins saisonniers pour concentrer tous les moyens contre la souche pandémique.
L'OMS préconise aussi la constitution de stocks d'antiviraux, principal mode d'intervention médical pour réduire la morbidité et la mortalité, dès lors qu'est déclarée la pandémie. Sont aussi envisagées des mesures de quarantaine, de recherche des contacts et de restrictions des voyages. Quoi qu'il en soit, c'est lors de cette assemblée, alors que la gravité de la menace est reconnue par tous les pays et avant que l'épidémie ne se déclenche, que l'OMS devrait, eu égard à « la gravité de la situation actuelle », intensifier le système international d'alerte et adopter un plan mondial.
La plus grande crainte d'un acte de bioterrorisme.
Les délégués n'échapperont pas aux grands classiques de l'actualité épidémiologique : sida, paludisme, stratégies de vaccination. Mais la 58e Assemblée leur réserve quelques nouveautés. Par exemple, la variole, bien qu'elle soit officiellement éradiquée, devrait faire l'objet d'un plan vaccinal mondial. Les experts de l'OMS éprouvent en effet « la plus grande crainte » quant à une dissémination du virus à la suite d'un acte de bioterrorisme. Le plan étudié prévoit de porter à au moins cinq millions de doses de vaccins lyophilisés, préparés à partir de la lymphe de pustules, le stock stratégique conservé à Genève. Et pour parer aux situations d'urgence, au moins deux établissements devraient être identifiés dans le monde pour produire chacun un minimum de vingt millions de doses. Des plans opérationnels seront examinés ; ils concernent la répartition d'urgence des doses vaccinales, leur distribution rapide et ciblée, la fourniture de quantités requises de stocks d'aiguilles bifurquées et de diluants.
Toujours au chapitre catastrophe, l'OMS reviendra sur la crise liée au tsunami. En mettant en place une plate-forme opérationnelle régionale pour piloter les activités de secours d'urgence, des cellules de crise et des équipes mobiles d'intervention spécialisées, avec des spécialistes de l'épidémiologie, de la surveillance et des systèmes d'alerte rapide, mobilisant des centaines de personnels avec une quantité considérable de kits de traitement, l'OMS estime avoir apporté une importante contribution aux secours internationaux. Elle entend maintenant tirer les enseignements de la gestion de cette catastrophe en élaborant des stratégies d'interventions sanitaires en cas de crise et de catastrophe pour prévenir la perte de vies humaines, sur des échelles territoriales considérables.
Résistance aux antimicrobiens.
Enfin, la menace que fait courir la résistance aux antimicrobiens devrait faire l'objet d'une série de recommandations. Bien sûr, la mauvaise utilisation généralisée des antibiotiques suscite une préoccupation particulière. Les experts vont insister sur la « propagation rapide et alarmante de la résistance », alors que peu de nouveaux antibiotiques sont mis au point pour remplacer ceux dont l'efficacité est mise en défaut. Dans ce contexte, l'OMS entend militer pour un meilleur usage des médicaments, promouvoir les systèmes d'assurance élargis pour ouvrir l'accès aux médicaments essentiels, diffuser plus largement les génériques, combattre la mauvaise observance des traitements et réaliser des programmes d'évaluation sur les traitements. L'intérêt en est par exemple attesté avec le programme de raccourcissement de l'antibiothérapie pour la pneumonie de l'enfant : ramenée à une durée de trois jours, celle-ci est efficace dans la plupart des cas sans gravité. Par comparaison avec un traitement classique de cinq à sept jours, elle revient moins cher, est mieux respectée, entraîne moins d'effets secondaires et diminue le risque d'émergence des bactéries résistantes.
Bill Gates en vedette
Dès l'ouverture, ce matin à 9 heures, c'est Bill Gates qui tiendra la vedette. L'homme le plus riche du monde interviendra, en sa qualité de cofondateur de la Fondation Bill et Melinda Gates, sur le thème de l'amélioration de la santé dans les pays les plus démunis. Il devrait annoncer un « nouvel engagement financier majeur pour développer la recherche scientifique, délivrer les vaccins et les médicaments essentiels et mobiliser les acteurs privés pour la délivrance d'outils sanitaires à l'échelle mondiale ».
Un observatoire mondial de la cybersanté
L'émergence et l'essor des technologies de l'information représentent, estiment les experts de l'OMS, « des perspectives exceptionnelles de développement de la santé publique ». La cybersanté, avec l'ensemble des produits, des systèmes et des services numériques mis au service de la santé, y compris dans les pays à faible revenu, devrait améliorer l'accès aux soins, la qualité des prises en charge, tout en évitant les actes superflus et la multiplication des examens.
L'OMS se montre attentive aux questions d'éthique relatives au respect de la confidentialité des informations, à la dignité et à la vie privée. Elle souhaite veiller au respect des principes d'équité qui pourraient être compromis par les différences de culture, d'éducation, de langue, de situation géographique, d'aptitude physique et mentale, d'âge et de sexe.
L'organisation entend aussi servir d'intermédiaire entre organismes publics et privés mis à contribution ; leurs partenariats devront être transparents, équitables, conformes à l'éthique. Enfin, elle veut s'assurer des normes de qualité et de sécurité de la cybersanté.
C'est pour répondre à ces ambitions que sera proposé aux délégués de l'AMS la création d'un observatoire mondial de la cybersanté en réseau, chargé d'étudier et d'analyser les évolutions et les tendances, en s'appuyant sur les centres nationaux.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature