De notre envoyée spéciale à La Rochelle
Après la transat anglaise, créée en 1960, c'est la plus ancienne et la plus courue des courses transatlantiques en solitaire. Samedi 22 septembre à La Rochelle (Charente-Maritime), 60 concurrents qualifiés, dont cinq femmes, ont pris le départ de la 13e édition de la transat 6.50. Une course de 4 250 milles (1), disputée tous les deux ans, et qui relie cette année Fort-Boyard (France) à Salvador de Bahia (Brésil), où les premiers bateaux sont attendus le 1er novembre prochain. Une étape est prévue, début octobre, à Puerto Calero (Canaries), après 1 350 milles parcourus en mer.
Laissons Ellen MacArthur, la petite Anglaise arrivée deuxième du Vendée Globe 2Transat (c'est ainsi que l'on appelle la 6.50). Elle résume mieux que quiconque les particularités de cette épreuve au large : « La transat 6.50 est l'une des plus fortes histoires de la course au large (...). Ces hommes et ces femmes se consacrent corps et âme à leur volonté d'être au départ (...). Cette épreuve est un challenge véritablement authentique avec très peu ou pas de communication et un minimum d'instruments. »
Maintenant, imaginez-vous en pleine mer, dans cette zone proche de l'équateur appelée le pot-au-noir, zone de convergence intertropicale où des grains d'une extrême violence perturbent parfois un calme absolu, angoissant. Imaginez-vous là, sur une coque de 6,50 mètres de long, seul, sans moyen de communiquer. Il fait très chaud. Les nerfs sont mis à rude épreuve.
Sécurité d'abord
La Mini-Transat, c'est tout cela. Une épreuve pour marins aguerris, immodérément amoureux de la mer et du bateau, armés d'une ténacité de fer et d'une force de caractère hors du commun. C'est aussi le charme du système D. Son concepteur, le Britannique Bob Salmon, l'a voulue ainsi : ouverte à toutes les bourses ou presque. C'était en 1977.
Aujourd'hui, le système D n'a plus la cote. « Nous vivons une époque où la sécurité est la règle numéro un », constate le Dr Antoine Grau, médecin de la transat et anesthésiste à l'hôpital de La Rochelle. Faiblesse des épreuves qualificatives, bateaux peu fiables, les critiques se sont multipliées au point de menacer l'existence même de la Mini-Transat. Le nouvel organisateur de la course, l'Association du Grand Pavois de la Rochelle, a donc tout misé sur la sécurité. La Mini-Transat, ce n'est plus seulement, selon le vieil adage, « un homme, un bateau, un océan ». C'est aussi une assistance médicale que Mondial Assistance France, sponsor officiel, offre aux navigateurs.
Prévention
« Pour nous, médicaliser, c'est prendre en charge tous les aspects préventifs et curatifs sur l'ensemble des événements susceptibles d'altérer la santé des concurrents », explique le Dr Olivier Cha, directeur médical de Mondial Assistance France. L'essentiel du travail de l'équipe médicale porte sur la prévention et donc sur la semaine précédant le départ des concurrents. « Ils sont très vite hors de portée radio, note le Dr Grau. Quand ils sont partis, on a fait les trois-quarts du boulot ». Chaque navigateur a reçu « Le Guide médical de la transat 6.50 », élaboré par Mondial Assistance, en collaboration avec les médecins de la course (3). Cet ouvrage, adapté aux conditions de vie à bord, c'est-à-dire plastifié pour résister à l'humidité, léger et de petit format, simple enfin dans sa rédaction, est conçu en trois parties : la première expose les principaux risques et problèmes auxquels peut être confronté le marin (voir encadré). La deuxième partie permet au skipper de faire face seul aux principaux problèmes de santé. La troisième partie détaille la pharmacie type recommandée. Avant le départ, chaque concurrent a rempli, à l'attention des médecins, un questionnaire santé. Une source d'informations pour les médecins de la course leur permettant de « gérer au mieux les pathologies chroniques qui risqueraient d'évoluer, d'intercepter éventuellement les concurrents qui présenteraient une contre-indication médicale à participer à ce type de compétition ». Chaque marin a d'ailleurs dû fournir, joint au questionnaire médical, un certificat médical, établi par le médecin de leur choix, délivrant une aptitude à la navigation en solitaire, datant de moins de trois mois avant le départ de la course. « Deux à trois bateaux seront un peu plus surveillés que les autres jusqu'à Lanzarote, indique le Dr Grau. On a trouvé un problème de genou, un gros problème de dos et une petite fragilité psychologique chez trois navigateurs ». Rien de bien méchant toutefois. En 1993, un concurrent a pris le départ avec « un SIDA en stade terminal ». Il a fait demi-tour très rapidement. Un autre était sous anticoagulants. Tout en respectant la confidentialité des données médicales, l'équipe médicale se réserve le droit d'informer l'organisation de la course d'une inaptitude formelle. Autre versant de la prévention : dans la semaine précédant le départ, chaque concurrent a été formé individuellement aux gestes de premiers secours et conseillé sur la conduite à tenir en matière de nutrition, d'hygiène, de récupération, avant et pendant la course. « Il y en aura toujours pour larguer de l'eau douce juste la ligne de départ passée pour s'alléger au maximum, déplore le Dr Grau. Cependant, les marins se sont montrés réceptifs aux entretiens médicaux. C'est surprenant de la part d'une population aussi indisciplinée, tout le temps à la bourre. »
Jusqu'aux Canaries, un patrouilleur des Affaires maritimes navigue au plus près des concurrents avec un médecin de Mondial Assistance à son bord. En outre, une équipe médicale, composée de quatre personnes, accompagne les concurrents sur cinq bateaux suiveurs. Les interventions en haute mer sont très diverses, allant du travail d'écoute au transbordement pour soins à bord du bateau suiveur. Pendant l'escale de Puerto Calero, à mi-parcours, les coureurs subissent un examen médical et sont pris en charge par un kinésithérapeute. Enfin, un bilan physique complet est prévu à l'arrivée.
Finie l'aventure telle qu'on la concevait il y a encore trente ans ! « C'est révolu », lance le Dr Cha. On peut le regretter. Mais Mondial, et plus encore ses clients (les organisateurs de la course), conçoivent l'aventure assistée : « Nous cherchons à éliminer les problèmes qui peuvent pourrir l'aspect aventure. »« Ce ne sont pas les médecins qui font de la retape, se défend le Dr Cha. Ce sont les organisateurs, et les navigateurs eux-mêmes, qui nous approchent. L'environnement santé fait partie intégrante du sport. Etre bien préparé sur le plan de la santé, c'est se donner un atout supplémentaire pour gagner. »
Un bouton rouge éliminatoire
Une fois en mer, la seule assistance permise est l'assistance médicale radio. Tout contact physique est disqualifiant. A bord, le skipper dispose de trois boutons d'alerte, dont un rouge signifiant une demande d'aide médicale. Son emploi est éliminatoire. « Je leur ai appris à soigner un abcès, à mettre un garrot, à cibler une situation potentiellement grave. J'ai tenté de faire comprendre aux concurrents dans quels cas ils devaient actionner le bouton rouge. Je redoute pourtant qu'ils répugnent à s'en servir. »
Depuis sa première édition en 1977, la transat déplore quatre morts et aucun problème de santé majeur. Mais parce que quatre morts, c'est déjà trop. Parce que cette course « mine le mental » des concurrents. Parce qu'il vaut mieux gagner en bonne forme qu'en mauvaise. Parce qu'il faut faire en sorte que tous aient une santé de fer et un moral d'acier, et donc des chances équivalentes de courir et d'aller au bout. Pour toutes ces raisons avancées tant par les organisateurs des épreuves sportives que par les médecins, l'assistance médicale trouve sa légitimité. David Raison, 31 ans, numéro 232, skipper de Nauti-Park/Kley France, pense que tout cela est « très bien ». « J'ai glané quelques généralités, comme immobiliser un doigt de pied pété, quels médicaments utiliser dans tel cas. Plus vite on se remet sur pied, plus on améliore ses performances ». Le bouton rouge, il l'actionnera « en cas d'hémorragie, par exemple », s'il est « en train de se vider ». Pour la partie « préparation mentale », il est « arrivé en retard à la formation », explique-t-il d'un air fanfaron. De toute manière, il sait, dit-il, qu'il faut « tâcher de dormir assez ». Il a, à l'évidence, cette ténacité de fer, cet amour immodéré de la mer et du bateau et cette part d'inconscience - que d'autres nomment masochisme -, sans laquelle la mer, au-delà de l'équateur, serait vide de ces petites coques, pas si fragiles, de 6, 50 mètres.
(1) Un mille marin égale 1 852 mètres.
(2) Le Vendée Globe est une course en solitaire autour du monde sur des bateaux d'une haute technicité.
(3) Le Dr Grau, le Dr Philippe Bouillard et Pierre-Yves Farrugia, kinésithérapeute.
Des risques liés aux particularités de la course
La Mini Transat reste une épreuve à part dans l'univers de la course au large. Cinq éléments sont à l'origine de sa particularité :
- L'exiguïté du navire : l'espace restreint, les longues heures passées à la barre, les mauvaises positions de repos, la tension musculaire permanente pour contrecarrer les mouvements brutaux et incessants du bateau, toutes ces situations sont à l'origine de lombalgies, cervicalgies, tendinites, etc. Le risque principal de chute à la mer est majoré.
- L'humidité constante : la petite taille du bateau fait que tout est imbibé, et notamment les vêtements. Les petites plaies multiples liées aux manuvres cicatrisent mal.
- La navigation en solitaire : le sommeil est limité au strict minimum, entre quatre et cinq heures par jour quand tout va bien, fractionnées en période de trente minutes à deux heures. Il y a donc carence de sommeil avec tous les troubles que cela induit.
- Le parcours : humidité et froid marquants dans le golfe de Gascogne ; extrême chaleur avec risque de déshydratation entre les Canaries et le Brésil.
- Le profil des coureurs : ils sont jeunes, amateurs, au budget restreint. Ils n'ont eu ni le temps ni les moyens de se pencher sur le côté médical.
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