A différentes occasions, au cours de la campagne électorale, les centres éducatifs renforcés (CER) ont été curieusement baptisés « maisons fermées » et présentés comme une réponse à la montée de la délinquance des mineurs. Le CER de Malakoff - qui fait exemple en France pour son taux de réussite - n'a vraiment rien d'une maison « fermée ». Frédéric Pierpaoli, son directeur, a non seulement mis en place un projet pédagogique, mais aussi une « façon d'être ».
Les CER dépendent du ministère de la Justice : ils sont nés de la transformation des UEER (unité à encadrement éducatif renforcé), projet bâti en 1996 sous l'impulsion du garde des Sceaux de l'époque, Jacques Toubon. Le projet initial a été légèrement modifié pour favoriser un axe éducatif plutôt que sécuritaire.
Le CER est un lieu d'hébergement collectif ouvert aux mineurs délinquants multirécidivistes. L'accueil des jeunes a un objectif éducatif dans un cadre ordonné par le judiciaire. Il est dit « renforcé » par les moyens humains et matériels nécessaires à l'individualisation de la prise en charge.
Malakoff accueille, au cours de deux sessions annuelles de quatre mois, cinq ou six mineurs délinquants récidivistes en alternative à l'incarcération. Il s'agit prioritairement de garçons, âgés de 14 à 17 ans et demi, issus du département des Hauts-de-Seine. Le jeune est confié au CER à la demande du magistrat au titre de l'ordonnance du 2 février 1945 motivée par les actes de délinquance. Ce coup d'arrêt du placement par mesure judiciaire intervient en alternative à l'incarcération et donne la possibilité de mettre de l'ordre là où le jeune mettait tout en échec. L'équipe du CER ne se substitue pas aux représentants de la loi : le partenariat avec les magistrats et le commissariat de police se fait aussi souvent que nécessaire dans le strict respect de la loi.
Après acceptation de la candidature par l'équipe, une audience dans le cabinet du magistrat est exigée afin que soit posé un cadre, une argumentation claire du placement et des repères bien définis. A cette audience sont présents le jeune concerné, sa famille, un représentant des services en milieu ouvert mandaté et un éducateur du CER.
Sur dix adolescents admis à la maison de Malakoff, huit ont déjà été incarcérés, et l'hébergement représente pour la majorité d'entre eux la seule alternative à l'incarcération. L'organisation y est rythmée par les règles de vie établies sur un mode familial et par le respect rigoureux d'un cadre horaire pour que le jeune soit, et se sente, contenu. L'arrivée d'un jeune ne s'accompagne pas systématiquement d'un projet élaboré. Certains adolescents ont un projet professionnel ou scolaire, d'autres n'en n'ont pas.
Une session vient de commencer avec cinq nouveaux jeunes. L'un effectue un stage de restauration, l'autre s'adonne chaque jour - depuis peu - à la musculation dans un club de sport d'une ville voisine avec l'argent de poche (12 euros) que lui confie l'éducatrice, un troisième est en cavale... « Il reviendra probablement au bras de deux policiers », explique Frédéric Pierpaoli, ce qui marquera un nouveau « coup d'arrêt » ; vraisemblablement, le jeune poursuivra la session pour reprendre le projet éducatif.
Selon M. Pierpaoli, qui n'a cessé d'adapter sa stratégie pédagogique depuis les six années qu'il dirige ce CER, « il n'y a pas lieu de contraindre les adolescents à une activité quelle qu'elle soit ». « On les accompagne même dans le rien, insiste-t-il. L'important est qu'ils rompent avec la prise de risque, avec le judiciaire. Si cette interruption se fait, c'est le principal. »
60 % de réussite
Et c'est le cas : le CER obtient 60 % de réussite, contre 80 % de récidives en cas d'incarcération. « Cela signifie que, après quatre mois passés dans la maison de Malakoff, 60 % des jeunes mettent un terme aux actes de délinquance et intègrent un dispositif social cohérent », explique Frédéric Pierpaoli.
« Ça marche, parce que nous sommes une petite structure », enchaîne le directeur. La réussite tient à la cohésion et à l'investissement de l'équipe pédagogique, actuellement composée de quatre éducateurs à temps plein, d'une psychologue à tiers temps, d'une « maîtresse de maison » à mi-temps et de vacataires formateurs occasionnels en soutien scolaire. C'est d'ailleurs le rôle essentiel de la psychologue, chargée d'assurer la cohésion et la régulation de l'équipe pédagogique, ainsi que la mise en place des entretiens familiaux. Un après-midi par semaine est consacré à recevoir les familles dans le cadre d'entretiens avec la psychologue, un membre de l'équipe éducative et en présence du jeune. Mais aucune prise en charge psychologique ou psychothérapique individuelle n'est proposée dans le CER. Lorsque celle-ci est nécessaire, « elle se fait à l'extérieur avec les professionnels de santé, explique M. Pierpaoli, chacun son rôle ».
Un cadre familial de ville
La maison de Malakoff occupe les deux étages supérieurs d'un petit immeuble, de type maison de ville, partagé avec le CAEI de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Le premier étage est occupé par les 6 chambres individuelles des adolescents. Le deuxième étage est doté d'une cuisine aménagée, d'un salon, d'une salle à manger et d'une salle de bain faisant office de lingerie. Frédéric Pierpaoli a choisi le mobilier à son goût : « Ce ne sont pas des meubles qui ressemblent à ceux que l'on s'attend à trouver dans une institution. Depuis l'ouverture du centre, il n'y a eu aucune dégradation : le papier jaune de la salle à manger est intact, le canapé a peut-être un peu souffert des plateaux-repas, mais les adolescents et les éducateurs partagent ce cadre familial dans un respect mutuel. »
« Les courses ne sont pas livrées, insiste le directeur, les mineurs font leurs achats avec les éducateurs, et participent à la cuisine quotidienne, et les repas sont pris en commun. »
Le suivi médical se fait en collaboration avec un médecin de ville : « Je les laisse aller seul chez le médecin comme chez le coiffeur, je leur confie un chèque, explique M. Pierpaoli, ce qui ne se fait nulle part ailleurs. » Comment ose-t-on confier un chèque à un mineur délinquant en sursis d'une incarcération ? Selon les éducateurs qui travaillent à Malakoff, il n'y a eu qu'une seule bagarre en six ans.
Le budget annuel alloué au fonctionnement de l'établissement est de 2,6 millions. « C'est suffisant, estime M. Pierpaoli, j'ai même un budget fleurs coupées. » Il permet aussi les sorties : cette semaine, un concert de rap.
Pendant toute la durée du séjour, une collaboration étroite avec les éducateurs des services AEMO (aide éducative en milieu ouvert) permet d'ouvrir des possibilités après le CER. De fait, la sortie est préparée avec les éducateurs dès le début de la session. Certains, trois ans après, viennent saluer Frédéric Pierpaoli : ils s'en sont sortis.
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