Asthénie, amaigrissement, dyspnée
Miliaire à gros grains et opacité de la base droite(DR)Scanner à l'entrée : lésions disséminées(DR)Scanner 6 semaines après le début du traitement(DR)Les seuls antécédents de cette patiente âgée de 75 ans, ancienne couturière, sont : un syndrome anxiodépressif, une hypercholestérolémie et une HTA.
L'histoire de la maladie retrouve une asthénie, un amaigrissement estimé à 6 kg depuis trois mois et surtout une dyspnée permanente.
Elle a consulté récemment son cardiologue qui n'a trouvé aucun élément suspect d'une origine cardiaque à sa dyspnée. Elle a une parfaite hygiène de vie, n'a jamais fumé. Pas d'exposition à l'amiante retrouvée. Elle est apyrétique.
L'examen clinique initial est pauvre avec quelques râles fins dans les deux champs pulmonaires, mais note des signes en foyers à la base droite, mate à la percussion.
Biologiquement : pas de signe inflammatoire avec une CRP dosée à 0,3 mg, la vitesse de sédimentation est à 7/20. La gazométrie sanguine montre une hypoxie marquée ; la PaO2 est à 53 mmHg, la SaO2 est à 89 %.
L'ACE est normal à 3,1 ng/ml.
Le scanner thoraco-abdominal confirme l'image inquiétante avec des lésions disséminées à gros grains. Il précise aussi l'opacité basale droite, faite de lésions confluantes et d'un trouble ventilatoire associé. On retrouve aussi une lame d'épanchement pleural droit. Il existe aussi des images d'adénopathies médiastinales centimétriques.
Certes, au vu de cette image, on pense à une miliaire tuberculeuse (granulie), mais l'absence de signes biologiques inflammatoires ne colle pas avec ce diagnostic. Par principe, on recherche des BK : négatif.
L'hypothèse la plus vraisemblable est une miliaire carcinomateuse. Les recherches sont dirigées dans ce sens.
Adénopathie sus-claviculaire droite
En approfondissant l'examen clinique, on retrouve une adénopathie sus-claviculaire droite de la taille d'un pois. Une fibroscopie bronchique est indiquée.
La fibroscopie bronchique montre une bronche lobaire moyenne droite inflammatoire, et porteuse de multiples lésions granuleuses blanchâtres. Elles sont biopsiées.
L'exérèse ganglionnaire est réalisée.
L'examen anatomopathologique avec l'étude histochimique de tous ces prélèvements confirme que nous avons affaire à un adénocarcinome papillaire bronchio-alvéolaire primitif.
La patiente est confiée au Dr Gervais, au centre François-Baclesse de Caen. Il est alors proposé à Mme P. de rentrer dans une étude randomisée : chimiothérapie classique (carboplatine-paclitaxel) versus erlotinib qu'elle accepte. Le sort lui attribue le bras erlotinib en première intention.
Ce traitement est débuté le 22 août 2007 à la dose quotidienne de 150 mg, à heure fixe hors d'un repas.
Mme P. présente une excellente tolérance à ce traitement, en dehors d'une acné qui reste modérée.
Après six semaines de traitement par erlotinib : l'amélioration clinique est absolument spectaculaire, la patiente se sent nettement mieux. La dyspnée a pratiquement disparu. Elle n'est plus hypoxique et a pu être sevrée en oxygène.
Le scanner spiralé du thorax réalisé le 18 septembre confirme une très importante diminution du nombre et de la taille des nodules parenchymateux et de la condensation alvéolaire lobaire inférieure droite.
Le résultat est donc vraiment excellent. Cette patiente qui n'a jamais fumé, avec une hygiène de vie parfaite, est donc une remarquable observation de carcinome bronchiolo-alvéolaire primitif, à un stade très évolué (miliaire carcinomateuse).
Mutation du gène EGFR
C ette pathologie est soupçonnée d'entrer dans le cadre des lésions directement liées à la mutation du domaine tyrosine kinase (TK) du gène EGFR (Epidermal Growth Factor Receptor).
C'est confirmé dans le cas de cette patiente, la tumeur était positive à la mutation du gène EGFR.
A ce jour, l'état de santé de Mme P. est tout à fait satisfaisant. Les lésions sont très stables.
Ces mutations semblent plus fréquentes chez les non-fumeurs que chez les fumeurs (51 % contre 10 %).
Cette observation est significative de la profonde évolution de la thérapeutique médicamenteuse des tumeurs cancéreuses.
La chimiothérapie, dite classique , utilise les substances cytostatiques attaquant l'ADN de la cellule néoplasique, avec la toxicité que l'on connaît tous. Elle a, certes, toujours sa place. Mais la meilleure connaissance et les découvertes récentes de certains mécanismes de la transformation cellulaire à l'origine des tumeurs malignes est en train de bouleverser l'approche thérapeutique.
C'est ainsi que l'on parle des «thérapeutiques ciblées».
Ces nouvelles voies thérapeutiques sont très encourageantes. Elles sont le résultat d'une recherche qui progresse au rythme de la connaissance de la carcinogenèse cellulaire. D'autres molécules sont actuellement en cours d'étude et d'évaluation.Elles ne sont pas dénuées d'effets secondaires et de contre-indications, mais elles n'ont pas la cyto-toxicité de la chimiothérapie, dite classique.
Il s'agit d'une voie d'avenir.
Références
Infocancer.org. : maj. du 22 décembre 2007 Thesaurus cancer du poumon, ONCAZUR 2006 « Journal of The National Cancer Institute », Adi Gadzar et coll. 6 mars 2005.
Rapport européen d'évaluation (EPAR), EMEA 2007, résumé Tarceva HAS. Commission de la transparence, 18 janvier 2006-15 mars 2006.
Quelles cibles ?
Ce sont des altérations génétiques. Ces gènes sont, soit responsables de la sécrétion de protéines oncogéniques, mais ce peut être aussi la perte de fonction protectrice contre l'oncogenèse cellulaire.
De manière très schématique on peut dire que :
les facteurs de la croissance cellulaire (Growth Factors) découverts dans le tissu tumoral (mis en évidence par Rita Levi-Montalcini et Stanley Cohen, tous deux prix Nobel en 1986) ont des récepteurs membranaires spécifiques.
Ces récepteurs sont à l'origine du déclenchement de la multiplication cellulaire. Il s'agit de récepteurs à tyrosine kinase (RTK) transmetteurs cellulaires de l'information. Il s'ensuit une cascade de réactions à l'origine du processus oncogénétique.
Ces récepteurs peuvent être, soit trop nombreux réalisant une « surexpression », soit anormaux, soit trop nombreux et anormaux.
L'EGF (Epidermal Growth Factor) est un facteur de croissance normalement impliqué dans le développement de la peau, des poumons, du coeur et du sein. Il est actif par l'intermédiaire d'un récepteur membranaire à activité tyrosine kinase, il s'agit de l'EGFR.
Il est surexprimé dans la plupart des cancers épithéliaux (90 % dans les cancers ORL, de 40 à 80 % dans les cancers pulmonaires).
L'évolution des connaissances de ces mécanismes très complexes sont à l'origine de ces nouveaux médicaments inhibiteurs de l'EGFR :
1. les anticorps monoclonaux, comme le trastuzumab et le cétuximab ;
2. les inhibiteurs de la tyrosine kinase tels que l'imatinib et l'erlotinib.
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