L 'EXISTENCE d'une composante familiale dans la migraine est admise. Mais, dans la majorité des cas, la transmission de la susceptibilité ne peut être reliée au schéma mendélien habituel. Ce schéma n'est en fait retrouvé que dans la migraine hémiplégique familiale, où l'on a affaire à une transmission autosomale dominante. L'affection est toutefois hétérogène génétiquement.
Des mutations ont été identifiées dans le gène CACNA1A, situé sur le chromosome 19, et qui code une sous-unité d'un canal calcique neuronal. Mais un locus situé sur le chromosome 1 a également été mis en cause. Et comme la ségrégation du gène CACNA1A et des marqueurs du chromosome 1 ne peut rendre compte de tous les cas familiaux, il faut probablement envisager un troisième locus.
En s'en tenant au gène CACNA1A, la difficulté semble être de mettre en relation un génotype, c'est-à-dire une mutation dans le gène, avec un phénotype, c'est-à-dire une présentation clinique de l'affection, particulièrement hétérogène. Huit mutations ont déjà été identifiées dans le gène. Toutefois, en l'absence de caractérisation phénotypique précise des familles, il n'est pas possible de mettre chacune de ces mutations en relation avec une présentation de la maladie ou un symptôme constitutif du tableau clinique.
Neuf mutations, toutes de type « faux-sens »
C'est à ce travail que se sont attelés les chercheurs français, en recherchant une mutation de CACNA1A dans 28 familles atteintes de migraine hémiplégique, avec ou sans signes cérébelleux, ainsi que chez trois sujets atteints de formes apparemment sporadiques, avec signes cérébelleux. Au total, neuf mutations, toutes de type « faux-sens », ont été identifiées dans CACNA1A, chez 15 des 16 personnes étudiées et présentant des signes cérébelleux, chez 4 des 12 personnes atteintes de formes « pures », sans signes cérébelleux, et chez 2 des 3 sujets atteints de formes sporadiques. Parmi ces neuf mutations, cinq n'avaient pas encore été décrites (R195K, K1336E, R1668W, W1684R, V1696I), les quatre autres étant déjà répertoriées (R583Q, T666M, D715K, Y1385C). On note que la mutation T666M était la plus fréquente, étant retrouvée dans neuf familles qui présentaient des signes cérébelleux. La mutation R583Q a été retrouvée dans trois familles, également affectées par des migraines avec signes cérébelleux. Enfin, la mutation R1668W a été détectée dans deux familles, l'une présentant des signes cérébelleux, l'autre non.
Les mutations identifiées lors de ce « premier passage » ont ensuite été recherchées chez 169 personnes membres des familles étudiées. Elles ont été retrouvées chez 117 d'entre eux. 104 de ces personnes ont rapporté des crises de migraine hémiplégique depuis l'âge de 11 ans en moyenne, à raison de deux ou trois par an en moyenne, mais avec une très grande variabilité (d'une crise par jour à moins de cinq dans l'existence). Le stress émotionnel était le facteur déclenchant le plus fréquent, suivi des traumatismes mineurs à la tête. Enfin, des signes cérébelleux étaient présents chez 64 des 104 sujets atteints de migraine.
En ce qui concerne la relation génotype-phénotype, six mutations (R583Q, T666M, D715E, Y1385C, R1668W et W1684R) ont été associées à la présence de signes cérébelleux. 83 % des sujets portant l'une de ces mutations présentaient un nystagmus et/ou une ataxie. En revanche, les examens neurologiques étaient normaux chez les sujets portant les mutations R195K, K1336E ou V1696I.
T666M associée avec la plus grande fréquence
Parmi les trois mutations le plus souvent rencontrées, R583Q, T666M et D715E, c'est T666M qui semble associée à la plus grande fréquence de migraines hémiplégiques (98 %), de crises sévères avec coma (50 %) et de nystagmus (86 %). Le phénotype associé à R583Q était caractérisé par la plus grande fréquence d'ataxies (81 %), en l'absence de nystagmus. Enfin, D715E est associée à la fréquence la plus faible de migraines hémiplégiques (64 %).
Des corrélations plus ou moins étroites commencent donc à apparaître entre génotype et phénotype, qui seront sans doute autant de points de départ pour de futures études visant à approfondir les mécanismes de la migraine hémiplégique familiale au niveau du canal calcique codé par CACNA1A. Il faudra naturellement intégrer au modèle deux types de facteurs supplémentaires : les anomalies de développement neurologique, induites par l'anomalie du canal calcique, et les facteurs environnementaux, qui jouent sans doute un rôle beaucoup plus important dans les migraines classiques que dans la migraine hémiplégique familiale, et auxquels il est par conséquent essentiel d'aboutir, par delà les facteurs génétiques.
A. Ducros et coll. « New England Journal of Medicine », 2001 ; 345 : 17-24.
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