LES MÉDECINS GÉNÉRALISTES sont-ils «harcelés» par l'assurance-maladie ?
MG-France répond aujourd'hui par l'affirmative en annonçant sa décision de poursuivre en justice le directeur de la Cnam, Frédéric Van Roekeghem ; il serait responsable, selon ce syndicat, d'une politique répressive imposant «une pression permanente et insupportable» sur les praticiens (lettres recommandées, relances, contrôle tatillon des prescriptions et des arrêts de travail, amendes variant de quelques dizaines d'euros à 10 000 euros...) .
Au-delà de la forme juridique de la plainte, qui reste à préciser, cette offensive inédite d'un syndicat contre la Sécurité sociale se présente comme un « cri d'alarme» politique à l'intention de la future équipe gouvernementale du prochain ministre de la Santé.
Le Dr Martial Olivier-Koehret, président de MG-France, n'y va pas par quatre chemins.
«Au moment où les patients sont confrontés à une généralisation des dépassements de la part des spécialistes, on constate que l'assurance-maladie s'intéresse exclusivement et de très près aux médecins généralistes, explique-t-il. Des milliers d'entre eux font l'objet de courriers recommandés, de contrôles ou de menaces pour de simples écarts de prescriptions par rapport à la moyenne. Nous avons connaissance de centaines d'affaires de harcèlement de médecins généralistes lambdas qui ne sont pourtant pas des délinquants. Cela rend leur quotidien invivable.»
Alors que par le passé les syndicats ont parfois dénoncé l'activisme de tel ou tel directeur de caisse primaire zélé, MG-France affirme que la politique de contrôles et de poursuites tous azimuts de la Cnam est désormais «nationale, centralisée et délibérée». Dans certains départements, ajoute le Dr Olivier-Koehret, «un tiers» des médecins généralistesseraient concernés par des procédures. D'où la décision de déposer une plainte au civil «signée par le syndicat» pour harcèlement moral, au nom de la défense de la profession. «L'assignation est en cours et toutes les voies possibles seront explorées», déclare le président de MG-France.
Le bizone mis en cause.
Pour donner du crédit à sa thèse, MG-France cite divers «cas concrets gratinés» de médecins « harcelés ». A Louvres (Val-d'Oise), le Dr D. a subi en 2006 et 2007 deux contrôles rapprochés sur l'utilisation de l'ordonnancier bizone (après plusieurs autres vérifications depuis 1989). «Menacé de pénalités», ce médecin, qui dispose d'une clientèle de patients lourds et âgés, se dit victime de la non-confraternité des médecins- conseils. «Ils ont transmis à la directrice de la caisse du Val-d'Oise des dossiers pour des protocoles que je n'ai pas moi-même remplis!», explique-t-il au « Quotidien ».
A Seloncourt (Doubs), MG-France cite le cas du Dr T. qui a subi un contrôle durant une année (toujours sur les ALD) avec «13courriers de la Cpam, un mémoire et trois entretiens» pour accoucher d'une pénalité de… «125euros» prononcée par la caisse de Montbéliard. Une sanction que le syndicat qualifie d' «illégale, compte tenu de l'absence de mise en garde prévue par les textes».
A Quimper cette fois, le Dr D. aurait été «mis en demeure de diminuer ses prescriptions d'arrêts de travail» (avec menace de mise sous entente préalable), sous le prétexte que lesdites prescriptions «donnent lieu au versement d'indemnités journalières significativement supérieures à la moyenne régionale». Et à Châtillon (92) encore, un médecin aurait carrément subi en 2005/2006 un triple contrôle de la caisse portant sur «les arrêts de travail, les prescriptions abusives et les ALD».
Un effet de la réforme.
Par ces exemples, MG-France veut démontrer la dérive «tatillonne», mais aussi le caractère «arbitraire» des contrôles de la Cnam sur les prescriptions, les protocoles ou encore les règles du bizone (que le syndicat suggère de supprimer). D'autres y verront plutôt la conséquence de la lutte contre les fraudes et les abus engagée de façon déterminée dans la réforme de 2004 et complétée dans les récentes lois de financement de la Sécurité sociale avec la mise en place de nouveaux outils (procédures de pénalités graduées, mise sous accord préalable des prescriptions d'arrêts de travail ou de transports en cas d'abus, pouvoir accru octroyé aux directeurs de caisses…).
Une politique que pilote d'une main de fer la direction nationale du contrôle-contentieux et de la répression des fraudes au sein de la Cnam (auparavant les services étaient éparpillés). «La caisse pousse chaque médecin généraliste à se poser la question des risques administratifs qu'il prend au moment où il prescrit, c'est ubuesque», objecte le Dr Claude Leicher, vice-président du syndicat. Pire encore : pour le Dr Olivier-Koehret, «les poursuites des caisses se caractérisent par leur extrême faiblesse juridique». Dans la grande majorité des cas, affirme le syndicat, les procédures sont «irrégulières» et les droits de la défense «pas respectés». Une façon d'inviter les généralistes à ne pas courber l'échine et à s'adresser à un syndicat pour mieux se défendre.
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