C’est d’abord l’évolution sociétale qui interpelle. Que l’on regarde du côté du cancer ou de la maladie d’Alzheimer, la mise en place d’un plan national a largement impacté l’image et l’acceptation sociale de ces maladies. La société comme la communauté médicale ont entamé une évolution qui a largement bénéficié aux patients. Des évolutions significatives pour la qualité de prise en charge. « L’accès au diagnostic précoce, l’accompagnement du diagnostic, la mise en place d’autorisation pour les établissements exerçant une activité en oncologie, les modalités de prise en charge à travers notamment la concertation pluridisciplinaire sont quelques-unes des améliorations à porter au crédit des deux premiers plans cancer », affirme Josy Reiffers, directeur général de l’Institut Bergonié de Bordeaux et président d’Unicancer. Du côté de la maladie d’Alzheimer, l’accès des personnes à un diagnostic plus précoce a été accéléré par le développement des consultations mémoires et la mise en place des centres mémoires de recherche et de ressources (MRR), tandis que la problématique sociale des aidants a pour la première fois été mise en lumière.
Progrès et visibilité
Parallèlement, d’autres programmes – s’ils ont été moins incarnés par la personne présidentielle – ont tout autant porté des fruits bénéfiques aux patients. Des domaines comme la douleur, les maladies rares ou les soins palliatifs ont eux aussi véhiculé une optimisation de la prise en charge. Ils ont favorisé la restructuration d’une offre de soins qui était souvent insuffisante avant leur instigation : des centres de référence ont ainsi été labellisés pour chaque maladie ou groupe de maladies rares, les filières de soins étant en cours de restructuration autour d’eux. Des centres anti-douleur ont été implantés sur le territoire. Des équipes mobiles de soins palliatifs et le développement de la HAD ont favorisé un meilleur accompagnement de la fin de vie.
En dehors de ces progrès, le fait de reconnaître institutionnellement une question de santé comme priorité nationale permet aussi de négocier avec les partenaires institutionnels, comme l’explique Michel Lantéri-Minet, président de la SFETD (Société française d’étude et de traitement de la douleur) : « Dans le domaine de la douleur, cela facilite notre travail de lobbying. Nous pouvons faire évoluer beaucoup de questions importantes comme l’intégration de la douleur comme priorité nationale du développement professionnel continu (DPC), ou comme la reconnaissance de la douleur chronique comme une maladie chronique qui nous permettrait de développer notamment un parcours de soins spécifique et des programmes d’éducation thérapeutique structurés… ».
Une lisibilité insuffisante
Malgré ces signes forts et de vraies avancées, les plans souffrent aussi de lacunes, d’occasions manquées. Il est certainement difficile de créer l’unanimité autour d’un plan de santé ou d’atteindre une réussite complète sur tous les objectifs fixés en amont. Avec des plans de santé toujours plus ambitieux en matière d’objectifs, la question des moyens déployés, qu’ils soient financiers ou méthodologiques, apparaît comme un prérequis toujours plus critique pour réussir.
En 2011, la Cour des comptes déplorait plusieurs défauts relatifs aux politiques successives : d’abord une distinction de trois statuts différents par la loi de 2004 – plans stratégiques pluriannuels, programmes de santé et plans nationaux ou gouvernementaux – qui n’a pas de justification dans les faits : « Il n’existe pas de différence, ni dans leur élaboration, ni dans leur suivi, ni dans leur gradation, la DGS ayant retenu le principe d’une absence de priorisation entre les différents programmes de santé publique qu’elle pilote. S’ajoute à cette confusion une grande hétérogénéité des méthodes utilisées pour assurer la cohérence des plans entre eux comme leur suivi. »
Des moyens a minima
Si tout n’est pas une question de moyens, la présence de ressources suffisantes reste un impératif a minima. « Si les objectifs du plan Alzheimer ont été bien définis, ils étaient clairement sous-financés », regrette Michel Salom, président du SNGC (Syndicat national de gérontologie clinique). Sur les 1,6 milliard d’euros annoncés, force est de constater qu’ « une large part de ces moyens ne provenaient que de redéploiement de ressources déjà existantes ». Bilan : « C’est sur la bonne volonté que les innovations prévues par le plan comme les pôles d’activités et de soins adaptés se sont mises en place dans les établissements. Mais sans financement, on peut craindre pour la pérennité de ces dispositifs. » Michel Lanteri-Minet dresse un constat similaire: « Certains objectifs du plan douleur demandaient mathématiquement d’apporter des moyens suffisants, comme la structuration territoriale et le développement de la transdiciplinarité dans les structures spécialisées. À l’issue du plan, on constate plutôt une fragilisation de la filière. » Dans le domaine de la lutte contre les hépatites, les 4 millions d’euros annuels du plan national 2009-2012 semblent bien insuffisants pour améliorer une problématique touchant 500 000 personnes en France, en tout cas loin des moyens alloués au plan VIH-Sida 2010-2014 d’environ 954 millions d’euros. Si les comparaisons n’ont pas de sens à proprement parler, celle-ci a du moins le mérite de montrer que des plans dont l'ambition est similaire n'ont pas les mêmes chances de succès in fine.
Volonté politique
Conséquence, la concrétisation d’un plan est souvent à géométrie variable. Ainsi, il n’est pas rare que certains axes soient les parents pauvres des plans: l’épidémiologie et la recherche sont par exemple assez systématiquement intégrées dans les objectifs, mais pour quels résultats ? La question des moyens revient encore, mais aussi celle de la volonté politique. Dans le domaine de la recherche, ceux qui ont échappé à ce constat sont ceux qui ont bénéficié de la création d’un organisme dédié: l’Inca pour le cancer, l’ANRS pour le VIH et les hépatites (avec une répartition budgétaire contrastée), et dans une moindre mesure la Fondation Plan Alzheimer pour les maladies neurodégénératives. S’ils n’expliquent pas à eux seuls la réussite du volet recherche, ces organes sont la vitrine d’une volonté politique.
C’est son absence, cette fois, qu’il faut évoquer face à certains échecs : « Lorsque le plan Hépatites prévoit d’améliorer le dépistage, on sait que l’on ne sera pas assez efficace sans les tests rapides d’orientation diagnostique qui permettent d’atteindre des populations échappant aux structures de soins. Or cette décision ne dépend pas du comité de pilotage mais bien de décisions gouvernementales », explique Stanislas Pol. Même constat pour le plan d’amélioration de prise en charge de la douleur : lorsque celui-ci prévoit de structurer la filière en impliquant mieux le premier recours ou de développer les alternatives non médicamenteuses, il impose des évolutions réglementaires ou législatives qui échappent à son périmètre d’action, des décisions au niveau de l’organisation des soins ou encore des négociations avec l’assurance maladie pour concrétiser ces ambitions. Sans elles, point de succès pour la mesure concernée. L’articulation entre l’opérationnel du plan et le niveau ministériel est donc cruciale.
Y a-t-il un pilote de l’action ?
En 2009, après une dizaine d’années de politique de santé orientées à travers ce type de dispositif, la Direction générale de la santé (DGS) a elle-même dressé un bilan de ces actions1 : « L’analyse de la trentaine de plans et programmes nationaux existants (…) a mis en exergue une grande hétérogénéité des méthodes d’élaboration, de suivi et d’évaluation, une multiplication des plans nationaux sans cohérence le plus souvent avec la loi relative à la politique de santé publique (LPSP) ou les plans régionaux de santé publique (PRSP) et futurs projets régionaux de santé (PRS) [et] une difficulté à articuler les plans nationaux entre eux. » Elle publiait alors ses recommandations pour l’élaboration, le suivi et le pilotage. Avec à la clé, des conseils méthodologiques pour mener chaque étape propre à ces programmes, depuis la conception jusqu’à leur évaluation finale.
Si les derniers plans ont adopté des organisations de pilotage assez efficace, les efforts en matière de concertation initiale restent, eux, encore insuffisants. « Assez unanime est la critique faite au dispositif de concertation existant au niveau national », résume par exemple le rapport sur les conditions d’élaboration et de mise en œuvre de la politique nationale de santé2, en reprochant également les « approches de santé trop centralisatrices ». « De nombreux objectifs de plans n’ont, dans le passé, pas été atteints du fait de l’écart creusé, dès le départ, entre des concepteurs isolés et de partenaires oubliés. La dimension possiblement intersectorielle d’un plan doit également être évaluée au moment de la définition du périmètre »1. Pour Michel Lanteri-Minet, il est particulièrement vrai dans le domaine de la douleur, dont le plan dédié s’est terminé en 2010 : « Des objectifs de premier recours ont été définis sans pour autant intégrer les professionnels de terrain dans le processus de conception. Cela complique à la fois la lisibilité des décisions et la mobilisation des protagonistes », reconnaît-il. « La concertation devrait être large, depuis les associations de patients jusqu’aux hyperspécialistes et en évitant tout corporatisme », insiste Stanislas Pol, hépatologue. « Les collectivités ont également été souvent oubliées, reprend le président de la SFETD, d’où une résistance de leur part à s’engager dans des évolutions qui leur ont été imposées sans concertation. » Le cadre stratégique qui se dessine aujourd’hui pour la période 2011-20253 est un pilotage décisionnel véritablement interministériel en reconfigurant la finalité du Conseil national de pilotage institué par la loi HPST pour piloter les ARS, mais aussi un pilotage opérationnel géré par le comité habituel des plans, mais secondé par une mission de stratégie en santé, elle aussi interministérielle.
Dans un domaine transverse comme la prise en charge de la douleur « on assiste à un saupoudrage des moyens et une absence de lisibilité entre les actions des différents plans » assure Michel Lanteri-Minet. Ces aspects de concertation et d’articulation interministérielle sont d’autant plus importants que le sujet traité est réparti entre plusieurs plans.
Quelle évaluation ?
Dernière difficulté, critique dans le contexte économique actuel : l’évaluation, qui doit être indépendante et s’articuler avec le pilotage du plan, les comités dédiés dressant des bilans à mi-parcours afin de réorienter dans une certaine mesure les priorités dressées initialement. Déterminer des critères d’évaluation pertinents peut cependant s’avérer une gageure. Les derniers plans – cancer, Alzheimer, Santé environnement – ont arrêté des objectifs plus précis que précédemment, afin d’en faciliter l’évaluation. Mais cette articulation est insuffisante. D’abord parce qu’il est illusoire d’imaginer isoler le bénéfice apporté par une mesure particulière dans un environnement plurifactoriel. Ainsi, malgré un bilan globalement positif, « il n’est pas possible de déterminer si le plan cancer a eu un impact quelconque en matière de survie globale », reconnaît Josy Reiffers. À l’inverse, « alors que le taux de couverture vaccinale contre l’hépatite B a augmenté ces dernières années, on ne peut distinguer la promotion de la prévention prévue par le plan et la disponibilité d’un vaccin hexavalent », explique Stanislas Pol. En termes d’évaluation, les indicateurs d’état de santé ne suffisent pas, comme le précise d’ailleurs le guide de la DGS1. Quant aux indicateurs de processus et d’activités – très instructifs sur le côté opérationnel – ils sont parfois plus délicats à obtenir : « Les données de la CNAMTS pourraient être une source précieuse, insuffisamment exploitée, regrette Michel Lantéri-Minet. Elles pourraient pallier à l’absence fréquente de données régionales. »
« Attention toutefois aux évaluations à court terme, insiste Éric Breton. La santé publique est tributaire de la santé biomédicale avec des indicateurs à court terme qui ne suffisent pas pour apprécier des changements de comportement, plus lents. »
Court terme ?
« Il faut du temps pour la concertation et la conception d’un plan », insiste Josy Reiffers. Ce temps n’a pas toujours été donné aux opérateurs. Lorsque le court terme politique est transposé à la santé publique, il grippe la machine. Et lorsque plusieurs plans se succèdent dans une même thématique – priorisation forte ou constant d’échec ? – ils empêchent de tirer profit des enseignements de la campagne précédente. Espérons que ce défaut sera gommé pour potentialiser le plan cancer 3, en cours d’élaboration. Car comme l’espère le président d’Unicancer, « son ambition devrait aussi être d’accompagner le bouleversement d’une prise en charge où l’ambulatoire supplante l’hospitalier et va demander à redéfinir les contours et missions de la filière de soins ».
2. Igas (A Lopez). Rapport sur les conditions d’élaboration et de mise en œuvre de la politique nationale de santé (2010).
3. Ministère du Travail, de l’Emploi et de la Santé. Éléments de réflexion pour une politique nationale de santé 2011-2025 (2011).
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