Décision Santé. Notre système de santé se porte-il mal ?
Philippe El Saïr. Quand on fait une comparaison internationale, la France conserve un des meilleurs systèmes de santé au monde. De par son caractère mixte, public et privé, il évite deux écueils fréquents : celui des systèmes trop régulés et des files d’attente qui en découlent, et celui des systèmes trop libéraux et plus coûteux. La France dispose d’un accès aux soins remarquable pour un coût qui reste raisonnable. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut rien faire. Alors, certes, nous avons un réel problème d’afflux aux urgences, mais c’est une problématique commune à tous les pays occidentaux. Il faut arrêter de s’autoflageller. Il y a une vraie force au caractère hybride de notre système. Les établissements hospitaliers sont en concurrence, tout le monde est obligé d’être attentif et de se mobiliser. C’est majeur. On a du coup un système réactif. De plus, le pilotage par les ARS est désormais complet – sur la santé publique, sur l’hôpital, la ville et sur le secteur médico-social. D’autre part, de nouveaux outils apparaissent qui marquent un vrai progrès. Je pense aux maisons de santé pluridisciplinaires ou aux cabinets de groupe par exemple qui répondent aux souhaits des jeunes d’exercer à plusieurs.
D. S. Est-ce un système de santé coûteux ?
P. E.-S. La santé représente 11 % du PIB. On est bien loin des 18 % des États-Unis et les pays qui font légèrement mieux ont par exemple des systèmes hospitaliers souvent vétustes. Par ailleurs, il faut être conscient que la santé sera, avec les technologies de l’information et de la communication, le secteur qui se développera le plus au XXIe siècle. La santé sera un des gisements de la croissance de demain, car elle est l’un des champs d’application de toutes les grandes innovations technologiques. Le secteur va créer des dizaines de milliers d’emplois. Mais en même temps, les dépenses de santé vont progresser de façon inéluctable et logique. La question qui se pose est de savoir comment on va assurer la soutenabilité du système, tout en conservant son caractère universel ? Mais aussi comment fait-on pour que les jeunes aient envie d’épouser les carrières de la santé ?
D. S. En effet, comment fait-on ?
P. E.-S. C’est le grand paradoxe : un secteur d’avenir et des professions en crise. Les métiers de la santé deviennent de plus en plus durs. La durée moyenne de séjour diminue dans les hôpitaux, elle est trois fois moins importante qu’il y a vingt ans ? Ce qui veut dire que les professionnels ont de plus en plus de travail. Quant à la médecine de ville, les conditions de travail sont également de plus en plus dures alors que les charges ont beaucoup progressé en trente ans. Il faut rendre les métiers plus attractifs, dans une société qui valorise le succès facile et l’absence d’effort, des valeurs qui ne sont pas celles de nos métiers.
D. S. Comment changer la donne ?
P. E.-S. Il faut faire converger les deux systèmes. Dans le public, il faut aller au bout de la logique de performance. La tarification à l’activité est une bonne chose pour l’hospitalisation. Il faut basculer les soins de suite et la psychiatrie sous T2A. En termes d’efficience du système et de cohérence, c’est majeur. Je rappelle que dans le privé, les soins de suite et la psychiatrie sont déjà tarifés à l’activité. Cela fait quand même sept ans que l’on nous annonce la T2A SSR. On sent bien la tentation de s’arrêter en chemin. Il faut continuer à mettre le système dans une logique de performance. S’agissant des hommes, on ne coupera pas à l’individualisation des carrières et des rémunérations. Les primes variables des directeurs et le contrat de clinicien des médecins illustrent cette évolution. Un certain nombre de mécanismes du statut de la fonction publique ne correspondent plus à ce qu’attendent les gens. Si le secteur public veut attirer les meilleurs, il doit en passer par là. Dans le libéral, il faut imaginer des cabinets de groupe et des éléments de rémunération en dehors de la seule logique de l’acte. C’est en marche mais ce n’est pas toujours mis en perspective : ces évolutions entendent prendre en compte les nouvelles aspirations des professionnels de santé. Enfin, si on veut un système piloté, il faut accepter de reconnaître la responsabilité dans le secteur public (directeurs, cadres, chefs de pôle, président de CME). On reste en décalage total avec le privé et avec les rémunérations à l’étranger alors que, du fait de l’évolution de notre système, ces métiers exigent un engagement très important. Le droit est en décalage complet avec la vraie vie.
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