Alors qu'il était admis que l'apparition des métastases se produisait à la fin de la progression tumorale, une étude allemande dans le cancer du sein suggère que des cellules pourraient s'échapper de la tumeur primaire beaucoup plus précocement.
L'équipe de Schmidt-Kittler (Institut d'immunologie, Munich) a élaboré cette théorie suite à l'analyse de cellules cancéreuses disséminées dans l'organisme de femmes atteintes par un cancer du sein. Leur proposition s'oppose au paradigme actuellement en vigueur selon lequel l'apparition de métastases marque la fin de la progression tumorale.
La carcinogenèse est aujourd'hui généralement décrite comme une accumulation de modifications génétiques et épigénétiques qui permettent la transformation d'une cellule normale en cellule maligne, puis la transformation de cellules appartenant à une tumeur primaire en cellules invasives capables de se disséminer dans l'organisme pour former des métastases.
Plusieurs observations ont déjà remis en question ce dogme : les métastases pouvant apparaître des années après la résection d'une tumeur primaire, comment expliquer qu'une cellule qui a été sélectionnée au niveau de la tumeur primaire pour ses propriétés proliférative illimitée puissent rester à l'état de dormance pendant une aussi longue période? En outre, chez 7 % des patients hospitalisés pour un cancer, ce sont les métastases qui sont diagnostiquées avant la tumeur primaire. La formation des métastases ne nécessite donc pas que la progression tumorale ait atteint le stade auquel la tumeur primaire est suffisamment importante pour être détectée.
Chez les patientes atteintes d'un cancer du sein, des cellules originaires de la tumeur primaires sont fréquemment retrouvées au niveau de la moelle osseuse. Ces cellules, dites CK+, sont détectées à l'aide d'anticorps dirigés contre la cytokératine spécifique aux cellules épithéliales. Ces cellules peuvent être présentes dans l'organisme de patientes chez lesquelles aucune métastase n'a encore été décelée : elles seraient les précurseurs des métastases.
Afin de comprendre comment se déroule l'évolution systémique des cancers, Schmidt-Kittler et coll. ont analysé le génome de cellules CK+ isolées dans la moelle osseuse de 83 patientes atteintes d'un cancer du sein présentant (stade M1) ou non (stade M0) des métastases.
L'analyse du génotype de 189 cellules a permis de les diviser en deux groupes : dans le premier groupe ont été classées 121 cellules montrant des anomalies génétiques importantes. Plus de 60 % d'entre elles dérivaient de patientes au stade M1. Dans le second groupe, les chercheurs ont classé les cellules ne montrant pas d'aberration chromosomique manifeste. Ces cellules dérivaient essentiellement de patientes au stade M0. A l'aide d'un programme informatique, il a même été possible d'établir un algorithme qui prédit, en fonction du génotype des cellules CK+, la présence de métastases chez les patientes. Le stade M1 est identifié par ce programme dans 92 % des cas avérés.
En comparant le génome des cellules CK+ à celui des cellules de la tumeur primaire, les chercheurs ont ensuite découvert que le patron d'anomalies chromosomiques des cellules disséminées ne correspondait que très rarement à celui de la tumeur primaire. Que les patientes soient M0 ou M1, 50 % des tumeurs primaires ont un génotype qui prédit, à tort ou à raison, l'existence de métastases dans l'organisme. En outre, les cellules M0 ont toujours significativement moins d'aberrations génétiques que les tumeurs primaires associées.
Pour les auteurs ces données suggèrent que, dans le cancer du sein, les cellules tumorales pourraient se disséminer dans l'organisme à un stade de la progression tumorale beaucoup plus précoce que l'on ne le pensait jusqu'ici. Ces cellules acquéraient par la suite les aberrations génétiques typiques aux cellules métastatiques.
Conséquences cliniques
Cette nouvelle théorie, si elle se vérifie, a des conséquences importante pour la clinique : Tout d'abord, elle implique qu'il n'est pas possible de prédire la présence de métastases en examinant le génome des cellules de la tumeur primaire. Ensuite, selon l'hypothèse de Schmidt-Kittler et coll., les cellules disséminées M0 sont très hétérogènes puisqu'elles continuent leur progression tumorale indépendamment les unes des autres après s'être échappées de la tumeur primaire. Par conséquent, afin de pouvoir les éliminer avant qu'elles n'atteignent le stade M1, il sera nécessaire de découvrir une caractéristique qu'elles partagent toutes. Cette caractéristique pourra servir de cible thérapeutique.
O. Schmidt-Kittler et coll., « Proc Natl Acad Sci USA », à paraître sur www.pnas.org
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