Décision Santé. Quelle est la situation financière des cliniques privées ?
Lamine Gharbi. Aujourd’hui, 42 % des établissements sont en déficit. Et l’écart s’accroît entre ceux qui augmentent leur marge et leur rentabilité et d’autres qui creusent le déficit. Ce n’est pas forcément les grands établissements qui tirent le mieux leur épingle du jeu. C’est en effet moins la taille que le type d’activités qui explique la bonne ou mauvaise santé des cliniques. La chirurgie viscérale et orthopédique ou la médecine génèrent une forte activité. En revanche, un établissement spécialisé sur l’ophtalmologie par exemple perd 30 % de son chiffre d’affaires.
D. S. Comment expliquer l’impact de la médecine sur le chiffre d’affaires ?
L. G. Les pouvoirs publics ont favorisé la médecine tout simplement parce que les hôpitaux publics assurent 70 % de l’activité médicale de l’Hexagone. Certains groupes homogènes de séjour (GHS) ont ainsi bénéficié d’une forte réévaluation dans la prise en charge de l’hypertension artérielle ou du diabète par exemple. Dans le même temps, les tarifs pour le traitement de la cataracte ont connu une forte baisse : de 1 050 euros il y deux ans, ils sont cette année fixés à 850 euros.
D. S. Est-ce que cela remet en cause la politique de spécialisation affichée par certaines cliniques ?
L. G. Une lourde menace pèse sur les établissements spécialisés indépendants. Les cliniques qui appartiennent à des groupes sont moins fragiles. Mais les cliniques privées n’occupent pas seulement des niches étroites. En Languedoc-Roussillon par exemple, on recense quatorze services d’urgence privés et onze publics. En dehors de Paris, les cliniques dans les grandes métropoles régionales sont généralistes et accueillent tous les types d’urgence. Pour autant, la question des urgences est loin d’être réglée. Sur les six cents adhérents à la Fédération, cent souhaitent créer un service d’urgence, mais n’ont pas encore reçu d’agrément. Vous l’avez compris, la problématique des tarifs ne résume pas notre combat syndical. Nous luttons également pour que la délivrance d’agrément en cas d’acquisition d’un équipement lourd ou la création d’un service de réanimation ne soit pas octroyée au seul secteur public.
D. S. Une autre thématique mobilise votre attention, celle de l’oncologie médicale…
L. G. La campagne tarifaire 2010 a intégré cinq médicaments auparavant dans la liste en sus dans les groupes homogènes de séjour. La rentabilité de nos établissements en sera d’autant plus affectée que le système précédent était particulièrement avantageux. Le prix officiel des médicaments n’avait pas été modifié, alors que les laboratoires consentaient dans le même temps des remises. Nous partagions toutefois les bénéfices avec l’assurance maladie à hauteur de 50 %. Je n’étais pas favorable à ce système. Nos cliniques n’ont pas en effet à recevoir des subventions déguisées. Pour autant, nous subissons dans le même temps deux attaques frontales qui pèsent inévitablement sur les résultats. Or, sur 141 établissements qui pratiquent l’oncologie médicale, 41 sont déjà dans le rouge. Sur ce sujet, les pouvoirs publics doivent négocier rapidement s’ils souhaitent éviter le dépôt de bilan d’un certain nombre de cliniques.
D. S. La crise économique n’a-t-elle pas un impact plus sensible sur vos établissements que ces changements de réglementations ?
L. G. Je suis en effet convaincu que la crise actuelle a entraîné un transfert de patients vers le public. Les dépassements d’honoraires ont entraîné une réduction de nos parts de marché en chirurgie. Nous traversons une période difficile. On nous reproche certes depuis des années d’annoncer la fin de l’hospitalisation privée en France, alors que nous sommes toujours là. Mais si l’on prend l’exemple de l’obstétrique, nous avons alerté l’opinion sur la fragilité des cliniques spécialisées dans cette activité. Résultat, dans 29 départements aujourd’hui, seuls des hôpitaux publics pratiquent encore des accouchements. Conséquence directe, en l’absence de concurrence, la qualité fléchit.
D. S. Pour autant, on ne vous entend guère lorsque vous exercez un monopole sur la chirurgie.
L. G. À l’exception des CHU, la chirurgie n’est guère pratiquée dans les hôpitaux publics. Depuis plus de 30 ans en effet, nous réalisons 70 % des actes de chirurgie de l’Hexagone. Rappelons toutefois que l’hôpital public depuis l’introduction de la T2A facture désormais tous ses actes et a augmenté sa productivité.
D. S. L’hôpital public est aussi un rempart face aux dépassements d’honoraires.
L. G. Il est vrai que dans certaines villes, il n’y a plus de praticiens en secteur 1. On ne peut continuer comme cela. Le secteur optionnel, faute d’unité chez les médecins, n’a pu être adopté. C’était pourtant une mesure lisible par tous et simple. Avec ce système, 30 % des actes devaient être réalisés en secteur 1, avec une prise en charge des mutuelles. N’oublions pas pour autant le secteur 1 aujourd’hui sinistré. Toutefois, nous n’avons aucun moyen de pression sur les médecins. En revanche avec eux, nous avons à démontrer la pertinence de nos actes. Dans certains établissements, jusqu’à 80 % des actes ne sont pas en accord avec les règles de bonne pratique. Ne nous voilons pas la face. Il existe certaines dérives. Enfin, il ne peut y avoir deux poids deux mesures en ce qui concerne la tarification. Prenons pour faire simple l’exemple des migac qui pèsent autant que le chiffre d’affaires global des établissements privés MCO dans l’Hexagone, à savoir 8 milliards d’euros. Nous bénéficions seulement de 1 % de cette manne. Le chemin est encore long avant de parvenir à une éventuelle convergence.
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